Mycologie

Folie champi

Des champignons poussent dès le mois de mai au Québec, mais c’est en ce moment que leur diversité est la plus grande. Ce n’est un secret pour aucun mycologue : le moment est venu d’arpenter les sous-bois pour débusquer ces trésors qui finiront à la casserole. Notre journaliste s’est intéressée à ce loisir en plein essor et vous invite à le découvrir en forêt.

Un dossier d’Isabelle Morin

Mycologie

Le règne des champignons

On n’hésite pas à cueillir mûres, bleuets ou framboises lorsqu’on en croise en randonnée. Et les champignons ? On n’ose pas. Par prudence et manque de connaissances. Mais les choses changent…

« Ça fait 12 ans qu’on est en affaires. Au début, on prêchait dans le désert », se rappelle Pierre Noël, propriétaire de la Mycoboutique de Montréal, qui se présente comme le « magasin général du champignon ». « Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de curiosité scientifique, au contraire, dit-il. On a un des meilleurs cercles de mycologues au monde. Mais la population s’y est intéressée plus récemment. »

De plus en plus d’activités s’organisent autour de la cueillette de champignons au Québec.

Cet essor, Pierre Noël l’attribue à un intérêt grandissant pour le plein air et les sorties en forêt. À un milieu favorable, également. « Il y a plus de variétés de champignons quand le couvert forestier est diversifié, ce qui est le cas au Québec. On trouve des champignons jusqu’à Kuujjuaq, dans le Nunavik. Plus au nord, le nombre d’espèces est limité, mais les champignons peuvent s’y retrouver en plus grand nombre. »

Certains champignons apparaissent en début de saison, puis disparaissent. D’autres sont plus abondants à certaines périodes. Les morilles ? En mai. La chanterelle commune ? Surtout en juillet et en août. « Actuellement, c’est la période des matsutake – ou tricholome à grand voile –, précise Pierre Noël. Il y en a plein au Québec. C’est un champignon qui était négligé il y a quelques années ici et qui, pour les Japonais, est l’équivalent de la truffe. »

Une longue saison

Au Québec, la saison de cueillette commence dès le printemps. L’enthousiasme atteint toutefois son point culminant à l’approche de l’automne, de la mi-août jusqu’à la mi-octobre environ. « Les conditions automnales sont plus propices à la croissance des champignons. Les nuits fraîches et la pluie font qu’il y en a plus », explique Raymond Archambault.

Vive la pluie

Les étés pluvieux annoncent de bonnes récoltes. Cette année, dans la région de Montréal, la saison est parfaite !

Un monde de gourmands

Certains s’intéressent aux champignons par curiosité scientifique, d’autres, pour leurs propriétés médicinales. « À moins qu'ils ne soient spécialistes, ce qui incite généralement les gens à s’intéresser aux champignons, c’est qu’ils veulent en manger », convient toutefois Raymond Archambault.

3000

Il y a autour de 3000 gros champignons au Québec. Si on ajoute les levures et les champignons microscopiques, ce chiffre gonfle à plus de 1 million. La grande majorité des spécimens ne sont pas comestibles ou sont jugés inintéressants parce que trop petits, trop rares, insipides ou gluants. De 30 à 50 champignons sont toutefois appréciés en cuisine ici, selon les goûts.

Prudence

Avant de songer à les mettre dans l’assiette, il faut savoir les reconnaître en forêt. La meilleure façon de le faire est de s’intéresser à leur environnement : les arbres travaillent en symbiose avec les champignons. Par conséquent, en trouvant l’un, on met le grappin sur l’autre. Il faut également faire preuve d’une grande finesse d’observation, car un petit détail peut faire la différence entre un champignon qui est comestible et un qui ne l'est pas.

Les reconnaître

Cueillir des champignons est une chose. Savoir les identifier en est une autre. Il s’agit toutefois d’une étape capitale pour éviter une intoxication qui, dans certains cas, peut conduire à la mort. Une dizaine d’espèces sont en effet mortelles et plusieurs sont toxiques.

« Quelqu’un qui n’a aucune base peut bien prendre un livre pour tenter d’identifier ses champignons à partir de photos, mais les risques de se tromper sont grands. Même les meilleurs livres ne sont jamais complets. »

— Raymond Archambault, botaniste

Vérifications

« Le risque zéro n’existe pas, rappelle Pierre Noël. On ne devrait jamais manger un champignon à moins d’être sûr de ce qu’on a cueilli. On invite les gens à faire vérifier leur récolte par un mycologue expérimenté. » Si on souhaite manger les fruits de ses récoltes, la meilleure chose est de se joindre à un groupe ou de participer à des activités de mycologie.

« Dans le doute on s’abstient, mais on peut cueillir les champignons et tenter de les identifier. L’important c’est que les gens aient envie de mieux s’informer et de découvrir ce monde fascinant. »

— Judith Noël Gagnon, biologiste

À qui s’adresser pour l’identification ?

