Littérature

Le polar maritime de Roxanne Bouchard

La mariée de corail
Roxanne Bouchard
Libre Expression
385 pages

Roxanne Bouchard ramène cet été l’enquêteur Joaquim Moralès, la Gaspésie et les histoires de pêche dans La mariée de corail, polar maritime aux effluves d’algues et de mer, peuplé d’hommes taiseux et de femmes courageuses. Rencontre avec une autrice de polars qui s’ignorait.

« Je n’aurais jamais pensé écrire des polars de ma vie, je ne savais pas comment faire ! », confie Roxanne Bouchard, qui nous reçoit dans sa cour à Joliette, à distance réglementaire évidemment. « Nous étions le sel de la mer, je ne pensais même pas que c’était un roman d’enquête. »

Pourtant, cette première mission gaspésienne de l’enquêteur Joaquim Moralès, publiée en 2014, a suffisamment séduit une importante éditrice londonienne spécialisée dans le polar, Karen Sullivan chez Orenda Books, pour qu’elle en publie une traduction l’an dernier. Avec lancement en grande pompe à la Maison du Canada à Londres, diffusion partout dans le monde anglo-saxon jusqu’en Australie... et en prime une commande pour une suite.

« La première fois que je l’ai rencontrée, elle disait que je serais la Queen of seas. Je ne suivais pas trop la conversation entre elle et mon chum, je ne suis pas super bonne en anglais, là, j’ai fait : “elle dit quoi là ?” Mon chum m’a répondu : “il va falloir que tu t’assoies et que tu écrives”. »

La pandémie a fait en sorte que la sortie en anglais de La mariée de corail sera plus discrète – par exemple, le festival littéraire où Roxanne Bouchard était invitée au mois d’août a été annulé. Son éditrice, qui elle-même a été atteinte de la COVID-19 ce printemps, lui a alors demandé de lui en promettre un nouveau pour 2022 !

« J’ai dit “ben oui”. De toute façon, on est en confinement, et c’est mon travail d’écrire. » Si l’enquêteur Moralès fait son entrée un jour dans le panthéon des policiers célèbres aux côtés de Victor Lessard et de Maud Graham, ce sera donc grâce au flair de cette femme.

« C’est comme si elle m’avait dit : “tout ce que je vois, c’est que tu es une auteure de romans policiers et je te fais confiance”. Moi, je savais que j’avais encore des affaires à explorer avec le personnage de Moralès, que j’aimais écrire sur la Gaspésie et que le challenge du polar m’intéressait. Alors je suis partie avec ces munitions. »

La prof de littérature au cégep de Joliette a cependant fait ses classes et lu une tonne de romans policiers. Particulièrement ceux qui sont édités chez Orenda comme elle, dont certaines vedettes comme Ragnar Jónasson et Thomas Enger, question de bien en intégrer la mécanique.

« C’est l’fun, le polar, c’est comme un labyrinthe. Tu ouvres tout le temps deux portes. Ton lecteur est là, le fromage est là, tu testes la porte à gauche, mais c’est sûr que c’est un cul-de-sac, on est juste à la page 20 ! »

— Roxanne Bouchard

Le résultat est un livre « beaucoup plus volumineux » que prévu à cause, justement, du nombre de portes ouvertes, à l’enquête fort bien ficelée et peuplé de personnages secondaires riches – dont Simone Lord, une inspectrice des pêches au caractère, disons, assez fort. Tellement qu’elle deviendra l’héroïne du prochain livre, qui se déroulera aux Îles-de-la-Madeleine.

Mais La mariée de corail se démarque aussi par une écriture très poétique. Autant les dialogues sont vifs et punchés, autant l’autrice laisse place à un certain lyrisme dans sa narration, particulièrement quand vient le temps de décrire les beautés de la terre (et de la mer) gaspésienne. « Je voulais ça. Si ton roman se situe en Gaspésie, tu dois voir la Gaspésie. »

Le poids de l’héritage

Dans ce nouveau roman, l’inspecteur Moralès – mexicain d’origine qui a quitté Longueuil pour s’installer à Bonaventure – est appelé à Gaspé pour enquêter sur la disparition, puis le meurtre, d’Angel Roberts, pêcheuse de homards. En parallèle, son fils aîné, fuyant une peine d’amour, a décidé de venir le rejoindre en Gaspésie. Malgré leur bonne volonté, les deux hommes évitent constamment la nécessaire conversation entre eux, mais aussi avec eux-mêmes.

Filiation et héritage, vieilles rancunes et culture du silence sont la trame de fond du roman, la « vertèbre cachée » qui va au-delà de l’intrigue policière tout en lui donnant une direction.

« Souvent, on se crée des devoirs, des obligations. On est tous chargés d’un bagage qu’on s’impose, ou qu’on pense qui nous est imposé. Ç’a été le filon de l’intrigue principale, mais aussi de l’intrigue secondaire. »

— Roxanne Bouchard

Depuis quelques années, la Gaspésie est aussi devenue un formidable terrain de jeu pour l’autrice, qui a l’impression d’avoir le champ complètement libre. « Je n’ai aucune peur que Martin Michaud vienne jusqu’ici ! », dit-elle en rigolant.

C’est après être allée faire de la voile en Gaspésie qu’est né Nous étions le sel de la mer, il y a six ans. Inutile de dire qu’elle y est retournée souvent depuis, et qu’elle continue d’y récolter histoires de pêche et anecdotes pour garnir ses récits.

« Toutes ces histoires m’ont été racontées. Comme celle du feu dans le bateau, qui finit par contaminer la boîte de fusées de détresse... Ou tout ce qui arrive à la pêcheuse Angel Roberts, c’est arrivé à des femmes en Gaspésie pour vrai. »

Les petites histoires sont là, mais la grande aussi, ajoute-t-elle. « Le moratoire sur la pêche à la morue, en 1992, c’est arrivé pour vrai. Et ça a déchiré des familles. »

Confiance

Roxanne Bouchard, qui compte bien terminer son troisième polar cet été, espère rejoindre le public avec La mariée de corail. « En même temps, je ne sais pas, je n’ai jamais pensé à ça. Je n’ai jamais vu plus loin que l’écriture, je suis une auteure qui écrit et qui veut juste ça, écrire, plus qu’être publiée. Le reste appartient à des gens qui s’y connaissent mieux que moi. »

Cette confiance dans le destin est à l’image de celle qui a commencé sa carrière « par hasard », en remportant le prix Robert-Cliche en 2005 pour le manuscrit de Whisky et paraboles, qu’elle avait envoyé pour relever le défi lancé par un collègue. Elle s’est ensuite promenée dans les styles littéraires, allant de la correspondance (En terrain miné) au monologue théâtral (J’t’aime encore), et se bâtissant un public malgré un parcours un peu sinueux.

« Je suis contente. Je n’avais pas prévu écrire. J’étais prof, moi, c’était ça que je voulais faire. Après, ça s’est enchaîné, les choses m’arrivent. Je suis bien chanceuse. »

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