Chronique

De la bêtise et de la beauté

C’est le seul beau côté de cette épouvantable semaine. La communauté majoritaire au Québec, celle des francophones catholiques blancs, s’est rendu compte que la communauté musulmane était composée de gens comme eux. Il était temps. Avant, la communauté musulmane, ce n’était pas des gens, c’était un lobby, une faction, une secte. On ne connaissait ni leur nom ni leur visage. Encore moins leur réalité, encore moins leurs rêves. On faisait notre affaire, ils faisaient la leur. Des mondes parallèles qui ne se croisaient jamais.

Il a fallu qu’un fou à l’âme perdue tue six musulmans dans une mosquée pour que les autres musulmans autour prennent vie dans notre société. Celle de Radio-Canada et de TVA. Celle des journaux et de la radio. Celle des conversations à la table et au bureau. Celle de notre quotidien.

On a vu plus de musulmans prendre la parole sur nos ondes, en six jours, qu’on en avait vu en 150 ans. En 375 ans. Nos médias n’avaient pas le choix. C’étaient eux, les victimes. C’étaient eux, les témoins. Et ils ont été grands. Très grands. Ils ont raconté leur peine sans jamais laisser entrevoir de haine. Sans aucune rage envers nous, les cousins de leur assassin. Au contraire, ils avaient même l’air reconnaissants qu’on s’intéresse à eux. Qu’on se mêle à eux. Qu’on leur prête une épaule. Enfin.

Nous avons appris à prononcer leurs noms avec respect : Khaled, Abdelkrim, Aboubaker, Mamadou, Ibrahima, Azzeddine. Nous avons appris que c’étaient d’honnêtes travailleurs, de bons citoyens. Des pères, des profs, des leaders. Bref, nous avons appris à les connaître. Trop tard. Heureusement, il reste les survivants.

Et les survivants, ce sont tous les musulmans qui ont choisi notre pays. Et tous les Québécois, aussi, eux y compris. Les 8 millions de Québécois qui survivent à cette tuerie. Ensemble. Plus unis.

Ce dialogue ne peut qu’ouvrir les esprits de part et d’autre. Apprendre d’eux, la tradition. Apprendre de nous, l’émancipation. Se découvrir. Se dévoiler. Pas juste la tête. Le cœur, surtout.

Être vigilants

Mais faut pas se conter d’histoires, cette belle fraternité risque de ne durer qu’un temps. Faudra être vigilants, pour ne pas se perdre de vue. Pour ne pas renouer avec nos vieux réflexes. Pour ne pas se laisser guider par la peur de l’étranger.

Le racisme est la plus grande des conneries. Non, mais pensez-y. On a réduit des êtres humains en esclaves à cause de la couleur de leur peau. La couleur ! Y’a-tu quelque chose de plus anodin qu’une couleur. Même le plus con des cons sait qu’une Honda Accord bleue ou une Honda Accord verte, c’est le même foutu char, pourquoi il ne comprend pas qu’un humain blanc, qu’un humain noir, qu’un humain jaune, qu’un humain rouge, c’est le même foutu humain !?

L’homme qui ne s’aime pas a besoin d’une raison de ne pas aimer les autres. La couleur, l’accent, la nationalité, le sexe, la religion, la grosseur, la petitesse, le rang social, n’importe quoi, pourvu que ça lui permette de jeter toute la haine qu’il a en lui sur les autres. Pendant qu’il passe du temps à détester les immigrants, les femmes, les homosexuels, les handicapés, tous ceux de qui il peut se différencier, il en passe moins à se détester lui-même.

Quand on est incapable de s’élever, on rabaisse son voisin, pour se sentir moins petit. C’est la bêtise humaine. Rendre un innocent responsable de son propre malheur. Le problème, c’est que lorsqu’on veut combattre la bêtise, on devient souvent bête.

Dénoncer Donald Trump pour son agressivité, sa fermeture, son obscurantisme, c’est bon. Dire comme Robert De Niro qu’on voudrait lui péter la gueule ou comme Madonna qu’on voudrait brûler la Maison-Blanche, c’est trop. C’est devenir ce que l’on dénonce. La bêtise entraîne la bêtise. C’est pour ça qu’on ne s’en sort pas. On combat toujours le feu par le feu. Et après, on s’étonne que la terre entière soit brûlée. C’est l’eau qui éteint le feu. On le sait bien. Mais où est l’eau ?

L’eau, ce sont toutes les paroles de paix, tous les gestes d’entraide qui coulent sans qu’on s’y abreuve. On parle toujours des insultes qui prolifèrent sur les réseaux sociaux, mais il y a surtout plein de c’est beau Nicole, bravo Abid, on t’aime Karine, qu’on lit sans s’y attarder. On accorde toujours de l’importance aux mots méchants. Rarement aux mots gentils. La gentillesse, on trouve ça nono. Et après, on se demande pourquoi le monde est mauvais.

C’est ce qui a fait le plus de bien, cette semaine. Après l’horreur de dimanche, on a montré plein de gens être fins les uns avec les autres. Tout le monde s’aimait. Même les politiciens entre eux. Tout le monde a baissé le ton. Et tout le monde a fait attention. Pour ne pas être trop con.

Ça ne durera pas.

Mais si cette accalmie réussit à redonner espoir à une seule personne, ce sera déjà beaucoup.

Parce qu’un seul désespéré de moins, ça peut vouloir dire beaucoup de vivants de plus.

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