Analyse

La « source d’inspiration » de Jean-François Lisée

La conjointe du chef du Parti québécois, Sylvie Bergeron, a des opinions tranchées sur la laïcité et sur l'immigration

Québec — Jean-François Lisée a changé au cours des dernières années. C’est lui-même qui l’affirme. Et une de ses sources d’inspiration est sa nouvelle conjointe, Sylvie Bergeron. C’est encore le nouveau chef du Parti québécois (PQ) qui le dit.

Personne ne l’avait remarquée jusqu’à l’assemblée où, vendredi dernier, M. Lisée a pris les commandes du PQ. Inconnue du grand public, diplômée en littérature avec des études en psychologie et en danse, elle est « instructeure en chef de la formation d’autocoaching ». La mère de la « psychologie évolutionnaire » avait eu un témoignage passablement ésotérique devant la commission parlementaire qui étudiait le projet de charte des valeurs de Bernard Drainville.

Fondatrice de « l’Observatoire de psychologie évolutionnaire », Mme Bergeron a produit « une œuvre maîtresse, Le Créateur, fruit d’une profonde étude de 25 ans sur le terrain qui a donné naissance à la pratique de la psychologie évolutionnaire, basée sur la révélation et l’intégration du Moi inconscient, en équilibre avec le Moi conscient et l’univers ». Une formation qui court sur 2000 pages, rédigées par Mme Bergeron « qui en a étudié, vécu, intégré et vérifié le contenu », affirme le site de « l’Observatoire ».

Dans un reportage désopilant, jeudi, Infoman a mis en relief cette semaine la contribution de Mme Bergeron à la commission parlementaire en janvier 2014, avant donc qu’elle partage la vie de M. Lisée. « L’homme et la femme sont d’abord des êtres nus. Nous ne sommes pas des êtres vêtus. On part du principe que, pour défendre une personne, on la voit habillée, on ne défend pas l’humain intrinsèque. »

Mais au-delà de ces propos, elle avait eu des positions étonnantes sur la laïcité dans son témoignage de près d’une heure. « Non pas que toutes les femmes voilées soient à la solde des extrémistes, mais elles constituent la façade innocente d’un trouble en germe ».

Le gouvernement, plaidait-elle, doit prendre ses responsabilités. « Ça va éliminer beaucoup de gens qui sont ici, qui sont arrivés ici avec l’illusion qu’on allait les accepter tels qu’ils sont, avec tous leurs symboles, et qui, de surcroît, s’imposent à nous, ce qui fait que c’est très désagréable pour nous, là […] nous, on subit, à ce moment-là, l’immigration », disait-elle aux députés.

« Je m’interroge absolument sur la capacité qu’on a de continuer d’accueillir des immigrants. Présentement, je pense qu’il faudrait qu’on s’occupe de ceux qui sont là, notre monde à nous autres, là. Ils sont là, ce monde-là. […] On ne peut pas aller à l’encontre de qui on est sous prétexte que, là, tout à coup, il y a tout le monde qui est arrivé, puis qu’on leur donne le droit d’être qui ils sont juste parce qu’ils paient des impôts. »

Elle était plus catégorique encore dans son mémoire déposé à la commission. Les Québécois ont, souligne-t-elle, tout fait pour s’affranchir du fondamentalisme catholique. « La Charte canadienne attire les autres religions et nous fait ainsi reculer au Moyen Âge. Ces individus multiculturalisés sont porte-parole de l’intérêt exclusif de leur communauté sans égard pour le bien commun. C’est un retour annoncé aux tensions tribales. »

changement de cap sur l’immigration

Interrogé hier, le nouveau chef péquiste soulignait avoir été « très heureux de partager la fraîcheur, l’enthousiasme, la joie de vivre de [sa] conjointe avec les nombreux auditeurs d’Infoman ! »

« Les gens me disent depuis quelques années que je suis un peu différent, vous avez vu une de ces sources d’inspiration », a-t-il laissé tomber. C’est votre coach de vie ? demandera un journaliste. « Absolument ! », de répliquer M. Lisée, ajoutant plus tard qu’il « n’était pas d’accord sur tout » avec sa tendre moitié. Mais il est vrai que M. Lisée a passablement changé de position sur l’immigration. Durant la campagne à la direction du PQ, il jugeait trop élevée la barre de 50 000 nouveaux arrivants fixée par Québec. Or, il y a 15 ans, dans un de ses nombreux ouvrages, Sortie de secours, il plaidait au contraire pour une cible encore plus élevée.

Quelques heures plus tard, il a senti le besoin de revenir sur la question. « Moi, je suis en amour avec Sylvie. Je suis en amour avec elle, et on discute de toutes sortes de choses. Vous avez sûrement un partenaire de vie aussi, vous n’êtes pas en accord avec chacune des choses qu’elle dit ou écrit, a-t-il dit. S’il y a des distinctions à faire entre mon programme et les écrits de ma conjointe, comme c’est moi qui ai été élu chef, je vous invite à lire mon programme. »

Les conseillères discrètes

Les femmes de chefs politiques ont souvent eu une grande influence sur leur conjoint. Mais leurs opinions ont rarement été connues du public. Suzanne Pilote, la conjointe de Philippe Couillard, ne se gêne pas, raconte-t-on, pour dire ce qui ne lui plaît pas à son conjoint. Mais publiquement, elle a toujours été d’une totale discrétion.

Même chose pour Michèle Dionne, la femme de Jean Charest, qui a donné beaucoup de temps à la Croix-Rouge. Pas davantage de traces des opinions de l’épouse de Daniel Johnson, une conseillère écoutée cependant. Effacée aussi, la regrettée Audrey Best, une Américaine, a pu élargir la sensibilité de Lucien Bouchard au monde anglophone de même qu’à la culture juive – le conjoint de sa grand-mère avait survécu à Dachau.

On a toujours dit qu’Andrée Simard, la conjointe de Robert Bourassa, était beaucoup plus nationaliste que le défunt premier ministre – elle était sympathique à Option Québec, le manifeste de René Lévesque pour lequel l’économiste Bourassa avait donné un coup de main. Mais encore là, on ne trouverait pas d’interventions publiques. Corinne Côté-Lévesque avait fait quelques discours convenus durant la campagne référendaire, mais la timide conjointe de René Lévesque fuyait fébrilement les caméras. Yolande, la conjointe de Gilles Duceppe, s’ajoutait aux stratèges du chef bloquiste, mais toujours en privé.

À l’autre bout du spectre, Lisette Lapointe avait transfiguré l’ours mal léché, un peu négligé, Jacques Parizeau, en homme d’État flegmatique, toujours bien mis. Elle était devenue une engeance pour les collaborateurs de Monsieur. Elle avait établi ses quartiers au bureau du premier ministre et avait été l’instigatrice du Secrétariat à l’action communautaire – aujourd’hui disparu – et mené une campagne vigoureuse pour la défense des accidentés de la route.

Sur cet axe, où logera Sylvie Bergeron ? « Einstein a dépassé le mental rationnel lorsqu’il a capté la loi de la relativité, mentionne son site internet. Il était inconscient donc incapable de savoir d’où venait l’information. » Peut-être Jean-François Lisée trouvera-t-il ainsi la date du prochain référendum...

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