Politique

Les médias mis en cause

En septembre 2015, le Daily Mail a publié un texte suggérant que l’ex-premier ministre anglais David Cameron avait introduit une « partie privée de son anatomie » dans une tête de cochon lors d’une initiation universitaire.

L’allégation est devenue virale et a largement circulé… jusqu’à ce que la journaliste à l’origine de sa diffusion reconnaisse qu’elle était incapable d’en prouver la véracité.

« Nous n’étions pas capables de vérifier les allégations de notre source. Nous nous sommes donc contentés de relater son compte rendu… On ne dit pas si on la croit ou pas », a déclaré Isabel Oakeshott en relevant que c’était aux lecteurs de se faire leur propre idée à ce sujet.

L’anecdote est racontée avec consternation par Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian, dans un article-fleuve où elle explore comment « la technologie a perturbé la vérité ».

« Est-ce que la vérité compte toujours ? », demande Mme Viner en évoquant l’anecdote du Daily Mail, qui témoigne, selon elle, d’un laisser-aller journalistique extrêmement alarmant.

« GANGS » IDÉOLOGIQUES

L’émergence de l’internet, souligne-t-elle, a profondément fragilisé économiquement les médias traditionnels, poussant nombre d’entre eux à favoriser les nouvelles tapageuses et superficielles (« junk food news ») plutôt que les sujets d’intérêt public, dans l’espoir de s’assurer un bon taux de consultations en ligne… et des revenus publicitaires.

La mise à pied de nombreux journalistes et la réduction des budgets des salles de rédaction a aussi encouragé ce virage « consumériste », qui favorise l’émergence de « gangs » idéologiques repliés sur eux-mêmes plutôt qu’un public véritablement éclairé, relève Mme Viner.

« De plus en plus, ce que l’on considère comme un fait est ce que quelqu’un considère comme étant vrai – et la technologie fait en sorte qu’il est très facile pour ces “faits” de circuler avec une vitesse qui était inimaginable à l’époque de Gutenberg. »

— Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian

Les géants de l’internet comme Facebook et Google, qui siphonnent dans certains pays jusqu’à 80 % des revenus publicitaires en ligne, jouent un rôle de premier plan dans le processus.

Bien qu’ils « démocratisent » la production et la diffusion d’information, ils favorisent par leur action de filtrage la création de « bulles » où les utilisateurs ne croisent que trop rarement des idées contraires aux leurs.

DES INFORMATIONS CHOISIES PAR NOS AMIS

« Des publications régulées par des éditeurs ont été remplacées dans plusieurs cas par des flux d’informations choisies par des amis, des membres de la famille et des contacts qui sont traités par des algorithmes secrets », relevait l’année dernière Emily Bell, professeure à l’Université Columbia.

Les médias sociaux, prévient-elle, sont devenus « extrêmement puissants » pour contrôler « qui diffuse quoi auprès de qui » et comment cette diffusion génère des revenus.

Le Poynter Institute note, dans une récente analyse, que le fil d’actualité de Facebook propose prioritairement à chaque utilisateur un contenu similaire à ce qu’il a lu, aimé ou partagé par le passé.

« Ça signifie que le fil d’actualité décuple [turbocharges] notre propension à remarquer et à croire des informations qui confirment nos croyances », favorisant la consommation d’un contenu de plus en plus homogène, relève l’organisation de formation de journalistes.

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