CHRONIQUE

La substantifique moelle de la vie

Il m’a écrit pour me dire qu’il avait le cancer. Mais ce n’est pas ce qu’il voulait me suggérer comme chronique, il voulait que je fasse une chronique sur autre chose, sur… sa chance.

André Papineau, donc. Il a 52 ans. Myélome multiple, soit une forme de leucémie. Ça s’est annoncé dans sa vie en 2017, il était fatigué, il ne suivait plus au hockey, au soccer, à la course.

« J’ai toujours été super en forme. J’ai toujours fait du sport. Je n’ai jamais arrêté. Deux équipes de hockey, deux équipes de soccer… »

Il pompait l’huile. Je dois vieillir, s’est-il dit. Puis, une sinusite qui ne finissait plus. Une grippe. Une pneumonie. Chez le médecin, sans lui faire subir des tests, rien à signaler…

Un matin, il s’est réveillé et ses jambes étaient enflées, le bas de son ventre aussi. Il s’est pesé : il avait pris 14 livres, 14 livres d’eau. Son médecin l’a envoyé aux urgences, aux urgences il n’a pas attendu, c’est plutôt l’urgentologue qui l’attendait : son cas était urgent.

Ses reins ne fonctionnaient plus. Une batterie de tests et trois hôpitaux plus tard, il a reçu les résultats d’un médecin qui le regardait comme s’il avait devant lui un mort-vivant tant ses résultats de labo étaient catastrophiques : cancer, myélome multiple, globules blancs aux abonnés absents.

***

Le jour de sa fête, le 5 juin, joyeux anniversaire, il commençait sa chimio à l’hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe. « Je suis entré là en me disant que ça allait être terrible, que ce serait l’antichambre de la mort… »

Pas du tout, finalement.

« Tu rentres là, les gens te regardent, tout le monde lève la tête. Ils te regardent dans les yeux. Tout le monde te fait un petit signe de la tête… »

Et après plusieurs visites, ce n’est pas la mort qui rôde dans les salles où on vous injecte de la chimiothérapie, c’est un mélange de dignité et d’espoir. C’est difficile à décrire, me dit André Papineau : « C’est pas le Beach Club de Pointe-Calumet, comprends-moi bien. Mais on est là, tous ensemble, et tous ensemble, il y a comme cette certitude : ça va bien aller. »

Quatre cycles de chimiothérapie, neuf mois et une autogreffe plus tard, André Papineau revit. À La Presse où il vient me visiter à la fin de février, il n’a pas l’air malade. Il l’est encore, pourtant. Le crabe est encore là, dans son sang, pas totalement éradiqué.

Il m’explique qu’un ultime traitement l’attend, quelque chose d’inimaginable il y a 15 ans : on va lui injecter les cellules souches prélevées dans la moelle osseuse de sa sœur Lucie, ça s’appelle une allogreffe…

Je résume encore plus simplement : on va lui injecter le système immunitaire de sa sœur.

André Papineau s’émerveille : « Un traitement de calibre mondial, un traitement qui, ailleurs, m’aurait mis à la rue, un traitement qui coûte des centaines de milliers de dollars. »

Pourquoi lui ? Il s’est un peu posé la question. Il a vécu la vie qui nous permet d’être du bon côté des stats, côté cancer : beaucoup de sport, peu de viande, zéro cigarette. Le cancer, ce mystère, l’a quand même agrippé…

André s’interrompt, quelque part entre le récit de comment les lendemains de chimio vous clouent au lit 20 heures par jour et le jour où il a senti que ses globules rouges revenaient à la vie…

« C’est pas mon cas qui est important. C’est ça que je voulais te dire. C’est le système. On chiale contre le système de santé et le système de santé n’est pas parfait. Mais moi, mon expérience, c’est juste du positif… »

— André Papineau

André Papineau, ancien mort-vivant, veut que tout le monde sache l’incroyable qualité et dévotion du personnel soignant québécois et ce qu’il considère comme l’extrême efficacité du système de santé devant des urgences urgemment urgentes, comme il l’était lui, un vendredi soir, aux urgences de l’hôpital Pierre-Boucher.

« Ils ont tous été d’une empathie, d’une éthique de travail et d’une générosité irréprochables. J’ai vu des centaines d’intervenants depuis que je suis malade, je n’exagère pas : des centaines d’employés de notre secteur public. Je n’ai jamais senti le moindre manquement. Ce sont des stars, au quotidien, des stars anonymes. Je veux qu’ils sachent que je les remercie, chacun d’eux, parce qu’ils m’ont tous aidé à passer au travers ces moments difficiles dans un sentiment de sécurité et de compétence dont je me souviendrai toujours. »

Il énumère tous les corps de métier qui l’ont épaulé, aidé, encouragé, soigné. Les oncologues, bien sûr. Mais tous les autres, les néphrologues de l’hôpital de Saint-Hyacinthe et les infirmières de tous les hôpitaux. Les préposés aux bénéficiaires, les techniciennes. D’un bout à l’autre de la chaîne, il ne s’est jamais senti comme un numéro. Il veut que ça se sache.

« Je serai peut-être mort dans six mois. Je serai peut-être guéri dans six mois. Je l’assume. En même temps, c’est extraordinaire : si j’avais attrapé cette hos… de maladie il y a 15 ans, je serais déjà mort. »

— André Papineau

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André m’a relancé, hier, quelques semaines après sa visite à La Presse. Dans l’après-midi, les docs de Maisonneuve-Rosemont prélevaient les cellules souches de sa sœur Lucie. Il m’a donc relancé, hier matin : « Demain, greffe. »

Aujourd’hui, donc. C’est aujourd’hui le grand jour, c’est aujourd’hui que des infirmières spécialisées vont lui injecter le système immunitaire de sa sœur, petit miracle de la science, fruit de milliers de petites avancées faites partout dans le monde en oncologie.

Si ça va bien, si le corps d’André « accepte » le don de Lucie, ce sera une autre étape vers un nouveau bail sur la vie, une vie meilleure.

Si ça se passe mal…

Là, la fenêtre des possibles va se rétrécir un peu. André Papineau préfère ne pas y penser.

Je le cite : « Chaque minute est une bénédiction. »

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