Entrevue avec l’ex-ministre des Finances du Québec

« Je vois la CAQ aller dans toutes les directions »

L’ex-ministre des Finances Carlos Leitão apprivoise son nouveau métier, celui de porte-parole de l’opposition en matière de finances publiques. À la veille du premier énoncé budgétaire du nouveau gouvernement, M. Leitão a répondu aux questions de La Presse.

Est-ce que vous trouvez ça frustrant de ne plus être du côté des décideurs ?

Je ne dirais pas frustrant, mais c’est différent. Mon nouveau rôle, il faut que je l’apprivoise, que je l’apprenne aussi. J’aurais bien voulu continuer le travail qu’on avait commencé parce que là, maintenant, c’est la partie plus facile. Il fallait mettre la maison en ordre et là, maintenant, on peut jouir du travail qu’on a fait avant parce qu’on a les marges de manœuvre, ce que nous, on n’avait pas il y a quatre ans. Alors ça aurait été beaucoup plus intéressant.

Mais quand même, c’est un rôle important pour moi de surveiller le gouvernement et de m’assurer qu’il reste sur le droit chemin.

Avez-vous le sentiment que le gouvernement de François Legault va récolter ce que vous avez semé ?

Absolument. Surtout que j’avais plusieurs idées sur ce qu’on pourrait faire. C’est dommage et je suis un peu déçu de cela, mais en même temps, c’est la démocratie, la population a parlé. Mais j’ai été élu dans un comté que j’aime bien et qui me ressemble beaucoup et je vais rester les quatre années pour représenter les citoyens.

Le soir même des élections, on vous voyait déjà ailleurs, chez les libéraux fédéraux ou à la Banque du Canada. Est-ce que ce sera pour après 2022 ?

On verra bien en 2022. Tout peut arriver. J’aurai 66 ans. J’ai été élu le 1er octobre pour un mandat de quatre ans et ça n’a même jamais traversé mon esprit de partir. J’ai appris les rumeurs comme vous. Il n’est pas question d’aller à Ottawa. Je dois vous dire que j’ai eu une conversation très rapide avec mon député fédéral, que je connais bien, le 2 ou le 3 octobre. Il allait un peu à la pêche et j’ai aussitôt fermé la porte. Quant à la Banque du Canada, je ne pense pas avoir le profil pour ça. Il faut quelqu’un de très spécialisé dans la politique monétaire.

Sur le plan économique, le nouveau gouvernement semble se situer dans la continuité. Il sera peut-être difficile pour vous de le critiquer.

Non, au contraire, je ne les vois pas beaucoup dans la continuité. Si vous voulez dire qu’ils se sont engagés à respecter l’équilibre budgétaire, oui. Ça, je pense qu’il y a au Québec un énorme consensus que l’équilibre budgétaire doit être maintenu. Après, pour la continuité, je ne suis pas d’accord avec vous parce que je trouve qu’après le premier mois et après le discours inaugural, je vois la CAQ aller dans toutes les directions. Ils veulent tout faire en même temps. Ils veulent investir massivement dans les infrastructures, sans avoir fait les études nécessaires. Ils veulent augmenter les dépenses de programmes, en santé, en éducation et en justice.

Et ils veulent réduire le fardeau fiscal. Ils veulent faire tout ça en même temps. Je sais bien que nous sommes dans la saison de Noël, mais je ne crois pas au père Noël.

Vous pensez que le gouvernement va dilapider rapidement la marge de manœuvre qu’il a ?

Oui. Et quand ils vont se rendre compte que la marge de manœuvre est insuffisante pour tout ça et qu’ils voudront respecter l’équilibre budgétaire, alors il va y avoir toutes sortes de coupes improvisées. Il faut être prudent. Surtout qu’on sait très bien qu’il y a beaucoup d’incertitude.

Je n’ai pas d’inquiétude sur la croissance économique en 2018. Même en 2019, je pense qu’on va avoir une année raisonnable. Mais 2020 et 2021, ça commence à être très, très incertain. Alors si on s’engage dans de nouvelles dépenses, il faut qu’on soit très prudent. Je crains un peu que cette prudence puisse débarquer. Et n’oublions pas non plus qu’il va falloir commencer le processus de négociation avec les employés de l’État au cours du mandat. La rémunération des employés, c’est 60 % du budget de l’État.

Vous dites que vous aviez des idées pour utiliser la marge de manœuvre existante. Que voudriez-vous voir dans la mise à jour budgétaire de lundi ?

Il y aura des baisses d’impôt, mais il faut qu’on soit très chirurgical là-dedans. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire des baisses générales d’impôt. Il est très important que le Québec s’harmonise à la décision fédérale récente de mettre en place un régime d’amortissement accéléré pour favoriser l’investissement privé. Ça coûte cher [jusqu’à 1 milliard], on le sait très bien parce qu’on l’avait regardé avant, mais c’est important. On n’a pas le choix, si on ne le fait pas, on va pénaliser les entreprises québécoises.

Est-ce qu’on peut faire ça et des baisses d’impôt sur le revenu ? Je ne pense pas qu’on pourrait faire les deux.

En même temps, est-ce que c’est le moment de mettre 700 millions dans une réduction de taxe scolaire ? Je ne pense pas que ce soit le moment.

J’ai hâte d’avoir plus de clarté sur la vitesse à laquelle ils veulent baisser les impôts. Et sur les prévisions de croissance économique. Ils ont promis de faire mieux, mais l’économie du Québec a une croissance de 3 %. C’est difficile de faire mieux.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.