Montréal, pôle mondial De savoir 

N’en déplaise à ses détracteurs, la métropole occupe la place de chef de file dans plusieurs domaines de haut savoir. Intelligence artificielle, multimédia, aérospatiale font partie des grands pôles dans lesquels la région montréalaise se distingue. La recette du succès ? Des chercheurs créatifs, des entreprises novatrices et beaucoup de flair et de talent !

Un dossier de Jean-François Venne, Collaboration spécialE

Intelligence artificielle

Attirer les géants

Montréal est en passe de devenir un pôle important de l’intelligence artificielle (IA), notamment grâce à l’expertise développée dans ses universités et ses centres de recherche.

Dans les années 90, l’IA fait des bonds de géant grâce à une approche reproduisant les réseaux de neurones du cerveau humain. C’est la naissance de l’apprentissage profond. Dorénavant, les systèmes peuvent apprendre par eux-mêmes à réaliser des tâches complexes, pour lesquelles il serait très ardu de les programmer.

Avec l’augmentation de la puissance des processeurs graphiques et la quantité sans cesse croissante de données, l’intelligence profonde s’annonce comme la grande révolution des prochaines années. Elle est déjà omniprésente dans la reconnaissance vocale, la recherche d’images en ligne et la technologie financière, par exemple.

Le talent amène les investissements

Yoshua Bengio est l’un des grands pionniers de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage profond, et c’est à Montréal qu’il travaille. Le cofondateur d’Element AI et professeur à l’Université de Montréal a joué un rôle crucial dans l’émergence de la ville comme pôle de l’IA. Il dirige l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal (MILA), le plus grand et le plus prestigieux groupe de chercheurs en apprentissage profond du monde. Google a versé 4,5 millions en 2016 au MILA, et Microsoft, Intel et Nvidia ont financé Element AI à hauteur de 137,5 millions.

20 %

En 2016, près de 20 % des investissements étrangers à Montréal ont été effectués en IA.

Source : Montréal International

En 2017, Thales, le géant français de l’aérospatiale, du transport terrestre et de la défense, choisit Montréal pour établir son centre de recherche en IA, composé d’une cinquantaine de chercheurs. CortAlx collaborera avec le MILA et l’Institut de valorisation des données (IVADO), où Yoshua Bengio agit comme directeur scientifique. Le but de ce centre sera de trouver des solutions afin d’aider les compagnies aériennes, les opérateurs de satellites, les contrôleurs aériens, les opérateurs de transport, les forces armées et les gestionnaires d’infrastructure à prendre les meilleures décisions dans les moments cruciaux.

2017, année charnière

Thales est loin d’être la seule entreprise à avoir opté pour Montréal cette année. Le leader mondial de l’IA, DeepMind, y a ouvert un bureau, en étroite collaboration avec l’Université McGill. La chercheuse Doina Precup, membre du MILA, associée principale à l’Institut canadien de recherches avancées (ICRA) et professeure agrégée à l’École d’informatique de l’Université McGill, a été choisie comme directrice du bureau de Montréal. 

Cette pionnière de l’IA est une spécialiste de l’apprentissage par renforcement, une branche de l’apprentissage profond et l’une des spécialités de DeepMind. Ce dernier financera aussi les programmes de recherche en IA de McGill et remettra des bourses aux étudiants au doctorat, renforçant d’autant les capacités montréalaises dans ce domaine.

250 

Nombre de chercheurs en IA à l’Université de Montréal et à l’Université McGill, la plus forte concentration du monde 

Source : Montréal International

De son côté, Facebook a investi 7 millions pour ouvrir le Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR), un laboratoire de recherche en IA à Montréal. Joëlle Pineau, professeure à l’Université McGill et codirectrice du Reasoning and Learning Lab, spécialisé dans le rayonnement et l’apprentissage, dirigera ce laboratoire, le premier du genre au Canada pour Facebook. L’équipe rassemblera une dizaine de chercheurs et une trentaine de scientifiques d’ici la fin de l’année 2018.

Québec et Ottawa contribuent

Les gouvernements s’y mettent aussi. Québec a annoncé un financement de 100 millions sur cinq ans lors de son budget 2017, pour créer une super grappe en IA. Ottawa, de son côté, a débloqué 125 millions pour lancer une stratégie pancanadienne en matière d’IA, dont une somme de 40 millions est destinée à Montréal.

