Chronique

Merci, Madame Desbois !

L’histoire de la gastronomie québécoise est jeune, très jeune. On ne réalise pas toujours l’incroyable évolution que nous avons connue en quelques décennies. Nous avons fait des pas de géant afin d’arriver à un savoir-faire et à une génération de jeunes chefs débordant de créativité et de talent. Et aussi, afin de créer un réseau de distribution de produits de bonne qualité et de se doter d’une judicieuse connaissance de leur rôle.

Cet extraordinaire résultat ne devrait pas nous faire oublier ceux qui nous ont fait avancer, ces pionniers qui ont travaillé fort pour acquérir les rudiments de cet art avant de nous les transmettre. Ces Indiana Jones de la gastronomie ont dû parfois quitter le Québec afin d’aller puiser une formation qui n’était pas offerte ici. Je ne vous parle pas du XIXe siècle, je vous parle des années 50 ou 60.

Rollande Desbois fait partie de ces pionniers et aventuriers. Aujourd’hui âgée de 91 ans, cette bâtisseuse a droit à un hommage à la hauteur de son apport grâce au superbe travail d’Anne Fortin (Ainsi cuisinaient les belles-sœurs) et d’Émilie Villeneuve. Dans un ouvrage lancé ces jours-ci et qui a pour titre Rollande Desbois : La gastronomie en héritage, les auteures racontent le parcours de cette femme, mère de cinq enfants, devenue professeure et chroniqueuse gastronomique après une formation acquise en Angleterre, en France, en Italie et ailleurs.

Profitant d’un séjour de quelques années à Londres (son mari, Romain Desbois, a dirigé le bureau français de Radio-Canada dans la capitale anglaise de 1964 à 1969), Rollande Desbois a pu assouvir sa passion en suivant une formation à la prestigieuse école Le Cordon Bleu.

De retour au pays, elle a mis sur pied des cours, notamment pour les hommes, qui ont fait découvrir chez nous les grands classiques de la cuisine européenne.

Après un séjour en France dans les années 70 (au cours duquel elle fera un stage chez Gaston Lenôtre), les étudiants de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec ont eu la chance de profiter des conseils judicieux de Rollande Desbois. Elle occupera ce poste pendant 25 ans. Quant au grand public, il a retrouvé avec plaisir Mme Desbois à la télévision, notamment aux Trouvailles de Clémence. Mme Desbois y a alors fait la connaissance d’une jeune styliste talentueuse du nom de Josée di Stasio.

Anne Fortin et Émilie Villeneuve ont eu la bonne idée d’entrecouper les chapitres de leur ouvrage de recettes composées ou revues par Rollande Desbois. Ainsi, nous avons droit aux suprêmes de poulet de grain farcis de tomates confites et d’olives noires, à la truite à l’oseille, aux baisers d’Adolphe, à la crème de parmigiano reggiano tartufata, aux steaks à la purée d’huîtres, ainsi qu’au poulet au curry du restaurant Maxim’s.

Il est important de bien suivre les indications de Mme Desbois. J’ai fait le week-end dernier le poulet au curry de chez Maxim’s. La sauce faite de bouillon, d’une banane écrasée, d’une pomme coupée en rondelles, de tomates concassées, de noix de coco non sucrée, de crème riche et, bien sûr, de curry était fine et délicieuse. Mais, comme je ne l’avais pas laissée suffisamment réduire (comme le recommandait la spécialiste), elle était trop liquide. Mon convive me l’a élégamment souligné.

Le public québécois a découvert ces recettes et bien d’autres dans les ouvrages La fine cuisine québécoise et Cuisine saveur. Ces livres de Rollande Desbois sont aujourd’hui des incontournables pour les amateurs de fine cuisine.

Le parcours de Rollande Desbois n’est pas sans rappeler celui de Julia Child, cette Américaine qui, après un séjour à Paris et une formation chez Le Cordon Bleu, a fait découvrir à ses compatriotes le plaisir de la grande gastronomie. Ces femmes ont été des pionnières en abattant les frontières qui séparaient les cultures.

Le plus beau geste de fraternité qu’un peuple peut offrir à un autre, c’est celui de partager avec lui des pans de sa richesse culturelle. La musique, le cinéma, la danse, la peinture, l’architecture ou la gastronomie constituent ce joyau. Le rôle de celui qui reçoit ce cadeau n’est pas de s’en emparer sans vergogne. Son rôle est de l’honorer et de le respecter.

Merci à ces pionniers et pionnières. Merci à Rollande Desbois. Et merci aux archéologues de la gastronomie comme Anne Fortin et Émilie Villeneuve de ramener à notre mémoire l’importance de ces bâtisseurs.

Quant à moi, je laisserai davantage réduire la sauce du poulet au curry de chez Maxim’s. Cent fois sur le métier ! Je vais tout recommencer, Madame Desbois, c’est promis !

Rollande Desbois : La gastronomie en héritage

Anne Fortin et Émilie Villeneuve

Éditions de l’Homme

144 pages

27,95 $

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