La virée des galeries leonard cohen – une brèche en toute chose

Quelles sont les expositions à voir ce week-end ? Chaque jeudi, nos critiques en arts visuels proposent une tournée de galeries et de centres d’artistes.

Cette semaine : pleins feux sur l’exposition du MAC consacrée à Leonard Cohen.

L’avis de notre critique d’arts visuels

La lumière de Cohen

La dimension de l’homme comme de l’artiste rendait immense tout défi de célébrer Leonard Cohen. Le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) est parvenu à renouveler le sens de l’hommage avec une exposition inventive, critique et émouvante. Un grand moment qui révèle la lumière de Cohen, comblera ses fans et constitue un cas d’excellence muséale.

« C’est une exposition qui va marquer Montréal comme monsieur Cohen a marqué Montréal pour toujours. »

La présidente de la Société des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, France Chrétien-Desmarais, a inauguré en ces mots, hier, l’exposition Leonard Cohen – Une brèche en toute chose. Une inauguration empreinte de solennité et de respect envers un homme, un poète, un écrivain disparu le 7 novembre 2016 et dont le talent et l’humanité sont célébrés partout depuis.

Mais célébrer n’est pas se prosterner. Les commissaires Victor Shiffman et John Zeppetelli (directeur du MAC) l’ont bien compris, il y a deux ans et demi, quand ils se sont penchés sur l’idée d’une expo sur Leonard Cohen à l’occasion de l’anniversaire de la ville qu’il chérissait. 

Une brèche en toute chose, c’est ainsi que pénètre la lumière, disait le chanteur dans Anthem. Ce sont ces brèches dans la carrière et la vie de Cohen que nous donnent à voir et à vivre les 20 œuvres des 40 artistes de l’exposition. Une expo, autant le dire tout de suite, qu’on ne peut voir en une seule fois, tant il y a à découvrir, à savourer et à ressentir.

L’œuvre la plus bouleversante s’intitule Passing Through. Diffusé sur trois murs, ce montage efficace et sensible de George Fok offre une heure de Leonard Cohen en concert. Cinq décennies de spectacles dans le monde entier. Des extraits mis parfois bout à bout pour donner à apprécier une chanson interprétée dans les années 60, puis dix ans plus tard. Une œuvre qui éclaire la personnalité de Leonard Cohen – son humour, sa générosité, sa simplicité – tout comme l’amour de son public.

Dans le même esprit, soulignons la qualité de la création de Kara Blake, qui a monté des entrevues de Cohen dans lesquelles on apprend beaucoup sur sa vie, son travail d’écriture, sa spiritualité, son approche de l’amour. Trente-cinq minutes passionnantes durant lesquelles on retrouve la vivacité de son intelligence.

S’ensuit l’œuvre magnifique de la Sud-Africaine Candice Breitz, qui est venue à Montréal enregistrer 18 fans de Leonard Cohen, âgés de plus de 65 ans, chantant des chansons de leur idole. Un exercice couplé aux voix de la chorale de la synagogue de l’artiste, Shaar Hashomayim. Superbe !

Les chansons de Cohen sont également célébrées par 18 interprétations nouvellement enregistrées. Confortablement assis, le visiteur peut écouter Ariane Moffatt et l’Orchestre symphonique de Montréal dans une reprise de Famous Blue Raincoat. Mais aussi Feist chantant Hey, That’s No Way to Say Goodbye ou encore The National interprétant Memories avec notamment Ragnar Kjartansson.

Avec I’m Good at Love, I’m Good at Hate, It’s in Between I Freeze, Michael Rakowitz élabore une réflexion sur les liens entre Cohen et le conflit israélo-palestinien. Un déchirement pour l’artiste juif et humaniste qui a joué devant les troupes d’Ariel Sharon durant la guerre du Kippour, mais qui n’a pu se produire à Ramallah, en Palestine.

Le réalisateur israélien Ari Folman (Valse avec Bachir) participe pour la première fois à une exposition muséale. Son hommage porte sur la mélancolie de Cohen. Il invite les visiteurs à s’allonger, une personne à la fois, dans une « chambre de dépression » qui plonge dans une expérience surnaturelle. Une œuvre de cinq minutes pour laquelle il faut faire la file…

Expérience également originale des frères Sanchez. Leur installation reproduit le bureau de Cohen dans sa résidence de Los Angeles, ajoutant un élément holographique qui permet de voir le poète, assis sur son balcon, qui tourne soudain la tête vers le visiteur…

Autre coup d’éclat dans l’expo, les performances de Clara Furey. La chorégraphe et danseuse montréalaise propose, pendant 90 jours, une interprétation corporelle du poème When Even The, écrit par Cohen en 1982. Une réflexion sur la mémoire, la vie, la mort, qu’on peut voir aujourd’hui et demain, de 19 h à 20 h 30, et samedi et dimanche, de 14 h à 15 h 30.

Jon Rafman a créé une installation vidéo intitulée Legendary Reality que l’on découvre installé dans un vieux fauteuil troué de cinéma ! Un film mêlant science-fiction et images de jeux vidéo qui s’inspire de la quête de sens de Leonard Cohen.