Après cette série de succès auprès d’investisseurs étrangers, il faudra que des entreprises québécoises et canadiennes fassent leur marque pour assurer que le rôle de Montréal comme pôle de l’IA se transforme en brevets et en création de valeur, soutient toutefois Yoshua Bengio. « Même si ces grandes entreprises qui s’installent à Montréal contribuent de belle façon à l’écosystème, on aura besoin, d’ici quelques années, d’entreprises canadiennes pour lancer le pays vers la voie du succès international », a-t-il confié à La Presse en octobre dernier. 

Multimédia 

Montréal, cité du jeu... vidéo

Les 18 et 19 novembre 2017, Montréal accueillait son premier salon international consacré au jeu vidéo, le MEGA (Montréal Expo Gaming Arcade). C’est tout ce qui manquait à la métropole pour confirmer son statut de grand pôle mondial du multimédia.

L’industrie canadienne du multimédia se divise entre le jeu vidéo, le divertissement interactif et les arts numériques (comme l’animation et les effets spéciaux), et les technologies web. Depuis les années 80, Montréal a connu une longue montée en puissance dans ce champ d’activité.

Daniel Langlois a posé un jalon important de cette histoire en fondant Softimage en 1986. L’entreprise lance alors un premier logiciel d’animation 3D. Il connaît un tel succès que Steven Spielberg l’utilisera pour faire vivre les fameux dinosaures de Jurassic Park. Fondé en 1996, Digital Dimension est un autre grand acteur montréalais, qui a contribué à la série télévision Quantico et aux jeux Assassin’s Creed et Tom Clancy Rainbow Six Siege. Rodeo FX, créé en 2006, s’est quant à lui distingué par sa contribution à Game of Thrones, laquelle lui a valu trois prix Emmy. Montréal a continué depuis de faire sa marque aux petit et grand écrans, avec les Cinesite, Moment Factory, Minority Media et autres Vision Globale.

Dix ans après la création de Softimage, l’arrivée d’Ubisoft est un gros coup pour Montréal. L’entreprise française contribue à la transformation du Mile End. Le quartier accueillera par la suite plusieurs entreprises technologiques. En 20 ans, le studio fort de plus de 3000 employés a produit près de 100 jeux vendus à 250 millions d’exemplaires. En septembre 2017, la firme derrière Assassin’s Creed et Far Cry annonçait 1000 nouveaux emplois à ses bureaux de Québec et l’ouverture d’un studio à Saguenay.

Nombre de studios de jeux vidéo au Québec. Près de 10 000

professionnels y travaillent.

Source : Investissement Québec

Plusieurs autres grands acteurs viendront s'établir dans la métropole. Electronic Arts fonde EA Montreal (NHL 07, Need for Speed : Nitro) en 2004. Eidos, la filiale du géant japonais Square Enix (Deux Ex, Tomb Raider, Thief) s’installe à Montréal en 2007, suivie, en 2010, par le studio WB Games Montréal (Batman : Arkham Origins, Batgirl : A Matter of Family) du géant américain Warner. La présence de ces acteurs importants contribue à l’émergence d’un grand nombre d’entreprises en démarrage dans le multimédia et le jeu vidéo. Montréal est aujourd’hui la cinquième ville en importance de l’industrie mondiale du jeu vidéo, selon Investissement Québec.

La Cité du Multimédia

Le Mile End n’est pas le seul quartier à en profiter. Depuis la fin des années 90, le sud du centre-ville héberge la Cité du Multimédia. Au départ, l’idée était d’aider le secteur des nouvelles technologies tout en revitalisant l’ancien Faubourg des Récollets, devenu entre-temps le quartier des Écluses. La Cité du Multimédia était un projet immobilier doublé d’un programme de subvention à l’emploi pour les entreprises s’établissant dans le quartier. Le projet s’est toutefois attiré de nombreuses critiques, accusé de faire exploser les coûts de l’immobilier. Le crédit d’impôt était, quant à lui, soupçonné de maintenir une industrie artificielle, incapable de survivre sans l’aide de l’État.

