Marges de crédit hypothécaires

Attention, péril en la demeure

Les marges de crédit hypothécaires propulsent l’escalade du crédit à la consommation au Canada depuis un an. Mais les propriétaires ne sont pas assez conscients des inconvénients de ces produits financiers. Plusieurs risquent d’écoper, surtout si la Banque du Canada augmente encore son taux directeur de 25 points de base d’ici peu.

Un dossier de Stéphanie Grammond

Marges de crédit hypothécaires

La marge de crédit dans le tapis

Les marges de crédit hypothécaires sont une irrésistible invitation à vivre au-dessus de ses moyens. À dépenser toujours un peu plus que son budget. L’argent est disponible, tout de suite, sans aucune formalité. Et les taux d’intérêt sont si faibles. Bah ! Pourquoi se priver ?

Comme tant d’autres propriétaires, Jean a succombé.

Il avait de petites rénovations à faire. « Je pensais que c’était une bonne façon d’utiliser ma marge, dit-il. Je calculais que ça permettrait de maintenir la valeur de ma maison. »

Mais vous savez, les travaux coûtent toujours plus cher qu’on pense. Au lieu de 5000 $, Jean a dépensé 15 000 $. Même s’il avait crevé son budget, il a fait un voyage qu’il avait déjà planifié. De fil en aiguille, sa marge hypothécaire a atteint 34 000 $.

Lors de son renouvellement hypothécaire, deux ans plus tôt, la banque avait pourtant remis sa marge à zéro en intégrant la dette de 10 000 $ dans le prêt hypothécaire traditionnel qui est associé à sa marge. C’était comme une invitation à recommencer !

À cause de ce petit manège, Jean réalise aujourd’hui que le montant total de son emprunt hypothécaire n’a pas du tout diminué depuis l’achat de sa maison. D’un côté, il rembourse son prêt, mais de l’autre, il puise dans sa marge.

« C’est facile de mettre le pied là-dedans. C’est un chèque en blanc. Ça nous donne envie d’acheter des meubles, des voyages… Mais il faut que ça arrête. Ça n’a pas de bon sens ! », lance-t-il.

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Depuis une quinzaine d’années, la popularité des marges de crédit a grandement contribué à la hausse de l’endettement des ménages canadiens. Entre 2000 et 2010, la valeur des marges de crédit a bondi de 35 à 186 milliards, un taux de croissance sidérant de 20 % par année.

Il y a six ans, Ottawa avait réussi à freiner l’inquiétante montée en flèche des marges de crédit hypothécaires en imposant des règles plus strictes.

Mais voilà que les marges sont de retour en force. Elles ont gonflé de 20 milliards de dollars depuis un an, estime Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale.

Au dernier trimestre, les marges ont d’ailleurs été responsables de 60 % de la hausse du crédit à la consommation, qui a affiché un rythme de croissance qu’on n’avait pas vu depuis sept ans.

Enrichis par la hausse du marché immobilier, de nombreux propriétaires se servent de leur maison comme d’un guichet automatique.

Quand le prix des maisons augmente et que les taux d’intérêt fondent, tout va bien. Mais si l’inverse se produisait ? Déjà, la Banque du Canada a relevé son taux directeur de 25 points de base, en juillet dernier.

Les économistes s’attendent à une autre augmentation de 25 points, peut-être dès la semaine prochaine, mais plus certainement en octobre. Trois autres hausses de 25 points pourraient suivre, selon Hélène Bégin, économiste principale au Mouvement Desjardins. Cela porterait la hausse totale à 125 points de base (1,25 %).

Pour ceux qui ont une marge, l’impact est immédiat. Déjà, le taux d’intérêt sur une marge de crédit est passé de 3 % à 3,25 % en juillet dernier (pour les meilleurs clients) et il devrait grimper à 3,5 % bientôt.

À cause de ce bond de 50 points, les propriétaires qui ont une marge de 100 000 $, par exemple, devront débourser 42 $ de plus par mois juste pour payer les intérêts, calcule Denis Doucet, porte-parole du courtier hypothécaire Multi-Prêts.

Ça ne paraît peut-être pas tant que ça, mais la bouchée risque d’être dure à avaler quand on sait que près de la moitié des travailleurs canadiens vivent d’une paie à l’autre. Leur budget ne leur laisse aucune marge de manœuvre.

En fait, près de 1 million de consommateurs pourraient subir un choc de paiement si les taux montaient de 100 points de base (1 %), estime l’agence d’évaluation de crédit TransUnion Canada. Des chiffres qui donnent froid dans le dos.

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Le hic, c’est que trop de consommateurs ne comprennent pas les risques associés à l’utilisation d’une marge de crédit hypothécaire, comme l’a constaté l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) dans un rapport de recherche publié en juin dernier.

