Réforme de l’immigration

Un projet pilote pour attirer 550 préposés chaque année

QUÉBEC — Le gouvernement Legault revient à la charge avec sa réforme de l’immigration et du Programme de l’expérience québécoise, le fameux PEQ qu’il avait tenté de renouveler dans la controverse l’automne dernier. Dans la foulée, il lance un projet pilote pour recruter des préposés aux bénéficiaires à l’étranger… mais les exclut de la nouvelle mouture du programme, présentée jeudi.

Québec n’en limite plus l’admissibilité aux travailleurs temporaires et aux étudiants étrangers qui répondent à une liste de domaines où la demande est forte, mais il écarte désormais certaines classes d’emplois, dont font partie les préposés aux bénéficiaires.

Cette refonte de la réforme du ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, est la conclusion d’une tempête qu’il avait provoquée en novembre lorsqu’il avait présenté un PEQ 2.0 dont l’accès était restreint à des catégories d’emplois (certaines désuètes), suscitant la colère de nombreux groupes. Au Parlement, le ministre avait dû reculer et présenter des excuses « pour le travail qui n’a pas été fait de façon aussi parfaite qu’on l’aurait souhaité ».

Dans la nouvelle réforme du PEQ, présentée jeudi, les demandeurs relevant du volet « travailleurs étrangers temporaires » devront « avoir occupé un emploi à temps plein pendant 36 des 48 mois précédant la présentation de leur demande ». Québec retire aussi l’admissibilité aux travailleurs des emplois classés aux niveaux C et D dans la Classification nationale des professions (CNP). Ces catégories « requièrent généralement un diplôme d’études secondaires ou une formation en milieu de travail » et des « emplois manuels ».

Les préposés aux bénéficiaires, dont le Québec a cruellement besoin dans les CHSLD, font partie de la catégorie C. Une fois la réforme appliquée, ils ne pourront plus avoir recours au PEQ afin d’accélérer leur processus d’immigration. Le cabinet du ministre Jolin-Barrette a toutefois confirmé jeudi que les travailleurs dans cette situation, qui sont actuellement au Québec, pourront être admis au PEQ selon les anciennes modalités s’ils ont un permis de travail valide au moment de l’application de la réforme.

« Nos programmes de sélection [d’immigrants économiques] ne livrent pas la marchandise. En effet, ni le [Programme régulier des travailleurs qualifiés, ou PRTQ] ni le PEQ n’ont permis au cours des dernières années de sélectionner de façon suffisante, efficace, dans ce secteur d’emploi. Depuis 2013, le PEQ et le PRTQ ont permis de sélectionner seulement 115 préposés aux bénéficiaires », a rappelé jeudi M. Jolin-Barrette.

Un projet pilote

Le ministre de l’Immigration met donc en place un projet pilote pour attirer 550 immigrants annuellement afin qu’ils occupent des postes de préposés aux bénéficiaires. Un projet pilote similaire sera aussi mis en place pour recruter des immigrants en intelligence artificielle.

« Avec le programme pilote, nous envoyons un signal clair : nous visons la sélection de 550 préposés aux bénéficiaires annuellement, car les besoins sont urgents, notamment dans nos CHSLD. »

— Simon Jolin-Barrette

Québec publiera au cours des prochaines semaines les critères d’admissibilité.

Mais une fois énoncés de tels objectifs, comment Québec entend-il recruter 550 immigrants pour qu’ils deviennent préposés aux bénéficiaires, alors que les frontières internationales sont pour la plupart fermées en raison de la pandémie ?

En point de presse, Simon Jolin-Barrette a affirmé jeudi que le gouvernement faisait déjà « des missions de recrutement virtuelles » et que « dès que les frontières vont rouvrir, on va être en mesure d’être opérationnels pour faire en sorte de sélectionner des préposés aux bénéficiaires de l’étranger qui ont une compétence dans ce domaine-là et qui veulent venir travailler au Québec ».

Le gouvernement a aussi promis d’analyser un à un les dossiers des demandeurs d’asile qui travaillent actuellement dans les CHSLD. La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes ne s’est pas dite surprise jeudi qu’une nouvelle annonce n’ait pas été faite par Québec, puisque des négociations seront nécessaires entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral sur cet enjeu.

Travailler au Québec

Dans la nouvelle version du PEQ, les diplômés universitaires ou du réseau collégial technique devront désormais occuper un emploi à temps plein au Québec depuis 12 mois au moment de présenter leur demande au programme. Ceux qui ont un diplôme de formation professionnelle devront quant à eux avoir acquis 24 mois d’expérience de travail à temps plein.

