Indice entrepreneurial québécois

Plus de femmes et d’immigrants parmi les nouveaux entrepreneurs

Depuis un an, le taux de femmes qui se lancent dans l’entrepreneuriat est beaucoup plus élevé que celui des hommes, selon l’Indice entrepreneurial québécois du Réseau Mentorat. Mais l’intention d’entreprendre n’a jamais été aussi basse depuis 2013. Coup d’œil sur les résultats de l’étude.

65 %

Parmi les nouveaux propriétaires de PME depuis 2021, 64,8 % sont des femmes. Il y a cinq ans, cette proportion s’élevait à 51,4 %. « Plus que jamais, les femmes jouent un rôle de premier plan dans le monde des affaires, et ces taux sont le reflet de leur dynamisme », lit-on dans l’étude.

Même constat chez les personnes issues de l’immigration, qui sont deux fois plus « dynamiques ». Devenir entrepreneur est désiré par 41,8 % des immigrants, contre 28,1 % chez les « natifs ». « On verra toujours des gens entreprendre, car l’accès à l’emploi est difficile, raconte Rina Marchand, directrice principale des contenus et innovation pour le Réseau Mentorat. Mais c’est d’abord un choix. Toutes personnes confondues, le taux d’immigrants qui veulent entreprendre est deux fois plus élevé que chez les natifs. »

Qu’est-ce que l’intention d’entreprendre ?

Vouloir un jour démarrer/reprendre une entreprise ou être en train de faire des démarches concrètes pour en créer/reprendre une.

15,1 %

C’est le taux global d’intention d’entreprendre. Il est en baisse notable depuis le début de la pandémie. La pénurie de main-d’œuvre est notamment en cause. C’est surtout le désir d’entreprendre des hommes et des jeunes qui a tiédi. De 2019 à 2021, le taux d’intention a glissé de 23,8 % à 15,2 % chez les hommes, et de 17,3 % à 14,9 % chez les femmes. « La pandémie a été une occasion de se repenser et de repenser aux modèles d’affaires, dit Rina Marchand. Pour les femmes, ce fut une occasion de dire : je vais prendre le temps de penser à mon projet. La transformation numérique est concrète pour elles. Les formations se font en ligne. Même avec les tâches familiales, ça leur a permis d’assister à des formations. »

« Malgré la baisse du taux d’intention entrepreneuriale, on voit une stabilité du taux chez les femmes depuis deux ans. On observait un dynamisme depuis quelques années chez elles. On se demandait ce que la pandémie aurait comme effet. Chez les hommes, le taux a beaucoup diminué. Ils se projettent moins dans ce métier. Il y a eu une baisse moindre chez les femmes. »

— Rina Marchand, directrice principale des contenus et innovation du Réseau Mentorat

Solo-entrepreneures

Les femmes sont à la tête de PME souvent plus petites que celles dirigées par des hommes. « Les femmes lancent des entreprises plus modestes, note Rina Marchand. Une série de choses viennent avec ça : des chiffres d’affaires moins élevés, des entreprises qui ne pensent pas à s’internationaliser. Elles entreprennent beaucoup en teintant la mission de l’entreprise de leur personnalité. Mais si elles ont un modèle d’affaires de grande envergure, l’ambition est égale à celle des hommes. Elles sont autant dynamiques, compétentes, proactives et désireuses de faire croître l’entreprise. »

Neuro-atypiques présents

Il y a presque deux fois plus de gens disant vivre avec un trouble du déficit d’attention, du spectre de l’autisme ou avec le syndrome d’Asperger parmi tous les propriétaires de PME que dans la société en général, soit 11,2 % contre 6,2 %. « Ce sont des gens habitués de travailler en dehors de la boîte, avance Rina Marchand. Les entrepreneurs refusent le statu quo. Il n’y a pas un seul chemin pour eux. Les codes standard de l’emploi ne sont pas faits pour eux. Sur le plan du mentorat, c’est bien d’avoir de telles données, car ça va influencer la façon d’accompagner ces gens. »

