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Divorce non consommé, vieillesse ruinée

Chaque année, une quarantaine de Québécois apprennent que leur conjoint qui vient de s’éteindre était toujours marié. Et que leurs vieux jours en seront bouleversés. À cause d’une vieille procédure compliquée, qui a toujours des impacts aujourd’hui.

« Avant de mourir, il m’a dit que je n’aurais pas de trouble, dit Claudette Marquis en sanglotant. Il m’a dit qu’avec l’Alcan et les rentes, j’aurais tout ce qu’il faut. Jamais je ne me suis doutée qu’il allait arriver ça. Jamais. J’ai eu ça dans la face. »

Après 43 ans de vie commune avec Louis-France Tremblay – et une fille née de leur union –, Claudette Marquis l’a vu mourir en 2014 d’un cancer du poumon.

Mais le couple ignorait que pendant toutes ces années, M. Tremblay était officiellement encore marié à une autre femme : il l’avait épousée en 1968 et croyait avoir divorcé après seulement 18 mois de vie commune et aucun enfant. À tort : faute de respecter une procédure stricte, c’est la première conjointe qui touche maintenant les rentes héritées de Louis-France Tremblay.

« J’avais des projets. Maintenant, je n’en ai plus », raconte-t-elle, la voix chavirée. Des projets comme « me refaire des dentiers neufs, je n’en ai plus les moyens. Je pensais pouvoir vivre confortablement, sans me soucier de l’argent. C’est ce qu’il voulait. Là, l’auto vient de me coûter 3000 $. Je n’en avais pas les moyens. Je l’ai emprunté ».

Le coup d’assommoir

Elle a appris l’existence d’un mariage précédent par une téléphoniste de la Régie des rentes (maintenant appelée Retraite Québec), juste après la mort de son conjoint. « Elle m’a dit ça en pleine face : que je n’avais pas le droit aux rentes, qu’il n’était pas divorcé », a-t-elle relaté.

Chaque année, une quarantaine de Québécois se retrouve dans une situation semblable de « divorce raté », selon l’organisation, un chiffre « assez stable ».

C’est à cause des procédures de divorce plus complexes qui existaient avant 1985 : les époux en instance de divorce obtenaient d’abord un « jugement conditionnel de divorce » et devaient demander un « jugement final » trois mois plus tard. Mais plusieurs couples ont omis cette dernière étape, se croyant déjà divorcés. Résultat : des mariages toujours valides, mais oubliés pendant des décennies. Jusqu’à la mort. Et jusqu’à la découverte fatidique.

« Il pensait que c’était un divorce, mais ça n’en était pas un », résume Mme Marquis. « Personne, ni de son bord ni de mon bord, ne se doute qu’il n’était pas divorcé. »

À preuve, il a toujours été reconnu comme divorcé par le fisc, relate un jugement du Tribunal administratif du Québec de 2016 qui confirme que « malheureusement », Mme Marquis n’a pas droit aux rentes de M. Tremblay à cause du mariage oublié.

« Sérieuse iniquité »

« Convenons qu’ici se produit une sérieuse iniquité », écrit la juge administrative Lise Bibeau. « Malheureusement », poursuit-elle, « la soussignée n’a d’autre choix que de rejeter le recours », avant de conclure que c’est la première femme de M. Tremblay qui a droit aux rentes de Retraite Québec.

Trois mois après que la justice a tranché, Mme Marquis s’est vu retirer sa rente du régime de retraite des employés de l’Alcan. Louis-France Tremblay y avait travaillé pendant 38 ans en entretien mécanique.

C’est cette seconde rente que Mme Marquis tente de récupérer en embauchant une avocate de l’aide juridique. « C’est la première fois que je vois ça. J’en ai parlé à plusieurs avocats avec lesquels je travaille, et ils n’ont jamais vu ça », a expliqué Me Mireille Bonneau.

« S’il y a 40 cas par année, ça fait longtemps qu’ils devraient l’avoir changée [la loi], a affirmé Me Bonneau. C’est là que c’est un peu pathétique. »

« Réfléchir à un changement législatif »

Le professeur Alain Roy, de l’Université de Montréal, l’un des plus grands experts en droit de la famille au Québec, n’a lui-même pas pu cacher sa surprise en apprenant que 40 Québécois par année se heurtaient à un mariage oublié en tentant de toucher les rentes de retraite d’un conjoint décédé.

Ces défunts « doivent être absolument certains que c’est le conjoint de fait qui va bénéficier de la rente et ils sont encore mariés », a-t-il déploré en entrevue téléphonique. « C’est à se demander si ce n’est pas par une modification législative qu’on pourrait régler ce problème-là. »

La réforme de 1985 a simplifié le processus de divorce, a ajouté l’avocat. Mais le régime qui avait cours auparavant a encore des impacts très réels.

« On pourrait très bien réfléchir à un changement législatif pour faire primer la relation d’union de fait qui perdure peut-être depuis un certain temps avant le décès sur la relation matrimoniale qui ne veut plus rien dire, qui existe sur papier, mais qui ne traduit plus aucune forme d’interdépendance depuis des années, a fait valoir M. Roy. Il y a plusieurs cas de figure où on peut avaler de travers. »

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