La Fédération des cégeps, dont certains établissements s’étaient inquiétés à l’automne dernier de voir des programmes désertés par les étudiants internationaux, déplore toutefois qu’elle « laisse de côté les programmes d’attestation d’études collégiales (AEC), qui constituent pourtant une excellente réponse aux besoins de main-d’œuvre qualifiée ».

Le président du conseil d’administration du Bureau de coopération interuniversitaire, le recteur de l’Université de Sherbrooke, Pierre Cossette, s’est pour sa part réjoui que « la nouvelle proposition du ministre inclue toutes les qualifications [universitaires] et toutes les disciplines ».

Ces mesures entreront en vigueur dans un an. Dans tous les cas, ceux qui ont déjà déposé une demande au PEQ verront leur dossier traité selon les critères en vigueur avant cette réforme.

Les délais s’allongent

Un travailleur étranger temporaire ou un étudiant étranger, tous deux présents sur le territoire québécois, disposaient jusqu’à maintenant d’une voie rapide pour obtenir un CSQ en postulant au PEQ. Leur dossier était traité dans les 20 jours. Or, ce court délai « n’est plus envisageable », a expliqué jeudi le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, qui le fait passer à six mois. Le délai de traitement du PEQ sera donc le même que celui du PRTQ.

« Nous nous inquiétons de l’importante prolongation du délai de traitement des demandes. Il ne faudrait pas que cela ait pour effet de décourager des talents dont l’économie du Québec aura bien besoin », a déploré jeudi Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Réactions des partis d’opposition

« Quel est l’objectif qui doit être poursuivi en immigration ? C’est atténuer la pénurie de main-d’œuvre. Est-ce que la réforme atteint l’objectif ? La réponse est non. »

— Monsef Derraji, député libéral et porte-parole de l’opposition officielle en matière d’immigration

« Avec la crise sanitaire, le ministre Jolin-Barrette ne peut plus nier l’apport de l’immigration à la société québécoise. Malheureusement, il est incapable d’être aussi créatif pour les recruter que pour les repousser. »

— Andrés Fontecilla, député de Québec solidaire et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’immigration

« On est d’accord [pour] mieux intégrer les étudiants et les immigrants au Québec en ajoutant une expérience de travail, mais nous sommes inquiets, par exemple, qu’une infirmière qui finit son diplôme [ait] plus de bureaucratie à franchir pour pouvoir entrer au travail dans nos hôpitaux. »

— Méganne Perry Mélançon, députée du Parti québécois et porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière d’immigration

covid-19

Pour le gouvernement Legault, le défi est double : attirer des préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD sans dépouiller le secteur privé. Des immigrants, notamment, seront mis à contribution.

Exode des préposés vers le secteur public

Legault promet « un coup de main »

QUÉBEC — Le gouvernement Legault promet de « donner un coup de main » financier aux établissements du secteur privé pour éviter la désertion des employés vers le réseau public, alors que Québec sort l’artillerie lourde pour recruter 10 000 préposés. La prime temporaire de 4 $ l’heure restera en place le temps d’arriver à une solution, mais l’exode sera difficile à combattre, selon les associations et syndicats.

Les effets de l’annonce du début d’une « grosse campagne de promotion » pour embaucher 10 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires – avec une formation rémunérée à 21 $ l’heure et un emploi à la clé payé 49 000 $ par année – n’ont pas tardé à se faire ressentir sur le terrain.

« Il y a plein de monde intéressé », a lancé la présidente du Syndicat québécois des employés de service (SQEES), affilié à la FTQ, Sylvie Nelson. « Même dans le réseau public de la santé, ceux qui font de l’entretien ménager ou du service alimentaire, ils pensent y aller. On a reçu beaucoup de messages de nos membres », a-t-elle ajouté, estimant que l’offre gouvernementale « vient creuser » un écart salarial.

Mais Québec assure que l’objectif n’est pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, comme l’ont fait valoir des acteurs du secteur privé. « On est en train de regarder d’abord pour de l’aide financière », a assuré François Legault. 

« C’est sûr que les préposés du côté du privé, il va falloir que les salaires augmentent. »

— François Legault

Le premier ministre n’a pas voulu se prononcer sur la forme que pourrait prendre cette aide ni qui pourrait en profiter. Plus tôt jeudi, la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, a confirmé que le gouvernement « examinait » la possibilité d’imposer un salaire plancher par décret de convention collective.

