Guide alimentaire  pour danseurs

Bien manger et puis danser

Il fut un temps – pas si lointain – où les danseurs défilaient chaque semaine sur une balance devant leur professeur, qui notait méthodiquement leur poids, rappelle Anik Bissonnette, qui a dansé pour les Grands Ballets canadiens pendant 17 ans. « Ce temps-là est révolu, nous a-t-elle dit. Ce n’est pas vrai que pour être danseur aujourd’hui, il faut être chétif. »

Depuis son arrivée à l’École supérieure de ballet, en 2010, Anik Bissonnette se fait tout le temps poser les mêmes questions par ses jeunes élèves : qu’est-ce qu’on devrait manger les jours d’entraînement ? Avant de se coucher ? Les jours de congé ? Quelles sont les meilleures collations ? À quel moment je devrais les manger ? Est-ce que je devrais être végétarienne ?

C’est en discutant avec la nutritionniste Catherine Naulleau, qui travaille avec des athlètes d’élite et qui enseigne à l’École, que l’idée d’un guide alimentaire destiné à ces jeunes a germé.

« On s’est dit : pourquoi on n’écrit pas un guide de nutrition pour les danseurs, qui pourrait s’adresser à tous les athlètes ou les stars esthétiques (patinage artistique, gymnastique, etc.). »

— Anik Bissonnette

« Notre objectif étant de parler de l’importance d’avoir un corps en santé et non un corps chétif, précise-t-elle. On voulait établir une chose clairement : on ne recherche pas la maigreur en danse. »

UN GROUPE VULNÉRABLE

Il faut dire que les danseurs sont particulièrement vulnérables aux troubles alimentaires, ne serait-ce que parce qu’ils doivent se conformer aux exigences esthétiques de leur discipline. Ils doivent aussi apprendre à gérer la pression au moment de leur performance, plusieurs jeunes danseurs se sentant incapables de manger quoi que ce soit avant une épreuve ou un spectacle.

« Ce qu’on leur dit, c’est qu’ils dépensent tellement d’énergie qu’ils doivent bien se nourrir pour avoir la force d’affronter une journée de danseur, qui en plus va à l’école, insiste Anik Bissonnette. Parce qu’en plus du programme scolaire régulier [de la 5e année du primaire au collégial], nos élèves s’entraînent de trois heures à six heures par jour, six jours par semaine. S’ils ne s’alimentent pas bien, ils ne peuvent pas passer à travers. »

Selon Anik Bissonnette, les critères de beauté et les exigences esthétiques ont aussi changé au fil des ans. « Les danseurs de ma génération étaient beaucoup plus maigres. Aujourd’hui les corps de danseurs sont plus athlétiques, plus musclés aussi, c’est quelque chose qu’on valorise. Physiquement, les exigences sont aussi beaucoup plus grandes que dans mon temps. »

AVIS PARTAGÉS

Julie Dubois, qui dirige le programme de danse du collège Sainte-Anne depuis 25 ans, est du même avis. Avec un bémol : « En danse classique, les filles sont toujours aussi filiformes, estime-t-elle. Leurs jambes sont aussi grandes. C’est resté une exigence, ce serait inexact de dire que ça a changé. Vous n’avez qu’à voir les pubs du New York City Ballet ou du Royal Ballet de Londres pour vous en rendre compte », nous dit-elle.

Anik Bissonnette n’est pas d’accord. « On forme des danseurs polyvalents, pas juste en ballet classique. Cette année, j’ai voulu emprunter un costume des Grands Ballets canadiens pour le premier rôle du Lac des cygnes, mais ils étaient tous trop petits ! Pourtant, ma finissante était mince. Mais elle est plus grande et plus musclée que les filles de l’époque. La costumière me disait d’ailleurs qu’ils n’arrivaient plus à louer leurs costumes. Les corps des danseurs ont changé. La première danseuse de l’American Ballet Theatre a une poitrine et des hanches. On n’aurait jamais vu ça avant ! »

DES MENTALITÉS QUI CHANGENT

Malgré les exigences esthétiques propres au milieu de la danse, Anik Bissonnette croit que les mentalités changent. « Les grands danseurs d’aujourd’hui ont tous des corps différents. On est moins dans l’uniformisation. On ne mesure plus la longueur des tibias, on ne pèse plus les danseuses. Les chorégraphes recherchent des danseurs qui ont une personnalité forte, des jeunes qui bougent différemment. »

Sarah-Maude Laliberté fréquente l’École supérieure depuis la 1re secondaire. Son physique mince et musclé est la norme. Elle dit n’avoir jamais ressenti de pression pour être plus mince.

« Le répertoire qu’on danse est tellement exigeant physiquement qu’il faut être musclé. Les filles soulèvent les garçons ou d’autres filles, on dépense vraiment beaucoup d’énergie, d’où l’importance de bien manger. »

— Sarah-Maude Laliberté

La jeune fille de 19 ans avoue que ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle réalise à quel point son alimentation peut influencer ses performances, mais jamais elle n’en a fait une obsession. « Je ne me suis jamais privé de rien, dit-elle. On brûle toutes nos calories en dansant. Avec nos entraînements quotidiens, notre corps se sculpte par lui-même. On est plus à la recherche de trucs pour bien s’hydrater et bien se nourrir pour maintenir notre énergie. »

LE CORPS SE TRANSFORME

Les jeunes danseurs qui fréquentent l’École supérieure de ballet du Québec y passent leur adolescence et voient ainsi leur corps se transformer. D’où l’importance de les suivre de près pour s’assurer qu’ils grandissent bien, nous dit Anik Bissonnette. « Dès le début du secondaire, on leur donne des ateliers sur l’estime de soi. Il y a Catherine Naulleau, qui est très présente, mais aussi des psychologues et une spécialiste de la santé. On cherche à bien les encadrer. »

Même si les élèves du collège Sainte-Anne passent moins de temps à s’entraîner, Julie Dubois estime elle aussi qu’il faut être vigilant. « La période de l’adolescence est très fragile, dit-elle. On parle de jeunes filles qui passent plusieurs heures par semaine en maillot à danser face à des miroirs. Donc oui, il faut bien les encadrer et les renseigner sur les bonnes habitudes alimentaires. »

Être bien dans sa peau, c’est un peu le message que veut envoyer Anik Bissonnette. « Moi, ce n’est qu’à 35 ans que je peux dire que j’étais bien dans ma peau, confesse la directrice artistique de l’École. Mon rapport à la nourriture n’était pas sain. Et je dois dire que de 35 à 48 ans (lorsque j’ai arrêté de danser), ç’a été mes plus belles années, parce que j’étais bien dans ma tête et dans mon corps. »

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