Les marges de crédit sont une arme à double tranchant (voir onglet 3). Elles peuvent facilement entraîner les propriétaires dans une spirale d’endettement sans fin.

Il faut savoir que la plupart des marges de crédit sont jumelées à une hypothèque traditionnelle. Au fur et à mesure que le propriétaire rembourse son hypothèque, la limite de crédit de la marge augmente. Grâce à ce jeu de vases communicants, le propriétaire peut constamment réemprunter.

Ceux qui ne peuvent résister sont donc condamnés à l’endettement perpétuel. L’achat d’une maison, qui était comme une forme d’épargne forcée, devient un piège de surendettement avec la marge de crédit.

D’ailleurs, la majorité des propriétaires n’ont pas remboursé leur marge au complet lorsqu’ils revendent leur maison. Peut-être qu’ils s’en moquent. Mais si le marché immobilier baisse, certains risquent de se retrouver avec une dette plus importante que la valeur de revente de leur maison. Moins drôle.

Marges de crédit hypothécaires

Une arme à double tranchant

Souple, flexible et abordable, la marge de crédit hypothécaire peut être un outil utile pour les propriétaires disciplinés. Mais pour ceux qui le sont moins, elle peut devenir un instrument d’endettement éternel, prévient l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC).

Souple, mais…

Comme une carte de crédit, la marge de crédit hypothécaire permet d’emprunter sans condition, pourvu que la limite de crédit soit respectée. Pas besoin de remplir de demande de financement, l’argent est disponible dès qu’on en a besoin. Cela peut être utile pour procéder à des rénovations sans repasser chez le notaire pour hausser son hypothèque. Mais le risque de dépenser au-delà de ses moyens est bien réel. Auto, voyages, épicerie… À force de payer des dépenses quotidiennes avec leur marge, les propriétaires mangent leur maison à petit feu.

Abordable, mais…

Comme elle est garantie par la maison, la marge de crédit hypothécaire a un taux d’intérêt beaucoup plus faible qu’un prêt à la consommation ou qu’une marge de crédit normale. C’est pourquoi beaucoup de consommateurs s’en servent pour faire des achats (meubles, électroménagers, etc.) dont le financement leur coûterait plus cher autrement. D’autres l’utilisent pour consolider des dettes, c’est-à-dire rembourser d’autres emprunts à taux plus élevé (par exemple, des cartes de crédit à 20 %) de manière à réduire les paiements. La stratégie est bonne, mais le danger est de s’endetter de plus belle en remplissant à nouveau la carte de crédit.

Ouverte, mais…

La marge de crédit est un mode de crédit ouvert, qu’on peut utiliser ou rembourser à son rythme. En ce sens, elle peut être plus avantageuse qu’une hypothèque à taux fixe, qui occasionne des pénalités astronomiques lorsqu’on veut la rembourser plus rapidement. Certains travailleurs autonomes qui ont des revenus irréguliers apprécient cette structure ouverte qui leur permet de faire des paiements plus ou moins importants en fonction de leurs entrées de fonds. Mais il faut une discipline de fer pour rembourser le capital. D’autres consommateurs utilisent leur marge comme fonds d’urgence, pour pallier les imprévus financiers. Mais un tel comportement peut faire en sorte que les consommateurs s’endettent davantage en période de difficultés financières, au lieu de trouver d’autres solutions plus durables.

Sans amortissement, mais…

Contrairement à une hypothèque traditionnelle dont le remboursement est amorti sur une période déterminée (25 ans, par exemple), la marge de crédit n’a pas de période d’amortissement. Le client peut payer uniquement les intérêts, sans jamais rembourser le capital. C’est donc au consommateur d’établir ses propres objectifs de remboursement. Mais trop de consommateurs n’ont pas de plan de remboursement de leur marge. Un grand nombre (40 %) ne font pas de paiements réguliers pour rembourser le capital de leur marge de crédit. Pire : le quart (25 %) ne paient que les intérêts ou le minimum, constate l’ACFC.

À ce rythme, ils seront coincés avec leurs dettes pour toujours.

Flexible, mais…

La marge de crédit hypothécaire se décline à toutes les sauces. Elle est généralement assortie d’un prêt hypothécaire amorti qui peut être modulé selon les besoins de l’emprunteur. Parfois, le prêt hypothécaire est séparé en différents sous-comptes qui sont amortis sur différentes périodes (de 1 à 5 ans) et qui ont un taux fixe ou variable. Ce mécanisme permet de couper la poire en deux, de diversifier le risque pour les consommateurs qui ne savent pas trop quel type d’hypothèque choisir. Mais en même temps, cela augmente la complexité du produit et accroît les coûts pour le client qui voudrait changer d’institution financière en cours de route. Il est ensuite plus difficile de magasiner et de négocier un meilleur taux.

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