C’est la solution notamment réclamée par le SQEES. « Au moins, nos gens vont être mieux payés », a soutenu Mme Nelson. « Le premier ministre, avec tout ce qu’il impose par décrets [en pandémie], il est capable de faire ça rapidement, quitte à avoir un minimum des conditions », a-t-elle affirmé.

M. Legault explique pour sa part « regarder différents scénarios », mais il prévient « qu’on ne pourra pas avoir une réponse dans les prochains jours ». Il dit vouloir faire une « analyse » qui s’attardera notamment à la « possibilité de convertir certaines résidences privées en résidences publiques ».

« Actuellement, il y a des primes de 4 $ l’heure qui sont données [par le gouvernement] au secteur privé. On est dans une période de transition. On va tous convenir que même les grandes résidences privées vont devoir mieux payer leurs préposés dans les prochaines années », a soutenu le premier ministre.

Message rassurant

Pour le président du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), Yves Desjardins, le message du gouvernement est « rassurant ». « C’est certain que si on veut que les résidences demeurent et conservent leurs préposés, il faut les aider. S’il y a une aide, on va la saluer, mais on aimerait faire partie des discussions », a-t-il affirmé.

Le RQRA est réfractaire à un décret fixant un plancher salarial. « Ce serait trop mur à mur », car cette mesure ne tiendrait pas compte de la taille des résidences et du niveau de soins que l’on y retrouve, a plaidé M. Desjardins.

Selon lui, par la force des choses, les propriétaires devront augmenter le salaire de leurs préposés pour éviter leur exode vers les CHSLD. Ainsi, il suggère que le gouvernement tienne compte de cette dépense supplémentaire dans la grille d’augmentation de loyer qui est fixée par la Régie du logement.

Le loyer deviendrait plus élevé pour les résidants, mais le gouvernement devrait augmenter en contrepartie le crédit d’impôt pour maintien à domicile qui leur est destiné afin que l’impact soit le plus faible possible, a expliqué M. Desjardins. Il a ajouté que l’aide devrait être plus généreuse pour les aînés à faibles revenus.

« On est catastrophés ! »

L’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec (ARIHQ), qui accueille notamment des aînés en perte d’autonomie, peinait encore jeudi à encaisser l’annonce de Québec. « On est catastrophés », a lancé la directrice générale, Johanne Pratte. « On est inondés de courriels, de textos, de téléphones depuis mercredi. »

« On a de plus en plus d’exemples d’employés qui nous disent qu’ils vont s’informer pour la formation », relate-t-elle.

« Un de nos membres nous a rapporté qu’il avait embauché une personne et que cette dernière s’est désistée en disant qu’elle allait s’inscrire au programme de formation. »

— Johanne Pratte, directrice de l'ARIHQ

Il manque 3000 employés dans les 1000 RI de la province. Ces établissements sont financés à 100 % par Québec. « Notre financement nous permet de donner des salaires de 14 $ l’heure. Être formé à 21 $ l’heure, c’est plus que ce qu’on offre, même avec la prime temporaire de 4 $ l’heure », déplore Mme Pratte.

« Engagez-vous ! »

François Legault estime avoir sur la table une proposition intéressante pour convaincre 10 000 personnes de s’inscrire à sa formation accélérée de trois mois pour devenir préposés aux bénéficiaires en CHSLD. « Il y a un taux de chômage d’au moins 7 [ou] 8 %. Il y a beaucoup de gens qui ont perdu leur emploi », souligne-t-il.

« Les qualifications, c’est idéalement d’avoir une secondaire V. Il y a quand même beaucoup de personnes qui répondent à cette exigence. Je pense que c’est un travail qui sera relativement bien payé. Quelqu’un qui gagnait moins de 26 $ l’heure, qui se fait offrir un job à temps plein au gouvernement, je pense que c’est attrayant. »

Québec met aussi sur pied un projet pilote pour recruter 550 immigrants par année pour qu’ils occupent des postes de préposés aux bénéficiaires.

Une campagne publicitaire sera lancée la semaine prochaine pour mousser le recrutement. C’est un travail qui « peut être très valorisant », assure M. Legault. « Si vous voulez faire une différence dans la vie des gens, bien, engagez-vous ! »

— Avec Tommy Chouinard, La Presse

Encore des décès à venir

Malgré un bilan qui s’améliore, le premier ministre François Legault ne nie pas qu’il y aura de nouveaux décès en raison de la situation « encore difficile » dans les CHSLD. « C’est terrible, ce qui se passe, et malheureusement, quand je regarde le nombre de personnes infectées dans nos CHSLD, on pourrait en avoir encore » [we may have more to come], », a-t-il indiqué en anglais. Il y a actuellement 1741 résidants de CHSLD atteints de la COVID-19 dans 131 établissements. Le Québec a enregistré jeudi 74 nouveaux décès liés à la COVID-19, ce qui porte le bilan à 4302 morts depuis le début de la pandémie. Les hospitalisations sont à la baisse, alors que 1331 personnes sont hospitalisées (- 47), dont 178 aux soins intensifs (- 6). On compte maintenant 49 702 cas déclarés au coronavirus (+ 563).

