Mauvaise foi

Tous ces beaux discours sur le devoir de vérité et de transparence que nous a servis l’Archidiocèse de Montréal n’étaient donc que du vent. De la pure mauvaise foi de la part des hommes de foi.

Quelle autre institution, en 2022, laisserait traîner des dossiers d’abus sexuels ad vitam æternam ?

Quelle autre institution ferait ferait fuiter des infos ultraconfidentielles sur les victimes alléguées de ses employés ?

Quelle autre institution embaucherait une ombudsman pour faire la lumière sur les abus commis au fil des décennies… pour ensuite se démener comme un diable dans l’eau bénite afin de la neutraliser ?

Les âmes charitables chercheront une fois de plus à excuser l’incurie de l’Archidiocèse. Elles vous rappelleront que les hommes en soutane vivent dans un monde hors du temps. On les imagine presque écrire à la plume, lentement, très lentement, tels des moines copistes, sous les alcôves de la mystérieuse salle des archives secrètes…

Au pire, les âmes charitables vous parleront de simple incompétence…

Mais à lire le rapport accablant – le mot est faible – de l’ombudsman de l’Archidiocèse, Marie Christine Kirouack, on ne peut désormais conclure qu’à une chose : il existe, au sein de cette institution, une vieille garde qui n’a rien à faire du devoir de vérité et de transparence.

Il y a, dans ce rapport, trop de délais, trop d’entourloupes, trop d’ingérences pour qu’on puisse encore se permettre d’avoir des doutes. Non, ce n’est pas de l’incompétence. Clairement, on met des bâtons dans les roues de MKirouack.

Et tant pis pour les victimes.

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On vous pardonnera de lâcher quelques mots d’église à la lecture de ce rapport.

Un exemple parmi d’autres : MKirouack a dépoussiéré un cas de harcèlement sexuel des archives de l’Archidiocèse, comme elle en a le mandat. Le 1er juillet 2022, elle a téléphoné à la victime alléguée, qui s’est empressée d’accepter de collaborer à l’enquête à venir.

En principe, le prêtre aurait dû être suspendu. Une enquête aurait dû être déclenchée sur-le-champ.

Rien n’a été fait. « Le prêtre visé est toujours en poste au moment du dépôt du présent rapport et aucune enquête n’a encore été décrétée, presque cinq mois plus tard. »

La suspension d’un autre prêtre avait été recommandée en mai 2022 ; à ce jour, elle n’a toujours pas été décrétée…

Des 14 anciens dossiers déterrés par MKirouack, un seul a été traité avec diligence. Pour les autres, l’ombudsman attend toujours que des actions soient prises. Mais scandaleusement, l’Archidiocèse ne fait rien, si ce n’est que d’envoyer ces dossiers sous le tapis.

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Quand il se décide à faire enfin quelque chose, c’est pour nuire au travail de l’ombudsman.

Ainsi, un vicaire épiscopal s’est permis de relayer des courriels en copie cachée à une personne non identifiée dans le rapport. Dans ces courriels, il y avait les noms des plaignants. Des victimes d’abus sexuels, souvent vulnérables, à qui cela avait tout pris pour dénoncer – et à qui on avait promis la plus stricte confidentialité. Ces gens-là pourraient retirer leur plainte s’ils pensent que leur identité risque d’être dévoilée.

Remarquez, c’est peut-être le but recherché…

Incroyablement, ce vicaire n’a pas été mis hors d’état de nuire, même après avoir été découvert – et dénoncé – par MKirouack. Au contraire, il a poursuivi son travail de sape.

Quand une femme a porté plainte, le 8 septembre, le vicaire lui a assuré qu’il s’occuperait de son cas lui-même. Pas besoin de prévenir l’ombudsman !

La plaignante ne l’a pas écouté et a contacté MKirouack. Grâce au travail de cette dernière et à celui d’un archiviste de l’Archidiocèse, le prêtre visé a été suspendu.

Pas sûre que le vicaire aurait obtenu le même résultat…

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Le mois dernier, un employé de l’Archidiocèse a coupé les accès informatiques de l’ombudsman à ses dossiers. Quand cette dernière a dénoncé la situation, l’employé a porté plainte contre elle au Barreau du Québec !

On nage en plein Absurdistan.

Comme si ce n’était pas suffisant, l’Archidiocèse a menacé de mettre à la porte l’archiviste qui fouille les dossiers des prêtres abuseurs à la demande de l’ombudsman, sous prétexte qu’il commençait à lui coûter trop cher…

Pour MKirouack, ça n’est pas anodin : « Tous ces éléments sont-ils étrangers au fait qu’avec l’aide et le soutien indéfectible de l’archiviste, je trouvais de plus en plus de dossiers qui n’ont pas été traités de façon satisfaisante par le passé et même des listes contemporaines d’abuseurs sexuels (sur mineur et sur majeur) dans lesquels il a été décidé de ne pas agir ? Poser la question, c’est sans doute y répondre. »

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Marie Christine Kirouack ne doute pas de la bonne foi de l’archevêque, Christian Lépine. Mais il est « fort possiblement » mal conseillé, écrit-elle dans son rapport.

« Est-ce que je pense que mon travail dérange certaines personnes de la vieille garde ? Sans aucun doute, surtout les gens qui, en toute connaissance de cause, n’ont pas agi par le passé.  »

– MMarie Christine Kirouack

Ces gens-là ont fermé les yeux pendant des décennies. Aujourd’hui, ils veulent protéger leurs fesses. C’est humain. Mais pas très glorieux.

Leurs pitoyables manœuvres ont plongé l’Archidiocèse de Montréal dans la crise. Embauchée pour mettre sur pied un processus de traitement des plaintes, la juge à la retraite Pepita G. Capriolo a démissionné avec fracas, incapable de cautionner plus longtemps ce qui se passe dans cette institution contrôlée, selon elle, par une « caste » de religieux qui ne pensent qu’à se protéger les uns les autres.

S’il veut sauver son Église, Mgr Lépine doit prouver sa bonne foi – et son leadership – et procéder à un véritable changement de garde. Pas dans un an, ni dans six mois. Maintenant. Il n’a plus le luxe d’attendre.

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