Nouveau délai de trois ans avant la réouverture
Elle est fermée depuis bientôt 15 ans. Et le restera pendant encore au moins trois ans. La Presse a appris que les fils du projet de reconversion de la magnifique bibliothèque Saint-Sulpice en une bibliothèque pour adolescents et un laboratoire d’innovation sont loin d’être attachés.
Plusieurs facteurs expliquent que ce chantier tarde encore à se concrétiser, à commencer par le financement. Le coût projeté, d’abord estimé à 17 millions, s’élève aujourd’hui à 30 millions.
D’où viendra l’argent ? Les contributions financières confirmées sont de 25,5 millions, répond le ministère de la Culture, à qui La Presse a posé la question. La Fondation de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), propriétaire de l’édifice Saint-Sulpice, espère combler la différence grâce à une campagne de financement dont l’objectif est de 4,5 millions.
« Est-ce que les résultats de la Fondation vont être supérieurs ? » demande le directeur général de l’institution, Jean-Louis Roy, responsable du projet Saint-Sulpice. « On l’espère. Ce n’est pas impensable. Je pense qu’elle va aller au-delà du 4,5 millions. »
Projet innovateur
BAnQ tente aussi de sabrer le contenu de ce projet innovateur de bibliothèque pour adolescents. « Est-ce qu’il y a un 500 000 $ qu’on peut trouver dans le projet ? ajoute le PDG. Nos équipes regardent ça en ce moment. »
En attendant, le Ministère a autorisé la réalisation de travaux de protection temporaire de l’édifice patrimonial, rue Saint-Denis, « afin de garantir son intégrité pendant la période hivernale ».
La bibliothèque Saint-Sulpice n’a pas été classée patrimoniale en raison de son grand âge. Elle a en effet été construite entre 1912 et 1914. Elle se distingue plutôt par ses qualités architecturales. C’est un immeuble de style Beaux-Arts, somptueux, avec son escalier en marbre, ses vitraux, ses plafonds à caissons, ses boiseries. Un édifice de prestige, comme on en trouve dans les capitales européennes, mais qui sont rares à Montréal.
Ce qui peut étonner, c’est que le bâtiment ait été laissé à l’abandon depuis 2005 non pas par un promoteur privé, mais par le gouvernement du Québec lui-même, qui l’avait pourtant classé en raison de « ses valeurs historique, architecturale et artistique ».
« Pas de retard »
Depuis l’annonce du projet, en janvier 2016, l’inauguration a été repoussée quatre fois. Elle devait tomber pile pour le 375e anniversaire de Montréal, en 2017. Puis, l’échéance a été reportée au début de 2018, à juin 2019 et au courant de l’année 2020. On met aujourd’hui le cap sur 2022.
Mais, selon M. Roy, il n’y a pas de retard.
« Il n’y a pas de retard. Honnêtement, pas de retard, affirme-t-il. Robert Lepage déclarait récemment que Le Diamant, ça a pris 15 ans : 12 ans de réflexion et trois ans pour le faire, et c’est fait à 70 %. »
L’échéance de 2017 était totalement irréaliste, juge-t-il. « BAnQ a hérité de l’édifice en janvier 2016. La veille, ils ne le savaient pas. »
« Le premier job de BAnQ, c’est : on fait quoi avec ça ? Ils ont pris un an. Ils sont allés voir dans le monde qu’est-ce qui se faisait. Qu’est-ce que les bibliothèques importantes, aujourd’hui, faisaient avec de nouveaux espaces. Ils ont consulté le milieu, pour arriver, finalement, un an après, avec le projet de la bibliothèque Saint-Sulpice. »
Biblio du futur
Ce projet, c’est une bibliothèque destinée aux ados et un laboratoire d’innovation et de création destiné à un public de tous âges. Une équipe engagée par BAnQ travaille déjà à l’élaboration des contenus, dont Mathieu Laporte, coordonnateur médiateur en numérique.
« On veut inspirer les gens, réactiver leur capacité de passer d’une idée à la réalisation d’un objet », explique-t-il. Dans le « fablab », un laboratoire de fabrication numérique, les gens pourront construire une table de cuisine, par exemple, et apprendre à utiliser les machines. Ils pourront aussi créer des robots et donner vie à des personnes ou à des figures représentées dans des estampes de la collection patrimoniale de BAnQ.
« C’est un projet inédit dans la mesure où 100 % de l’espace sera dédié aux citoyens. »
— Mathieu Laporte, coordonnateur médiateur en numérique, Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Patrimonial mur à mur
Le consortium d’architectes in situ + DMA a été sélectionné en juin 2018 au terme d’un concours d’architecture pour faire revivre Saint-Sulpice. Les firmes participantes devaient mettre en valeur la richesse patrimoniale du bâtiment de 2900 mètres carrés. « Les murs sont patrimoniaux, les lustres, les vis, et je caricature à peine », dit M. Roy.
Cette deuxième étape a nécessité une autre année.
« Ensuite, entre dans le jeu l’équipe du ministère de la Culture chargée de définir ce qui est ou qui n’est pas patrimonial. C’est très complexe. On décide quel mode de gestion : on décide d’aller en gestion par lots, 16 lots, ça va devenir 21 lots. Des gens s’occupent d’électricité, des gens s’occupent du verre, par sections », énumère le PDG.
De 20 % à 35 % plus cher
Au moment des appels d’offres, lancés à l’automne 2018, le budget de réhabilitation était de 24 millions. « Sauf que les appels d’offres de BAnQ ont souffert du mal que tous les appels d’offres à Montréal ont rencontré depuis deux ans : l’état du marché, la difficulté de trouver des entrepreneurs, pris à cause des grands travaux », explique le PDG.
« On ouvre les soumissions et on est entre 20 % et 35 % plus cher que ce qu’on avait prévu. On découvre que les chiffres qu’on a doivent être revus absolument. Et là, qu’est-ce qu’on fait ? On arrête le projet. Et on décide de confier à la SQI [Société québécoise des infrastructures] une analyse pour répondre à deux questions. »
La première de ces questions concerne le mode de gestion : est-ce que BAnQ doit se tourner vers un entrepreneur unique ? La seconde touche le financement : quel est le vrai coût de cette transformation, compte tenu du marché actuel, et qui va payer les frais d’exploitation dans le futur ?
Montage financier
Le rapport de la SQI était attendu en avril ; il a été déposé en octobre. L’organisme en est arrivé à la conclusion qu’un entrepreneur unique était le meilleur choix, dans le contexte du boom de la construction à Montréal. Pour ce qui est du budget, « le chiffre n’est pas encore définitif », parce que des éléments doivent être revus, indique M. Roy.
« Une fois qu’on aura le montage financier, ça va être de lancer l’appel d’offres qui va nous donner le vrai chiffre des coûts de Saint-Sulpice », précise-t-il.
Le ministère de la Culture souligne que BAnQ a soumis, le 20 novembre, une nouvelle proposition budgétaire et que celle-ci est à l’étude. L’échéancier sera établi « au regard de l’analyse », dit-on.
De son côté, M. Roy espère pouvoir lancer les appels d’offres en mars 2020. Une fois l’entrepreneur choisi, il faudra compter deux ans pour la réalisation des travaux.
« Ça voudrait dire que ça aurait pris six ans. Si je compare ça au Diamant [la salle de Robert Lepage à Québec], ce n’est pas trop long », laisse tomber le PDG, dont le mandat à la tête de BAnQ se termine dans un an et demi.