— Fanny Lévesque, La Presse

« Québec paie sa part pour l’armée »

François Legault digère mal qu’Ottawa n’ait pas encore répondu favorablement à sa demande de prolonger la présence des militaires déployés dans les CHSLD jusqu’au 15 septembre. « Le Québec paie sa part pour l’armée », a lâché jeudi le premier ministre, visiblement irrité. « Je comprends qu’il y a d’autres priorités, mais il me semble que la priorité, actuellement, je n’en vois pas de plus urgente que de s’occuper de notre monde dans nos CHSLD », a poursuivi M. Legault, ajoutant que le Québec avait besoin de l’armée « après juin ». Il s’est néanmoins dit encouragé par le retour de 458 travailleurs de la santé, qui étaient absents pour des raisons liées à la COVID. De son côté, Justin Trudeau a réitéré jeudi que la présence de l’armée en CHSLD relevait de l’anomalie, mais il a clamé que « le gouvernement du Canada et les Forces armées vont être là pour aider les Canadiens en difficulté ».

— Fanny Lévesque et Mélanie Marquis, La Presse

Tourisme : un peu de patience pour les Montréalais, demande Arruda

Le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, a demandé un peu de patience aux Montréalais qui voudraient planifier un voyage au Québec. Il est actuellement permis de se déplacer d’une région à l’autre, mais la Santé publique ne l’encourage pas. « Ce que je voudrais vous dire dans le fond, c’est : soyons un peu patients. S’il n’y a pas d’autre alternative, c’est une chose. […] S’il y a des alternatives, essayez de planifier autre chose », a-t-il indiqué, soutenant que la situation était encore « fragile » à Montréal. « On va vous revenir dans à peu près deux semaines, quand on aura vu quel est l’effet du déconfinement dans la région métropolitaine », a ajouté le Dr Arruda. Québec encourage pour l’heure le tourisme près de la maison.

— Fanny Lévesque, La Presse

Pour que les compagnies aériennes remboursent

Les députés à l’Assemblée nationale ont adopté à l’unanimité jeudi une motion proposée par le Parti québécois réclamant au « gouvernement canadien qu’il ordonne aux compagnies aériennes et autres transporteurs de juridiction fédérale de permettre aux clients dont les voyages ont été annulés en raison de la pandémie [de COVID-19] d’obtenir un remboursement ». Le chef péquiste par intérim, Pascal Bérubé, a affirmé que si les transporteurs comme Air Canada – dont les opérations sont lourdement affectées par le coronavirus – n’ont pas les fonds pour rembourser leurs clients, « c’est leur problème ! ». Il a dit n’avoir « pas beaucoup de sympathie » pour Air Canada, qui a « souvent éliminé la concurrence » pour ensuite remonter les prix. De son côté, le Parti libéral a réclamé que le gouvernement intervienne pour que les agences de voyages – qui, elles, sont de compétence provinciale – remboursent leurs clients pour les voyages annulés. Le gouvernement Legault, qui avait appuyé la motion pour faire pression sur Ottawa concernant les compagnies aériennes, s’est fait très prudent dans ce dossier. Il se dit à la recherche d’un « équilibre ». 

— Tommy Chouinard, La Presse

Une aide aux petites entreprises ?

La cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, a réclamé que le gouvernement Legault offre une aide aux petites entreprises qui souffrent des conséquences de la pandémie. Certaines ne peuvent bénéficier pleinement des programmes annoncés jusqu’ici tant à Québec qu’à Ottawa et ont ainsi « peur de faire faillite ». Le gouvernement Legault songe à créer un nouveau programme pour certains secteurs d’activités : la culture, le tourisme, les restaurants et les commerces. « Nous sommes conscients que ces PME-là, il y a des choses qu’il va falloir qu’on fasse. Les entreprises ont souvent trop de dettes, pas assez d’équités. Et on a des programmes qui vont être mis en place rapidement pour les PME », a affirmé le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon. 

— Tommy Chouinard, La Presse

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