Les marges de crédit hypothécaires sont une irrésistible invitation à vivre au-dessus de ses moyens. À dépenser toujours un peu plus que son budget. L’argent est disponible, tout de suite, sans aucune formalité. Et les taux d’intérêt sont si faibles. Bah ! Pourquoi se priver ?
Comme tant d’autres propriétaires, Jean a succombé.
Il avait de petites rénovations à faire. « Je pensais que c’était une bonne façon d’utiliser ma marge, dit-il. Je calculais que ça permettrait de maintenir la valeur de ma maison. »
Mais vous savez, les travaux coûtent toujours plus cher qu’on pense. Au lieu de 5000 $, Jean a dépensé 15 000 $. Même s’il avait crevé son budget, il a fait un voyage qu’il avait déjà planifié. De fil en aiguille, sa marge hypothécaire a atteint 34 000 $.
Lors de son renouvellement hypothécaire, deux ans plus tôt, la banque avait pourtant remis sa marge à zéro en intégrant la dette de 10 000 $ dans le prêt hypothécaire traditionnel qui est associé à sa marge. C’était comme une invitation à recommencer !
À cause de ce petit manège, Jean réalise aujourd’hui que le montant total de son emprunt hypothécaire n’a pas du tout diminué depuis l’achat de sa maison. D’un côté, il rembourse son prêt, mais de l’autre, il puise dans sa marge.
« C’est facile de mettre le pied là-dedans. C’est un chèque en blanc. Ça nous donne envie d’acheter des meubles, des voyages… Mais il faut que ça arrête. Ça n’a pas de bon sens ! », lance-t-il.
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Depuis une quinzaine d’années, la popularité des marges de crédit a grandement contribué à la hausse de l’endettement des ménages canadiens. Entre 2000 et 2010, la valeur des marges de crédit a bondi de 35 à 186 milliards, un taux de croissance sidérant de 20 % par année.
Il y a six ans, Ottawa avait réussi à freiner l’inquiétante montée en flèche des marges de crédit hypothécaires en imposant des règles plus strictes.
Mais voilà que les marges sont de retour en force. Elles ont gonflé de 20 milliards de dollars depuis un an, estime Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale.
Au dernier trimestre, les marges ont d’ailleurs été responsables de 60 % de la hausse du crédit à la consommation, qui a affiché un rythme de croissance qu’on n’avait pas vu depuis sept ans.
Enrichis par la hausse du marché immobilier, de nombreux propriétaires se servent de leur maison comme d’un guichet automatique.
Quand le prix des maisons augmente et que les taux d’intérêt fondent, tout va bien. Mais si l’inverse se produisait ? Déjà, la Banque du Canada a relevé son taux directeur de 25 points de base, en juillet dernier.
Les économistes s’attendent à une autre augmentation de 25 points, peut-être dès la semaine prochaine, mais plus certainement en octobre. Trois autres hausses de 25 points pourraient suivre, selon Hélène Bégin, économiste principale au Mouvement Desjardins. Cela porterait la hausse totale à 125 points de base (1,25 %).
Pour ceux qui ont une marge, l’impact est immédiat. Déjà, le taux d’intérêt sur une marge de crédit est passé de 3 % à 3,25 % en juillet dernier (pour les meilleurs clients) et il devrait grimper à 3,5 % bientôt.
À cause de ce bond de 50 points, les propriétaires qui ont une marge de 100 000 $, par exemple, devront débourser 42 $ de plus par mois juste pour payer les intérêts, calcule Denis Doucet, porte-parole du courtier hypothécaire Multi-Prêts.
Ça ne paraît peut-être pas tant que ça, mais la bouchée risque d’être dure à avaler quand on sait que près de la moitié des travailleurs canadiens vivent d’une paie à l’autre. Leur budget ne leur laisse aucune marge de manœuvre.
En fait, près de 1 million de consommateurs pourraient subir un choc de paiement si les taux montaient de 100 points de base (1 %), estime l’agence d’évaluation de crédit TransUnion Canada. Des chiffres qui donnent froid dans le dos.
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Le hic, c’est que trop de consommateurs ne comprennent pas les risques associés à l’utilisation d’une marge de crédit hypothécaire, comme l’a constaté l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) dans un rapport de recherche publié en juin dernier.
Les marges de crédit sont une arme à double tranchant (voir onglet 3). Elles peuvent facilement entraîner les propriétaires dans une spirale d’endettement sans fin.
Il faut savoir que la plupart des marges de crédit sont jumelées à une hypothèque traditionnelle. Au fur et à mesure que le propriétaire rembourse son hypothèque, la limite de crédit de la marge augmente. Grâce à ce jeu de vases communicants, le propriétaire peut constamment réemprunter.
Ceux qui ne peuvent résister sont donc condamnés à l’endettement perpétuel. L’achat d’une maison, qui était comme une forme d’épargne forcée, devient un piège de surendettement avec la marge de crédit.
D’ailleurs, la majorité des propriétaires n’ont pas remboursé leur marge au complet lorsqu’ils revendent leur maison. Peut-être qu’ils s’en moquent. Mais si le marché immobilier baisse, certains risquent de se retrouver avec une dette plus importante que la valeur de revente de leur maison. Moins drôle.