COVID-19 Décryptage

L' Allemagne, modèle ou mirage ?

Avec ses 71 800 cas d’infection recensés depuis deux mois, l’Allemagne pointe au cinquième rang des pays les plus touchés par la pandémie de coronavirus.

Mais avec « seulement » 775 morts attribuables à la COVID-19, elle affiche aussi l’un des taux de mortalité les plus faibles du monde. Le nombre de victimes y est 20 fois moins élevé qu’en Italie, 11 fois moins qu’en Espagne et cinq fois moins qu’en France – trois pays pourtant moins peuplés que l’Allemagne.

L’écart est substantiel. Comment l’expliquer ? Un peu par l’histoire de la contagion allemande et par l’état des infrastructures médicales du pays. Mais d’abord et avant tout, par la politique de dépistage énergique déployée dès les tout débuts de la pandémie.

Cela dit, les épidémiologistes allemands hésitent à dire que la partie est gagnée. Car le taux de mortalité monte. Il était de 0,47 % il y a une semaine. Il atteint maintenant 1,1 %. Et le pire reste peut-être à venir.

« Nous avons recommandé une vaste campagne de dépistage dès les premiers signes de l’épidémie, pour déceler les cas d’infection le plus vite possible et ralentir la contagion », explique Marieke Degen, porte-parole de l’Institut Robert-Koch, principale agence de santé publique en Allemagne.

Dès les premiers cas, les proches des personnes ayant reçu un résultat positif ont été placés en isolement et ils ont subi des tests de COVID-19 à l’apparition des premiers symptômes, explique Marieke Degen dans un entretien par courriel.

L’offensive de dépistage a été phénoménale. Au cours de la semaine du 2 mars, l’Allemagne a réalisé 35 000 tests diagnostiques. Mais depuis trois semaines, il y en a eu 1 million de plus.

Les capacités d’analyse de ces tests étaient à l’avenant : actuellement, des laboratoires implantés dans les hôpitaux universitaires à travers toute l’Allemagne peuvent traiter 500 000 tests par semaine !

Le faible taux de mortalité enregistré en Allemagne est donc attribuable, entre autres, au grand nombre de tests subis par des personnes présentant même des symptômes légers. Et par les mesures de confinement appliquées rapidement aux malades, question de contenir la propagation du virus.

« Mais il est important de souligner qu’on n’en est qu’aux tout premiers stades de l’épidémie, que le nombre de morts augmente et qu’on ignore comment ça va se développer. »

— Marieke Degen, porte-parole de l’Institut Robert-Koch

Christian Drosten, virologue à l’hôpital de la Charité à Berlin, est la figure scientifique la plus en vue actuellement en Allemagne. Ses balados quotidiennes sur l’évolution de l’épidémie lui ont valu le surnom de « Monsieur Corona. »

Dans un échange par courriel, il se dit lui aussi convaincu que « la campagne de dépistage précoce a permis une détection rapide de l’épidémie ».

En isolant les premiers malades, on a limité le nombre de cas graves. « Mais je ne suis pas sûr que ça va rester aussi bas. »

Le virus venu du Tyrol

C’est l’employé chinois d’une usine de pièces automobiles de Bavière exploitant deux usines à Wuhan, foyer de la contamination en Chine, qui a été à l’origine de la première chaîne de contagion en Allemagne.

L’infection a été rapportée le 28 janvier. Deux jours plus tard, tous les contacts de ce « patient zéro » avaient été identifiés et mis en quarantaine. Bilan : 16 infections. Foyer de contamination contenu.

La deuxième vague a été plus dévastatrice. Elle s’est abattue sur l’Allemagne à la fin de février, au retour des vacances d’hiver, que les jeunes Allemands aiment passer dans les stations de ski autrichiennes. Comme Ischgl, village niché dans le Tyrol et connu non seulement pour ses pentes vertigineuses, mais aussi pour ses soirées arrosées et ses concerts.

Il se trouve qu’en pleines vacances de ski, le serveur d’un bar de ce haut lieu de villégiature a eu la mauvaise idée de travailler même s’il souffrait de ce qu’il croyait être un mauvais rhume.

À lui seul, il est responsable d’une chaîne de contamination qui a cloué au lit des centaines de personnes.

La nature de ce foyer d’infection explique peut-être, en partie, le faible taux de mortalité en Allemagne, avancent les experts. Rapidement testés et, le cas échéant, isolés, les vacanciers n’ont pas eu le temps de contaminer leurs parents ou grands-parents.

« Ils ont surtout transmis le virus aux gens appartenant à leur groupe d’âge », note Christian Drosten.

Résultat : la moyenne d’âge des malades, en Allemagne, est de 47 ans. En Italie, 63 ans.

Et si 18 % des Italiens frappés par le coronavirus avaient plus de 80 ans, leur proportion n’était que de 2,7 % en Allemagne. Et qui dit moins de patients octogénaires dit moins de morts…

Facteur culturel

C’est donc le hasard de la « piste » allemande, conjugué à la politique de dépistage précoce, qui explique l’âge relativement jeune des malades allemands.

Mais il y a peut-être aussi un facteur culturel, avancent deux économistes allemands, Christian Bayer et Moritz Kuhn, de l’Université de Bonn.

En Italie, la cohabitation entre générations est beaucoup plus répandue qu’en Allemagne, constatent-ils dans une publication récente.

Ainsi, 20 % des Italiens âgés de 30 à 49 ans vivent… avec leurs parents. C’est le cas de seulement 6 % des Allemands. Les contacts quotidiens avec les générations plus âgées ont pu contribuer à propager la COVID-19 chez les Italiens les plus vieux.

L’autre facteur contribuant à limiter le nombre de morts tient aux ressources médicales allemandes. Avec ses 6 lits par 1000 habitants, l’Allemagne est en troisième place mondiale, derrière le Japon et la Corée du Sud, en matière de capacité d’hospitalisation. À titre de comparaison, l’Italie compte 2,75 lits par 1000 habitants, l’Espagne 2,9, la France 3, et le Canada… 2.

Cela n’empêche pas la COVID-19 de progresser en Allemagne. Et les épidémiologistes restent sur leurs gardes.

« Nous ne pouvons pas continuer à développer la capacité de tester au rythme auquel avance la maladie, écrit Christian Drosten. Et dès que nous ne pourrons plus tester assez vite, le taux de mortalité augmentera. »

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