Opinion Nadia El-Mabrouk

Diversité, inclusion et propagande

Les Jeux olympiques de PyeongChang et le voyage de Justin Trudeau en Inde ont occupé l’espace médiatique pendant deux semaines. Ils ont été l’occasion de promouvoir les valeurs canadiennes, notamment celles de diversité et d’inclusion, à travers un étalage de costumes et d’apparats religieux. Mais que veut-on inclure au juste ? Les costumes ou les idées qu’ils véhiculent ?

« Parce qu’en lui montrant les raisons de notre fierté, le monde comprendra la valeur de nos valeurs », clame une publicité d’Air Canada faisant partie d’une campagne publicitaire diffusée par la chaîne d’État pendant les Jeux olympiques. Et pour montrer nos valeurs de diversité, une multinationale n’a pas hésité à inventer, pour l’occasion, une patineuse artistique en collant, paillettes et hijab. Dans une autre publicité de Canadian Tire, c’est une équipe de filles de hockey cosom portant le hijab qui est en vedette, et on leur lance « Beaucoup de filles vont s’inspirer de vous » !

Le voile (hijab) vient-il officiellement de faire son entrée comme valeur canadienne ? À moins qu’il ne serve d’affichage au multiculturalisme canadien, sans se soucier de l’idéologie qu’il véhicule. L’inclusion implique-t-elle de faire l’impasse sur les idées derrière les signes religieux ?

Les déboires de Trudeau en Inde montrent les limites de cette approche. Avec sa famille en costumes locaux et sa garde rapprochée en turbans sikhs, le premier ministre pensait probablement contribuer à exporter les valeurs canadiennes.

Or, ses hôtes indiens ont perçu un tout autre message, y voyant une proximité avec des mouvements intégristes sikhs proches des séparatistes du Pendjab.

Tout comme pour le turban sikh, on ne peut ignorer la portée idéologique du voile. Il est associé à la mouvance de l’islam politique. On aura beau le détourner de son sens et accuser d’islamophobie tous ceux qui en font la critique, le lien entre le voile et l’intégrisme islamiste ne disparaîtra pas pour autant.

L’éléphant dans la pièce

Au Québec, le Directeur général des élections vient de permettre le port du voile et du turban pour les photos des candidats, sans qu’aucun parlementaire ne s’attarde à la question. Pourtant, cela revient à balayer du revers de la main tout le débat sur la neutralité religieuse de l’Assemblée nationale.

Le voile est de plus en plus présent dans nos écoles sans que le milieu scolaire ne s’en préoccupe. Pourtant, cela revient à mettre la hache dans le processus de sécularisation du système d’éducation amorcé au Québec depuis la Révolution tranquille.

Il est présent dans tous les documents et reportages ayant trait à la diversité, ce qui revient à le considérer comme marqueur de l’ethnicité des musulmanes.

Un reportage de Radio-Canada du 26 février consacré à une avocate musulmane voilée illustre bien ce fait. Céline Galipeau y parle avec emphase d’une « citoyenne engagée portant avec fierté le flambeau de ceux qui, comme elle, revendiquent une identité multiple ». Les femmes musulmanes non voilées, auxquelles Radio-Canada n’a encore consacré aucun reportage sur la base de l’identité, seraient-elles porteuses de moins de fierté ? De toute évidence, le message d’inclusion les exclut.

Une inclusion responsable

Dans la foulée du voyage de Trudeau en Inde, le chroniqueur indien Ajit Datta écrit ceci en lien avec l’intégrisme sikh : « Je me fiche bien que le leader du Canada veuille conduire son pays à sa perte. Mais lorsque cela affecte mon propre pays, je trace la ligne. »

C’est la même indignation que je ressens devant cette promotion du voile. Il est scandaleux que le besoin d’affichage d’un multiculturalisme folklorisé se fasse au détriment de femmes et de filles que l’on abandonne à des pratiques discriminatoires.

On me parlera de la liberté de se voiler. Je me contenterai ici d’évoquer mon expérience personnelle. Dans les années 1980 en Tunisie, la seule fille voilée de ma promotion, au début du secondaire, nous expliquait que celles qui ne le portaient pas seraient suspendues par les lèvres en enfer. J’ai alors failli céder au « libre choix du voile ».

Quant aux arguments voulant que l’inclusion du voile dans toutes les sphères de l’État favoriserait l’intégration et sa disparition à long terme, ils ne s’appuient sur aucune étude probante. C’est plutôt le contraire qui est observé. Selon un sondage de l’Environics Institute de 2016, la moitié des musulmanes du Canada portent le voile, alors que 10 ans plutôt elles n’étaient que 42 % à le porter.

À l’heure où des Iraniennes sont emprisonnées parce qu’elles retirent leur voile, c’est une femme voilée qui sert d’illustration à l’égalité dans une campagne fédérale pour célébrer le 8 mars ! Cette propagande provoile est inacceptable.

Il ne s’agit pas de « faire la chasse au voile », comme le dit Gabriel Nadeau-Dubois, mais bien d’en mesurer les conséquences sur les femmes et d’avoir le courage d’aborder, de front, le sujet des signes religieux dans les institutions de l’État.

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