Littérature

Écrivain 
métier en voie de disparition ?

Vivre de sa plume au Québec, impossible ? Peut-être pas, mais force est de constater que les auteurs qui remportent un succès littéraire leur permettant d’assurer leur subsistance sont plutôt rares. Regard sur une profession qui doit composer avec une industrie en mutation.

Ils existent !

Oui, il y a en a, des auteurs à succès qui vendent des dizaines, voire des centaines de milliers d’exemplaires de leurs romans et arrivent à vivre de leur plume. Des auteurs reconnus à la Kim Thúy ou Dany Laferrière en passant par les auteurs de roman jeunesse (Sarah-Maude Beauchesne, India Desjardins), historiques (Michel David, Louise Tremblay-D’Essiambre) ou de « chick lit » (Amélie Dubois, Nathalie Roy).

Parmi ceux-ci, Valérie Chevalier, qui vient de publier le mois dernier son quatrième roman, Tu peux toujours rester, chez Hurtubise. L’autrice, aussi connue comme comédienne et animatrice, a dépassé le cap des 50 000 exemplaires vendus pour ses trois premiers romans. « Je me sens extrêmement privilégiée d’avoir un public, que mes œuvres soient attendues et, oui, on pourrait le dire, de vivre de ma plume », lance-t-elle en entrevue téléphonique.

Combiner succès populaire et reconnaissance critique est encore plus rare. L’auteur de la trilogie de La Bête, David Goudreault, fait partie de ceux qui ont réussi à le faire. « Avec la trilogie, je voulais créer un objet littéraire intéressant, qui se voulait en même temps accessible. Et, oui, j’en vis bien. Je ne suis pas millionnaire, mais je suis loin de la misère », lance celui qui dit avoir franchi la barre des « six chiffres » du nombre d’exemplaires vendus.

L’arbre qui cache la forêt

Ces auteurs populaires sont-ils l’exception à la règle, l’arbre qui cache la forêt ? Oui, si on en croit les chiffres, assez sombres, rendus publics par l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) en novembre dernier, à la suite d’un sondage réalisé auprès de 521 de ses membres.

Revenu moyen tiré du travail d’écriture : 9169 $

Revenu médian inférieur à 3000 $

Source : UNEQ, pour l’année 2017

Pourquoi les auteurs gagnent-ils si peu ?

Il faut d’abord comprendre que l’argent reçu sur les ventes des livres n’est pas énorme : 10 % du prix de vente, la norme au Québec. Ainsi, pour 3000 exemplaires vendus d’un livre à 20 $ – ce qui est considéré comme un best-seller au Québec –, l’auteur retirera… 6000 $.

« J’en connais, des auteurs qui vivent de leur plume, mais ils travaillent comme des fous ! », avance Marie Gray, autrice de la série de littérature érotique Histoires à faire rougir, qui a atteint le chiffre astronomique de 1 million d’exemplaires vendus partout dans le monde.

Pourtant, celle qui vient de publier un nouveau roman inspiré du mouvement #moiaussi, Sois belle et tais-toi, ne vit pas pour autant de sa plume. « À l’époque, j’aurais pu arrêter de travailler et ne faire que ça. Mais le succès, c’est volatil, et je ne voulais pas être obligée d’écrire sous pression pour vivre. »

« Ni payant ni gratifiant »

« La réalité, c’est qu’on ne vit pas d’un seul livre, mais d’un ensemble de publications et des revenus connexes, affirme Arnaud Foulon, vice-président, éditions et opérations, chez Hurtubise. À court terme, ce n’est ni payant ni gratifiant. Un auteur va mettre beaucoup d’heures avant d’en retirer des revenus. Alors oui, lâcher ta job pour écrire un livre, c’est risqué ! »

22 % des revenus

des écrivains et écrivaines sont tirés d’activités connexes (conférences, lectures, ateliers)

Source : UNEQ

« Quand on considère le nombre d’heures mis par les auteurs sur chacun de leur roman… La plupart travaillent pour moins de 25 cents de l’heure ! fait remarquer David Goudreault, qui a longtemps cumulé deux jobs à temps plein avant de se consacrer entièrement à l’écriture. […] La carrière d’écrivain, c’est d’abord une vocation. »

Un océan de nouveautés

Si les écrivains ne roulent pas sur l’or, le marché, lui, se porte plutôt bien, puisqu’il a connu sa quatrième année consécutive de croissance des ventes de livres en français, soit 5,3 %, selon le Bilan Gaspard 2018, qui compile les ventes de 230 points de vente au Québec (mais pas celles de Renaud-Bray et Archambault).

Une réalité qui en cache une autre, alors que le marché québécois est inondé de publications étrangères. Sur l’ensemble des nouveaux titres qui ont atterri sur les rayons des librairies en 2017, 9920 étaient québécois et 57 411 étaient étrangers, note Jean Baril, directeur général des Éditions Québec Amériques.

Pourcentage des ventes

51 % de livres étrangers

49 % de livres québécois

En 2018 : il y avait 83 % de nouveautés étrangères et 17 % de nouveautés québécoises.

Source : Association des libraires du Québec

« Il y a 20 ou 30 ans, il n’y avait pas une aussi grosse production étrangère et les auteurs québécois vendaient de belles quantités. Aujourd’hui, il faut travailler plus fort et être plus innovateur. »

— Jean Baril, directeur général des Éditions Québec Amérique

Se démarquer

C’est exactement ce qu’a fait Marie-Ève Leclerc-Dion pour attirer l’attention sur son premier roman, On peut-tu rester amis ?, publié ce printemps chez Québec Amériques. Celle qui travaille en publicité chez lg2 a décidé d’envoyer à des « ex » connus des exemplaires de son roman, en documentant le tout sur un compte Instagram qu’elle a créé pour l’occasion, une initiative à l’humour décalé – à l’image de son roman – qui a attiré l’attention.

« Avec toutes les nouveautés qui paraissent chaque année, c’est facile de passer inaperçu. De là est venue l’idée d’essayer de faire un stunt, comme on fait en publicité », explique celle qui a vu son roman, imprimé à 1200 exemplaires, connaître un nouveau tirage de 250 exemplaires un mois après le lancement.

Un métier à valoriser

Le métier d’écrivain en voie de disparition au Québec et au Canada. Tel était le titre du document publié par l’UNEQ l’automne dernier. Un constant alarmiste ? « C’est surtout alarmant », réagit la présidente et écrivaine Suzanne Aubry, ajoutant qu’il y a une réelle fragmentation du temps consacré à la lecture, avec l’augmentation de celui passé sur les écrans.

Parmi les dossiers chauds : la modification de la Loi canadienne sur le droit d’auteur par le gouvernement Harper en 2012, qui a énormément nui aux auteurs. « Elle devrait être rebaptisée la Loi sur le droit des utilisateurs ! », s’insurge Mme Aubry. En permettant aux établissements d’éducation d’utiliser les œuvres sans rémunérer les auteurs, ceux-ci ont dû encaisser une baisse de revenus substantielle de la part des sociétés de gestion collective de droits de reproduction.

« On désire des conditions permettant d’exercer notre métier de façon plus favorable. Je ne connais aucun corps de métier dans le monde qui accepterait de travailler gratuitement… L’idée du poète maudit, c’est très romantique et ça fait l’affaire de certains, mais on écrit mieux quand on est soutenu, avec des conditions vivables », affirme Mme Aubry.

27 %

des auteurs

disent avoir subi une perte de revenus de la part de Copibec et Access Copyright depuis 2014

Source : UNEQ

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