Le gouvernement n’a pas pour autant renoncé à soutenir cette industrie. En 1997, il avait créé un crédit d’impôt remboursable en multimédia redonnant 50 % des salaires des employés. Ce crédit est passé à 37,5 % en 2003. Et le Québec reste attractif. En septembre dernier, la firme française Mathematic Studio, derrière des vidéoclips de Madonna, Rihanna et Coldplay et les publicités de Perrier, Dior et Chanel, annonçait l’ouverture de son premier studio étranger à Montréal, comme l’avait fait avant elle le développeur japonais de jeux vidéo CyberConnect2 en mai 2016. 

Aérospatiale

La naissance de Fleurons

Dans le domaine de l’aérospatiale, Montréal est la troisième ville au monde après Seattle (Boeing) et Toulouse (Airbus). Et ce n’est pas d’hier que le Québec se distingue dans ce secteur. En 1903 on y retrouve déjà Marconi Canada, entreprise qui deviendra Esterline CMC Électronique en 2001. C’est aujourd’hui un chef de file mondial en produits électroniques pour l’aviation.

En 1928, le Québec est considéré comme un bastion de l’aéronautique lorsque l’entreprise Pratt & Whitney Canada y est fondée par James Young, pour réparer et réviser les moteurs de la multinationale.

Puis, dans les années 40, des fleurons de l’industrie aérospatiale québécoise naissent : Héroux-Devtek (1942), CAE (1947), Rolls-Royce Canada (1947). Héroux-Devtek fournira d’ailleurs le système d’alunissage du module lunaire Apollo, qui permettra à Neil Armstrong de devenir le premier humain à poser le pied sur la Lune. Au total, on retrouve aujourd’hui dans la grande région montréalaise 205 maîtres d’œuvre, fournisseurs et sous-traitants.

Bombardier, un important joueur

C’est le 23 décembre 1986 que Bombardier fait son entrée dans cette industrie, en rachetant Canadair. À peine trois ans plus tard, Bombardier lance le programme du Regional Jet, visant la conception d’un avion de ligne à réaction de 50 places, le Bombardier CRJ, qui sera homologué le 31 juillet 1992.

Bombardier consolide sa position dans l’industrie en rachetant Short Brother PLC en Irlande du Nord (1989), Learjet Corporation (1990) et De Havilland Canada (1992). Aujourd’hui, Bombardier vend les Learjet, Challenger, Global, CRJ Series, Q Series et bien sûr le fameux C Series partout dans le monde. En 2017, la propriété du C Series a toutefois été cédée à Airbus. Bombardier demeure un propriétaire minoritaire.

Au cœur de l’industrie

La même année où Bombardier entrait dans l’industrie, le Sommet économique de Montréal présentait la métropole comme capitale canadienne de l’aérospatiale. Dans La Presse du 19 juin 1986, on peut lire que le gouvernement Mulroney fera tout pour soutenir cette industrie montréalaise.

70 %

Part de la recherche et développement en aérospatiale au Canada réalisée dans la grande région de Montréal

Source : Aéro Montréal

Au fil des ans, Montréal a aussi séduit des organisations civiles et privées qui sont au cœur même de l’industrie aéronautique. Depuis 1947, on y retrouve ainsi le siège social de l’Organisation civile internationale (OACI), qui emploie environ 500 personnes et génère des retombées économiques annuelles évaluées à 120 millions de dollars. Cette agence onusienne élabore des normes de standardisation du transport aéronautique international.

Montréal héberge aussi le siège social de l’Association du transport aérien international (IATA), dont l’activité principale est la simplification des facturations entre les compagnies aériennes, les agents de voyages ou les transitaires de fret. Les fameux codes YUL, CDG et autres JFK sont assignés par cette organisation, laquelle emploie plus de 300 personnes à Montréal.

La croissance générale du secteur pose toutefois un défi de recrutement de main-d’œuvre. L’École des métiers de l’aérospatiale de Montréal et l’École nationale d’aérotechnique, notamment, rivalisent d’efforts et d’investissements pour attirer plus de candidats, afin d’assurer que cette industrie montréalaise puisse maintenir sa croissance.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.