Les trois axes d’intervention

Comprendre

Répertorier tous les organismes vivants sur Terre, évaluer leur état et anticiper l’impact qu’auront sur eux les changements climatiques anticipés.

Les trois axes d’intervention

S’adapter

Répertorier les espèces et les organismes les mieux adaptés pour résister aux montagnes russes du climat ainsi qu’aux ravageurs et aux pathogènes, afin de les sélectionner en conséquence.

Les trois axes d’intervention

Agir

Contribuer à freiner la hausse des températures en innovant : nouveaux biocarburants, décontamination par les plantes, etc.

Science

Super arbres et super  poulets

Ne dites surtout pas au scientifique Jean Bousquet qu’il manie une boule de cristal. Mais s’il n’a rien d’une diseuse de bonne aventure, son travail exige bel et bien qu’il prédise l’avenir.

Depuis trois ou quatre ans, l’ingénieur forestier partage cette mission avec un petit bataillon de chercheurs québécois. Leur pari : identifier dès aujourd’hui les organismes dotés du bagage génétique requis pour survivre aux chamboulements climatiques prévus dans 20, 30 ou 50 ans.

« Puisque la chaleur est souvent fatale pour les salmonidés, des chercheurs identifient ceux qui y résistent, parce qu’on veut produire des poissons plus adaptés », illustre la vice-présidente de Génome Québec, Stéphanie Lord-Fontaine.

Si un pareil tri est possible, c’est que ni les plantes ni les animaux d’une même espèce ne naissent avec les mêmes capacités ou le même potentiel. Exactement comme chez les humains.

Répertorier les marqueurs

À l’Université Laval, Jean Bousquet catalogue les épinettes selon leurs chances de subsister aux diverses menaces climatiques anticipées. Sont-elles armées pour résister à la sécheresse ? Aux ravageurs ? Aux températures extrêmes ? Le chercheur a établi que ces qualités souhaitables – mais invisibles – sont chacune associées à des marqueurs génétiques précis.

En répertoriant les marqueurs en question, il permettra de planter très bientôt de super forêts, dont les arbres auront été sélectionnés à l’âge de quelques jours, en fonction de leur capacité à s’épanouir en milieu hostile.

« On annonce des changements climatiques très rapides, alors on ne peut plus compter seulement sur la sélection naturelle. On n’a pas le choix d’être proactifs pour suivre la parade. »

— Jean Bousquet, professeur à l’Université Laval 

Agir ainsi avec les humains serait inacceptable, dit-il. « Ce serait de l’eugénisme, ce qu’Hitler voulait faire. Mais pour les arbres, c’est différent. On veut éviter la mortalité, et on les sélectionnait déjà dans ce but avant, sauf qu’il fallait d’abord les laisser pousser pendant des années. »

Créer des organismes génétiquement modifiés (OGM) demeure toutefois hors de question, précise le professeur. « La variabilité naturelle est déjà très grande – elle l’est même 10 fois plus chez les arbres que chez les humains. Alors il suffit de puiser dans la nature sans jouer aux apprentis sorciers. »

Virage radical

Hier encore, de telles interventions étaient inimaginables. On ignorait alors quels gènes étaient associés à quels traits, puisque séquencer le génome était ruineux. Mais les progrès de l’informatique et la chute prodigieuse des coûts ont tout changé.

Il y a cinq ans, Génome Québec a ainsi entrepris un virage radical. Au lieu de miser quasi exclusivement sur la santé humaine, l’organisme accorde une place sans cesse grandissante aux projets environnementaux.

Leurs responsables ne se contentent pas de sélectionner les plantes ou les animaux qu’on pense mieux adaptés au monde de demain. Ils scrutent aussi l’ADN de champignons et de microbes, pour voir si leur profil génétique permettrait de les transformer en outils de lutte contre le réchauffement climatique (voir l’onglet suivant).

« La place de ces projets va sûrement croître encore. On est à l’aube d’une explosion », prévoit le président de Génome Québec, Daniel Coderre.

« La génomique environnementale s’avère un outil déjà assez puissant pour motiver des décisions politiques », renchérit sa collègue Stéphanie Lord-Fontaine.

Les chercheurs de ce domaine ont un avantage : ils composent avec moins de contraintes que ceux du domaine de la santé, qui se butent pour leur part à des enjeux éthiques très complexes et au manque d’accès aux données (puisque les dossiers patients sont confidentiels).

Sauver la vie

Au Québec comme au Canada, le gouvernement est à l’écoute, se réjouit Génome Québec. Ce qui n’est guère surprenant quand on sait que l’industrie du bois, de l’aquaculture ou de l’agriculture génère des milliards en revenus.

Dans certains pays, si les scientifiques n’aident pas les cultivateurs, la multiplication des périodes de sécheresse risque même de provoquer des famines dévastatrices.

À l’Université Laval, un microbiologiste se prépare à contrer une autre catastrophe annoncée : l’éclosion de nouvelles épidémies. 

« Des organismes vecteurs de maladies – comme des moustiques ou des tiques – migrent vers le nord. »

— Roger C. Lévesque, professeur à l’Université Laval

En prime, plus le climat est chaud et humide, plus certains insectes se reproduisent vite – dont ceux qui portent la malaria. Et plus certains parasites se transmettent avec facilité – comme celui du choléra.

Au Québec, avec la chaleur, le taux de salmonelle sur les fruits et légumes risque aussi d’augmenter, précise le professeur Roger C. Lévesque.

Mais ici encore, la génomique est une arme précieuse. Le chercheur travaille déjà à reconnaître la signature génétique des souches dangereuses de cette bactérie (certaines sont inoffensives). Il souhaite ainsi créer des outils de détection précis, pour que les aliments contaminés puissent être retirés sans délai des étalages, sans qu’on touche les autres.

La même approche peut accélérer le diagnostic des infections chez l’humain, dit-il. « En microbiologie, on doit laisser croître un échantillon quelques jours en laboratoire, et même alors, ce n’est pas toujours possible de l’identifier. Avec la génomique, il suffit de quelques heures. »

« Ce n’est pas la panacée, mais c’est un outil très prometteur. »

Science

Des humains génétiquement modifiés ?

Pourquoi ne pas modifier biologiquement les humains, au moyen de médicaments, afin qu’ils développent une aversion à la viande, restent petits ou deviennent plus altruistes et empathiques ? Voilà les questions-chocs lancées par trois philosophes (des universités d’Oxford, de New York et de Londres) dans un article intitulé « Homo-ingénierie et changement climatique ». Puisque les humains se montrent peu motivés à réduire leur impact écologique et que le réchauffement annoncé les met en danger, il faut réfléchir à cette approche « a priori bizarre », plaident les chercheurs dans leur texte – qui a déclenché un torrent de réactions acerbes. Les auteurs s’y attendaient un peu. « Se pencher sur des idées intuitivement absurdes ou draconiennes peut être instructif, tandis qu’omettre de le faire peut conduire à rater des occasions d’affronter des enjeux urgents », avaient-ils ainsi pris soin d’écrire.

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