Parmi les œuvres de conception très contemporaine, signalons Hallelujah, de Zach Richter. Une expérience de réalité virtuelle avec le chanteur Bobby Halvorson. Et la réalisation de Daily tous les jours (Mouna Andraos et Melissa Mongiat) pour laquelle le visiteur s’empare d’un micro pour fredonner Hallelujah en même temps qu’une chorale diffusée par des enceintes.

La chorale est constituée du nombre de personnes qui écoutent en même temps Hallelujah sur internet. Et vibrent donc toutes en même temps à l’exécution de cette chanson. D’ailleurs, quand vous fredonnez vous-même la chanson en étant proche du micro, vous sentez le sol vibrer. Une sensation conforme à l’impression générale qui se dégage de cette exposition qui honore autant Leonard Cohen que tous les artistes qui y célèbrent son art.

Leonard Cohen – Une brèche en toute chose, jusqu’au 9 avril 2018 au Musée d’art contemporain de Montréal

L’AVIS DE NOTRE CRITIQUE MUSICAL

Une musique sans frontières

Ce qui frappe d’abord quand on visite l’exposition Leonard Cohen – Une brèche en toute chose/A Crack in Everything du Musée d’art contemporain, c’est la présence imposante de cet artiste pourtant très discret.

S’il se faisait rare à la télé et n’était pas constamment en tournée – quoique sa présence n’y ait pas été négligeable au fil de cinq décennies, nous rappelle l’expo –, Leonard Cohen a touché profondément beaucoup de gens par ses écrits et surtout ses chansons, chantées par lui ou par d’autres artistes qui se les sont appropriées à la suite de Judy Collins dans les années 60.

Contrairement à l’expo sur Pink Floyd qu’a montée cette année le Victoria and Albert Museum de Londres, celle du MAC sur Leonard Cohen ne se concentre pas presque uniquement sur la musique. En ce sens, elle fait davantage penser à l’expo David Bowie Is…, qui témoignait de l’influence du chanteur britannique dans plusieurs disciplines artistiques.

N’empêche, comme l’a rappelé hier matin le directeur général du MAC, John Zeppetelli, il fallait absolument que la musique soit au cœur d’une expo sur Leonard Cohen.

Elle l’est dans la relation intimiste que ses chansons ont tissée avec ceux qui les ont écoutées. Le cinéaste israélien Ari Folman, réalisateur du documentaire d’animation Valse avec Bachir, l’illustre parfaitement dans sa « chambre de dépression », inspirée par l’expérience de sa sœur aînée qui, à la suite d’une peine d’amour, s’était enfermée dans sa chambre pour écouter en boucle le premier album de Leonard Cohen pendant des semaines.

On entre seul dans la petite pièce qu’a reconstituée Folman, on s’étend sur le lit et on entend une chanson qui n’est toutefois pas de ce premier album de Cohen : Famous Blue Raincoat. Sur les murs tout autour apparaissent les paroles de ladite chanson et des objets animés, sacrés et profanes, qui font partie du vocabulaire de Cohen. Ces objets convergent tous vers le plafond où ils ensevelissent progressivement l’image en miroir du visiteur.

Mais on ne sort pas du tout déprimé de la boîte d’Ari Folman parce que, comme le dit le titre de l’exposition du MAC, si sombre que soit le propos de Leonard Cohen, il est toujours traversé par la lumière, par la beauté.

La relation très personnelle qu’a entretenue Cohen avec ses auditeurs est tout aussi frappante dans l’interprétation que font de ses chansons des artistes d’âges et de sensibilités différents dans la salle d’écoute où les visiteurs peuvent chiller. Ou méditer, c’est selon.

Parmi ces 18 reprises faites en toute liberté, trois chansons sont relues deux fois de manière très différente, illustrant parfaitement le registre créatif de Leonard Cohen.

Ainsi, alors que Lou Doillon livre une version sur le ton de la confidence, guitare-voix avec quelques bruits en arrière-plan, de Famous Blue Raincoat, Ariane Moffatt en tire une interprétation éclatée et puissante en intégrant çà et là la contribution des musiciens de l’OSM sur un beat électro. Sa longue finale instrumentale est un pur objet de beauté dans lequel on discerne la voix unique de l’artiste célébré qui signe, comme dans sa chanson, quatre fois plutôt qu’une, « sincerely L. Cohen ».

De même, la Dance Me to the End of Love de Douglas Dare s’éloigne de la mouture plus fidèle à la chanson d’origine de Basia Bulat en en accentuant la mélancolie. Et l’Anthem atmosphérique des Dear Criminals n’est plus l’hymne quasi religieux de son auteur.

La voix de Leonard Cohen nous accompagne d’une pièce à l’autre de cette exposition. Mais la présence de l’auteur-compositeur-interprète n’est nulle part aussi forte que dans une pièce où est projeté sur de multiples écrans un collage de prestations de certaines de ses chansons les plus connues filmées à la télé, dans des vidéoclips ou sur scène, à ses débuts dans les années 60, au festival de l’île de Wight en 1970 ou en tournée dans les années 80, comme en 2008 et en 2012 lors de son retour triomphal.

À voir absolument de bout en bout.

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