Le Service de renseignements horticoles du Jardin botanique et la Mycoboutique offrent un service d’identification des champignons sauvages. On y laisse sa récolte dans un sac en papier ou un panier. Pour faciliter l’identification, il est conseillé de présenter certains spécimens avec le pied entier et, si possible, à plusieurs stades de développement.

Une cueillette respectueuse

Pour quelqu’un qui ne fait que s’initier, il n’est jamais utile de cueillir de grandes quantités de champignons, à moins d’être certain qu’ils sont comestibles, conseille le botaniste Raymond Archambault. « S’ils ne le sont pas, ils finiront à la poubelle au moment de l’identification. C’est du gaspillage. »

dans les parcs

Certaines régions interdisent la cueillette pour protéger la faune et la flore ou pour des raisons de sécurité, car les cueilleurs risquent de s’égarer. « Actuellement, on ne peut faire la cueillette dans les parcs fédéraux et provinciaux, ni ceux de la Ville de Montréal, explique Judith Noël Gagnon, qui agit comme guide dans des expéditions. Il reste certains parcs régionaux, les bases de plein air, les réserves, les ZEC [zones d’exploitation controlée] et les terrains privés. »

Une exposition autour du champignon

Chaque année, le Cercle des mycologues organise une exposition au Jardin botanique. Le 24 septembre prochain, plus de 200 espèces de champignons frais, récoltés dans la grande région de Montréal, y seront présentées et identifiées. Des mycologues experts seront également présents pour répondre aux questions des visiteurs.

En forêt

À la cueillette de champignons

« On ne devient pas spécialiste en une cueillette, mais je souhaite pouvoir faire germer la passion », lance la guide au groupe. Ce dimanche de septembre, les conditions sont exceptionnelles. La récolte sera bonne.

1. L’expédition du jour, organisée par la Mycoboutique, se déroule dans un boisé des Basses-Laurentides. Le lieu précis n’a été divulgué à la vingtaine de participants que trois jours avant la cueillette pour éviter que le mot ne se propage avant leur passage.

2. La flore d’un boisé est gage de certaines découvertes, car les champignons travaillent en symbiose avec les arbres. Ici, on trouve de la pruche, du bouleau, du sapin, de l’épinette, du pin… Le terrain est fertile.

3. On s’intéresse à leur saveur et à leur texture, à moins que ce ne soit à leur nom : trompette de la mort, lactaire couleur de suie ou vesse-de-loup… La nomenclature des champignons ne manque pas d’originalité. Ici, un beurre de sorcière attire l’attention par sa couleur vive et sa forme qui s’apparente à celle du corail. Pour ce qui est de son goût, toutefois, on repassera.

4. La cueillette a été fructueuse. Sur la table sont étalées plus d’une cinquantaine d’espèces de champignons de toutes formes et de toutes les couleurs : bolets, hydnes, chanterelles, lactaires, russules, pleurotes… Certains comestibles, d’autres non.

5. « J’aime bien comparer les champignons aux gens, explique la biologiste Judith Noël Gagnon, qui agit comme guide lors de l’expédition. Il faut apprendre à les connaître pour les apprécier. » Un ensemble de facteurs permettent de distinguer un champignon d’un autre. S’assurer de le faire identifier par un spécialiste est une étape cruciale avant de le manger.

6. Chaque champignon est observé scrupuleusement : a-t-il des lamelles, des pores, une odeur d’abricot, un liquide qui se dégage lorsqu’on le casse, laisse-t-il des taches bleues sur les doigts ?

7. « Quand on fait des randonnées, ça donne quelque chose à faire », explique l’un des participants, qui en est à sa cinquième cueillette. Il a commencé à s’intéresser aux champignons auprès de son père, sa conjointe s’y est mise aussi, ainsi que des amis. « La mycologie, c’est comme les champignons : ça se propage ! », dit-il.

8. La meilleure façon de découvrir les saveurs propres à chaque champignon est de les goûter individuellement. Après la cueillette, certaines variétés sont poêlées pour une dégustation. Quelques champignons se mangent crus, mais la plupart doivent être cuits, ce qui les rend aussi plus digestes.

9. « Quand on commence, il faut réduire l’entonnoir. On peut apprendre à très bien reconnaître quatre ou cinq espèces par année », suggère la guide. Ici, un lactaire saumoné, l’une des espèces les plus facilement reconnaissables et dont le goût viandeux en fait aussi l’un des plus savoureux.

10. « Je ne suis pas certain de pouvoir retenir toutes les informations », avoue Jacques Bourdages (à droite), qui participe aujourd’hui à sa première cueillette organisée, mais il a retenu les descriptions de ses préférés. L’amateur de chasse et de pêche vient d’ajouter une corde à son arc : il pourra du même coup chasser le champignon !

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