Une version « décolonisée » de l’histoire
Où étaient les autochtones avant l’arrivée des Européens ? Comment vivent-ils aujourd’hui ? Connaissez-vous des artistes autochtones ?
Ce sont des questions auxquelles les élèves du collège John Abbott sont désormais confrontés. Depuis un an, un groupe de sept enseignants de ce cégep anglophone de Sainte-Anne-de-Bellevue a entrepris un projet visant à « décoloniser » son programme.
« La décolonisation consiste à défaire les effets de la colonisation, désapprendre la pensée dominante colonialiste, inclure du contenu autochtone dans le curriculum, en apprendre davantage sur eux et reconnaître leur contribution dans la société », résume Debbie Lunny, enseignante en philosophie qui a dirigé le projet.
L’initiative a commencé de façon informelle. Les sept enseignants se sont rassemblés pour échanger des lectures et parler de différentes manières de décoloniser l’éducation au cégep. Par la suite, ils ont consulté des élèves et des experts autochtones pour connaître leur avis. Le projet était lancé.
« Dans le domaine de l’enseignement, la décolonisation consiste à questionner les relations de pouvoir, les hypothèses eurocentriques qui privilégient les perspectives eurocanadiennes. »
— Debbie Lunny
Dans ses cours, Debbie Lunny demande à ses élèves de nommer leur chanteur autochtone préféré, leur personnage de télévision autochtone préféré, leur auteur autochtone préféré. La plupart d’entre eux remettent une page blanche.
« On invite les élèves à réfléchir à travers des questions. Ce n’est pas que ces artistes n’existent pas, c’est qu’ils sont marginalisés des médias et de la société canadienne », estime l’enseignante.
Lizzie Tukai est une élève inuite qui vient d’Inukjuak, au Nunavik. Elle vient d’obtenir son diplôme en sciences sociales à John Abbott. Pour elle, la mise en place de la décolonisation dans les cours permet aux élèves de mieux comprendre la réalité des autochtones. « Il y a souvent des gens qui sont mal informés, dit-elle. Ça cause des préjugés. »
Pour Lizzie, 41 ans, cette initiative est une occasion de réconciliation entre les autochtones et les allochtones.
« Lorsqu’on révèle la vérité de l’histoire, cela redonne du pouvoir à toutes les parties impliquées. »
— Lizzie Tukai
« Ils nous ont appris l’histoire telle qu’elle s’est produite, révélé des choses qui étaient cachées, nous en ont appris davantage sur l’histoire des autochtones », dit-elle à propos de ses enseignants.
Les instigateurs du projet tâchent d’inclure dans la matière qu’ils enseignent des éléments des cultures autochtones. « Les autochtones ont besoin de trouver leur sens de soi, ils ont besoin de passer à travers la valorisation au lieu de l’humiliation », estime Jimena Marquez, enseignante en anthropologie qui fait partie de l’initiative. D’ailleurs, elle commence ses cours en reconnaissant la valeur de la chasse et de la lecture des étoiles, des valeurs importantes pour ces peuples.
Le cabinet de la ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Hélène David, estime que l’initiative du cégep John Abbott est une bonne façon d’encourager les élèves des Premières Nations à se sentir inclus dans le système scolaire. Toutefois, aucune réponse n’a été fournie par le Ministère quant à l’application de mesures décolonialistes dans l’ensemble des établissements scolaires québécois.