Opinion

La faillite du multiculturalisme

Les déclarations récentes de Maxime Bernier au sujet du « multiculturalisme radical » suscitent toutes sortes d’émois, de haut-le-cœur et de réprobations au Canada. Les grands partis canadiens et certains chroniqueurs politiques y perçoivent même un geste de lèse-majesté. Tandis que d’autres y voient l’expression, bien que confuse, d’un positionnement largement partagé au Québec.

Lorsqu’on scrute la pratique du multiculturalisme au Canada, on peut certainement conclure qu’elle mène à un véritable cul-de-sac. Mais en réplique, l’interculturalisme québécois ne nage-t-il pas lui-même dans le plus grand flou ? Ne procède-t-il pas d’une kyrielle de bonnes intentions doublées d’une efficacité douteuse ? En tout cas, les interventions du député de Beauce ont le mérite d’ouvrir le débat sur la gestion de la diversité, une problématique au cœur de l’imbroglio de l’immigration au Québec.

La diversité culturelle, une question de fait

D’entrée de jeu, on doit absolument distinguer deux concepts, la « diversité culturelle » et le « multicuturalisme », puisque d’aucuns maintiennent sciemment la confusion entre ces deux notions de façon à fustiger toute critique du multiculturalisme.

La diversité culturelle, c’est une réalité incontournable, une question de fait. Tout au long du XXe siècle, le Québec a vu sa propre culture enrichie de multiples sources et encore plus fortement depuis les années 70. À titre d’exemple, rappelons que de nombreux Québécois d’origine italienne, portugaise, roumaine, vietnamienne, haïtienne, africaine, latino-américaine, maghrébine ou asiatique se sont joints à la nation québécoise et y ont apporté leur apport et leur culture. 

La grande majorité des Québécois n’a d’ailleurs jamais vraiment manifesté de fermeture envers les nouveaux arrivants, hormis parmi certains milieux plus conservateurs ou reclus.

Au cours des années 80, il y avait même plus de médecins d’origine haïtienne au Québec qu’il n’y en avait en Haïti. De quoi briser le mythe du « racisme systémique » que pratiquerait le Québec.

Le multiculturalisme, une mosaïque communautariste

Le multiculturalisme, c’est une orientation idéologique imposée par Pierre Elliott Trudeau à compter de 1971. Son essence, inspirée du modèle britannique, consiste à associer le Canada à une « mosaïque », sans socle commun, une agglomération de diverses communautés culturelles et linguistiques, parmi lesquelles défile le Québec. Bref, des cultures, toutes égales entre elles, sans qu’aucun peuple ou nation (concepts étrangers au paradigme de Trudeau) puisse exiger quelque primauté dans l’ensemble canadien.

Cette visée initiale consistait à briser toute velléité du Québec d’obtenir le titre de nation ou un statut particulier au sein du Canada.

Pour s’en convaincre, il suffit de revoir les débats de la conférence constitutionnelle convoquée en 1968 par P. E. Trudeau exprimant sans détour sa hargne et son mépris envers Daniel Johnson père qui réclamait la reconnaissance de la nation québécoise ainsi qu’un transfert de maîtrise d’œuvre dans des domaines de compétence comme la culture, le droit de la famille et l’immigration. Le multiculturalisme a donc des objectifs politiques très nets qui heurtent de front les aspirations québécoises. En 1971, on avait ainsi une première édition de la vision « postnationale » de Justin.

Les intégrismes religieux dans la mêlée

Notons qu’au point de départ, la problématique de la montée des intégrismes religieux utilisant la logique multiculturelle n’était pas encore dans la mêlée.

C’est à compter des années 90 que le legs du trudeauisme a servi de tremplin à cette montée. Avec la brèche du multiculturalisme, on a réussi à faire prévaloir des préceptes idéologiques, signes et accommodements religieux dans les institutions publiques. Même les plus contestables, comme du côté du sikhisme ou de l’intégrisme salafiste ou wahhabite. 

Ces idéologies politico-religieuses ont donc frappé à la porte du multiculturalisme et connu des avancées.

Ainsi en fut-il de l’autorisation du port de turbans sikhs pour les agents de la GRC en 1995, de la suggestion de Marian Boyd en 2004 (ex-ministre ontarienne néo-démocrate) d’envisager pour les musulmans un traitement distinct fondé sur la charia pour les litiges familiaux, ou du jugement de la Cour suprême du Canada en 2012 autorisant qu’une personne puisse témoigner en cour le visage couvert. Il y a aussi récemment l’idée lancée de créer une DPJ musulmane distincte au Québec. Un projet mort-né, heureusement !

Le multiculturalisme génère donc le repli sur son groupe, sa religion, ses croyances. Au lieu d’intégrer, il génère la fragmentation et les enclaves. Il accueille favorablement le prosélytisme des intégrismes religieux. Or, ces revendications menacent les acquis et les cultures laïques des sociétés démocratiques, sans oublier le principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

L’interculturalisme, SOLUTION DE RECHANGE ou version hybride du multiculturalisme ?

En réponse au multiculturalisme, à compter des années 80, le Québec a délimité son mode d’accueil des nouveaux arrivants et la gestion de la diversité culturelle. Il s’agit de « l’interculturalisme » privilégiant l’intégration des nouveaux arrivants dans un processus de réciprocité bidirectionnel. Le Québec déclarant accueillir les nouveaux immigrants, mais demandant en retour à ces derniers d’adhérer au socle commun d’une société québécoise démocratique, pluraliste, laïque, française et fondée sur le principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

À première vue, ça va, mais l’interculturalisme n’est l’objet d’aucune législation formelle. Seule la loi 101 lui donne un ancrage.

Aussi, aucune loi n’articule formellement cette laïcité construite progressivement et fortement établie au Québec. D’ailleurs, la déclaration sur les valeurs communes que signent les nouveaux arrivants depuis 2009 pour obtenir leur certificat de citoyenneté, reconnaissant que l’État québécois est laïque, n’est autre chose que du vent. Elle n’a aucune portée juridique et contraignante pour eux. Ce qui démontre le caractère vaporeux de l’interculturalisme, celui-ci procédant davantage de vœux pieux que d’une politique réelle et efficace.

D’où l’urgence que le Québec adopte le plus rapidement une législation proclamant une laïcité formelle de l’État et des organismes publics, une laïcité de fait et d’apparence. Elle devrait aussi interdire tous les symboles et signes religieux à l’Assemblée nationale, qu’il s’agisse du crucifix, du voile ou du turban. Les Québécois ne rejettent donc pas les immigrants, mais bien le multiculturalisme et les intégrismes religieux qui minent les institutions publiques. Une diversité saine et démocratique suppose le respect de la liberté de conscience de tous et toutes et elle n’est possible que par la laïcité. C’est pourquoi l’interculturalisme doit donc être revu ou raffermi pour générer des processus de réciprocité effectifs. Aucun parti politique ne peut esquiver cette question dans le cadre de la présente campagne électorale.

Du côté du Canada anglais, il n’y a pas de grande lueur d’espoir pour le moment. Le multiculturalisme reste maître du jeu et continue de balkaniser la société.

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