Gouvernement et mentors à la rescousse

C’est important de se préoccuper de cette baisse des intentions d’entreprendre, note Rina Marchand. « À cause du vieillissement de la population, de la pandémie, de la pénurie de main-d’œuvre, énumère-t-elle. Il faut investir dans la création d’entreprises, nourrir ça, sinon, le taux de propriétaires va descendre. Il faut continuer d’aider les PME, de planter des graines, car on a besoin de préserver notre autonomie. Il faut être maître des entreprises pour créer plus d’emplois. »

Rien à perdre

En 2018, Andrea Gomez a cocréé Omy Laboratoires, entreprise spécialisée dans les produits de la peau conçus sur mesure, grâce à son logiciel d’intelligence artificielle (SkinIA). La pandémie et la pulsion des Québécois d’acheter local et en ligne ont moussé le chiffre d’affaires de 500 %. L’entrepreneure ne regrette pas de s’être lancée dans les affaires.

Pourquoi avoir créé Omy Laboratoires ?

Je viens d’une famille d’entrepreneurs en Colombie. J’ai vu les difficultés à travers lesquelles mon père est passé, pour être payé, notamment. J’ai donc voulu au départ travailler pour une grande entreprise. Mais je voulais créer quelque chose. J’ai vu qu’il y avait un besoin. Plus jeune, j’avais beaucoup d’acné et de rougeurs. C’était compliqué pour une personne qui a plus d’un problème cutané de trouver un produit adapté. J’ai d’abord proposé mon idée à une grande entreprise connue. J’ai eu un refus. Ça m’a peinée. J’ai décidé de le faire par moi-même. La culture n’est pas la même ici, les femmes sont plus écoutées, respectées. Chez nous, c’est patriarcal.

J’ai donc commencé à parler à mon réseau. J’ai un background en administration des affaires et je termine un MBA, mais je manquais d’expertise en chimie. En réseautant, on m’a mise en lien avec Rachelle Séguin, qui a une maîtrise en sciences pharmaceutiques et un bac en chimie cosméceutique. C’était le match parfait ! Il y avait un écosystème qui me permettait d’avancer. On a eu une bourse et des prix, de l’argent pour avancer en recherche et développement. Au Québec, on a du soutien.

Qu’est-ce qui pousse, selon vous, les gens issus de l’immigration à se lancer dans les affaires ?

Le fait de changer de pays nous oblige à sortir de notre zone de confort. J’ai appris le français en arrivant au Québec, à 16 ans. Je ne connaissais rien. Tu laisses tout ce qui t’est cher. Ça t’oblige à apprendre rapidement. Et c’est justement ça, l’entrepreneuriat, cette capacité à gérer le changement et le stress. Une fois qu’on a sauté, c’est excitant, car on évolue et on apprend. Entreprendre est plus facile une fois qu’on a tout perdu. Cette tolérance aux changements nous enlève des craintes. Les opportunités en Colombie sont vraiment rares. Ici, il y a de l’aide, d’autres l’ont fait. Ça ne pouvait pas être pire que chez moi !

Le mentorat m’a beaucoup aidée. Je me suis entourée de gens bienveillants pour partager mon sentiment de solitude et de rejet. On est humain, donc le besoin d’être accompagné est essentiel. On m’a dit : « Tu n’as rien à perdre. Le pire qui peut arriver est de devoir te trouver un emploi après. » Mon mentor voyait que je pouvais prendre le risque. J’habitais chez ma mère et j’avais une voiture qui valait 3000 $. Parfois, ça prend juste une tape dans le dos. Il faut oser, sinon on va se dire par la suite : j’aurais dû le faire.

Les femmes entrepreneures restent plus rares que les entrepreneurs. Pourquoi ?

Ça prend des modèles et, sur ce plan, il reste du chemin à faire. Ça vient de nous aussi. On se pose plus de questions, on se met plus de barrières. On n’ose pas, même si on a envie de le faire. Parmi les barrières qui empêchent les femmes de s’épanouir, je pense aux services de garde. J’ai 30 employés, dont 86 % de femmes dans la trentaine. On veut résoudre des problèmes, mais il y a des obstacles. Ça prend du financement pour les garderies, notamment. Au départ, Rachelle et moi, on s’est fait regarder de haut, car on était deux femmes sans actifs. Ce fut difficile de trouver le premier financement, mais on a persisté.

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