Quatre observateurs se prononcent

ÉGIDE ROYERme chance! »

Psychologue et professeur titulaire en adaptation scolaire à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. Grand spécialiste des questions de la prévention de l’échec et de l’abandon scolaires.

« Il est assez universellement reconnu qu’il y a une plus-value réelle à envoyer un enfant à l’école. Moi, je suis spécialisé dans les jeunes en difficulté, avec des difficultés intellectuelles ou des problèmes d’adaptation. Je suis psychologue de métier. […] Je me préoccupe des 20 % de jeunes au Québec qui ont des difficultés majeures à fonctionner à l’école, et l’état des recherches ne nous dit pas de valoriser d’abord le jeu. En tout cas, moi, ce n’est pas du tout ce que je recommanderais. […] Favoriser le développement d’un enfant autiste, par exemple, cela passe tellement par l’intervention ! […] Un Québécois sur cinq est considéré comme totalement analphabète fonctionnel. On aura beau être des semeurs d’enthousiasme, j’aurais énormément de problèmes éthiques à dire que c’est là LA solution. Moi je suis pour une école de la meilleure qualité possible, avec les meilleurs enseignants possible. Qu’ils soient peut-être ouverts à cette philosophie de l’écologie de l’enfance, mais qu’ils soient des enseignants pareil ! Je trouve que c’est tellement déstructuré et non structuré comme philosophie ! […] Vous savez, l’enfant naturellement recherche la stimulation, il faut qu’elle soit présente aussi. […] Tout le monde n’habite pas à côté d’une bibliothèque. Pour beaucoup d’enfants, l’école augmente la stimulation. Pour beaucoup d’enfants, l’école est une merveilleuse deuxième chance ! »

CHARLES CAOUETTE

Professeur honoraire au département de psychologie de l’éducation à l’Université de Montréal, cofondateur de l’école publique Jonathan, considéré comme le père de l’école alternative au Québec.

« Il est grand temps qu’on ramène les droits de l’enfant à l’avant-plan. Qu’on respecte les enfants davantage. On intervient tellement très très très tôt auprès d’eux, on est tellement pressé de faire pousser les enfants. Et on les prive de toute leur enfance ! Ils ont le droit de vivre dans la joie et la sérénité. La logique de l’écologie de l’enfance, c’est ça : que le parent arrête de pousser l’enfant. Qu’on arrête de les stresser. Et que l’école soit un milieu de vie qui permette de découvrir. Que l’école permette la joie de découvrir, à partir de tous les intérêts, toutes les passions de l’enfant. Que l’école soit un lieu de plaisir d’apprendre, sans contexte de compétition. Les parents se posent tellement de questions. Or, la philosophie de l’école alternative c’est ça : c’est l’école de l’enfant, dans le respect de la croissance de l’enfant. […] Mais si l’école devient une usine comme elle l’est actuellement, on déforme et l’enfant, et son processus d’apprentissage naturel. Parce que l’enfant apprend en jouant ! Et c’est ça qu’on détruit en disant : "maintenant, tu vas apprendre". Beaucoup d’enfants apprennent de manières différentes. Et tout de suite on s’inquiète. On est injustes et cruels envers les différences. Or, tous les enfants sont différents. »

BENOÎT HAMMARRENGER

Neuropsychologue et fondateur de la CERC (Clinique d’évaluation et réadaptation cognitive)

« On apprend en sortant de notre zone de confort. L’apprentissage, nécessairement, passe par l’effort. […] Ce n’est pas agréable, ce n’est pas le fun, mais dans le fait de persévérer, on force un chemin au niveau du cerveau, et ce faisant, on crée un apprentissage. […] Apprendre par le jeu ? Je n’y crois absolument pas. Évidemment, on va faire un apprentissage par le jeu. Mais il y a là une image un peu idéaliste et rêveuse : on nous présente un enfant dans un pré, qui apprend à compter les papillons, face à la méchante école. Mais un enfant qu’on laisse à lui-même va faire quoi ? Il va regarder la télé, jouer à des jeux vidéo. Il ne va pas progresser tout seul. Ces histoires-là, c’est anecdotique. C’est comme si je vous disais que ma grand-mère a fumé toute sa vie et qu’elle a vécu jusqu’à 102 ans, donc la cigarette n’est pas dangereuse ? […] Ça n’est pas scientifique. […] Peut-être que André Stern [voir autre texte] avait des capacités d’apprentissage et une autonomie particulière, mais ça n’est pas nécessairement le cas de tous les enfants. […] Non, on n’apprend pas toujours dans le plaisir. Il y a même quelque chose de dangereux à véhiculer ça. […] Il peut y avoir des conséquences graves à sortir un enfant de l’école. Ça sonne un peu sectaire comme affaire. […] Et il ne faut pas oublier les autres apprentissages qu’amène l’école, la socialisation de l’enfant, et le respect de l’autorité, qui permettent de respecter ensuite l’autorité en société. Si on laisse un enfant établir ses propres règles, alors quoi ? Ça ne se passe pas comme ça ensuite dans la vraie vie. »

CHRISTINE BRABANT

Professeure adjointe à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et auteure de L’école à la maison.

« Ce qui est vraiment délicat, c’est que c’est une vision de l’éducation qui est nouvelle. Bien sûr, il y a eu Summerhill (NDLR une école d’inspiration libertaire fondée en 1921 en Angleterre), mais cela se passait dans le contexte d’une école. Donc il n’existe pas de mesure, de connaissance sur les possibilités, les succès ou échecs, ou les facteurs de risque de ne pas envoyer un enfant à l’école (et de ne pas non plus lui faire l’école à la maison). Quand on présente cette philosophie comme une panacée, c’est comme si on disait que ça convenait à tous les enfants, dans tous les contextes. Je pense qu’André Stern a grandi dans un contexte très très riche sur le plan culturel et sans difficulté d’apprentissage. Mais il y a une prudence à avoir. Il y a des enfants qui pourraient voir des difficultés d’apprentissage apparaître, il y a aussi des familles culturellement moins riches. Et il y a aussi toujours un double discours. Car sous une apparence d’insouciance, d’après mon observation sur le terrain, il s’agit plutôt de parents très présents. Ils ont tout plein de livres dans la maison, discutent politique au souper. Ce ne serait pas la même chose dans une famille où il n’y aurait pas ça. Si on avait des parents analphabètes, ou avec des troubles de santé mentale, on n’aurait pas ça... »

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