Guerre en Ukraine

Quelle est notre portée sur les réseaux sociaux ?

On voit apparaître un peu partout sur les réseaux sociaux des drapeaux jaune et bleu en soutien à l’Ukraine. Certains publient des photos des villes bombardées, ou encore des liens pour faire un don pour venir en aide aux réfugiés. Est-ce une forme de militantisme et d’engagement ? Quelle en est la portée ? Et que penser de ceux qui affichent leur bonheur en vacances en ces temps de relâche scolaire ?

Changer de photo pour soutenir une cause est devenu « un rituel », explique Mireille Lalancette, professeure de communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières. « C’est une façon de prendre part à un mouvement. Les gens expriment leur soutien, on l’a vu dans #BlackLivesMatters et dans #metoo. Ça peut être interprété comme une forme d’activisme paresseux. C’est se donner la possibilité de s’exprimer par rapport à une cause qui nous tient à cœur et de montrer au monde entier que nous ne sommes pas indifférents. »

Pour Nellie Brière, consultante en communications numériques et réseaux sociaux, publier le drapeau de l’Ukraine signifie qu’on partage la douleur des Ukrainiens. « On vit dans un pays où il y a une grande diaspora ukrainienne. On a envie de les soutenir. Certains ont des amis qui vivent l’horreur. On est touché, on les soutient comme on peut, car il est très difficile d’agir directement », affirme-t-elle.

Emmanuelle Parent, doctorante et chargée de cours en communication à l’Université de Montréal, pense qu’il y a en ce moment un grand sentiment d’impuissance. « Les gens se demandent quel rôle ils peuvent jouer dans ces évènements », estime la cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (Le CIEL).

« En quelques clics sur les plateformes, il est possible de soutenir la cause. Ça donne le sentiment qu’on y est sensible. »

— Emmanuelle Parent, cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne

Dans cette période trouble, il n’est toutefois pas question de juger qui que ce soit, rappelle Nellie Brière. « C’est une situation anxiogène. Il ne faut pas culpabiliser. Les gens ont besoin de se changer les idées, de penser à autre chose, de faire des activités avec les enfants et de le publier sur leurs réseaux sociaux, c’est normal, il y a des enjeux de santé mentale. »

Faire preuve d’empathie

Doit-on toutefois éviter de diffuser des évènements heureux de notre quotidien sur nos réseaux sociaux ? Est-ce ainsi faire preuve d’égocentrisme ?

Selon la psychologue Rose-Marie Charest, les enfants et les familles en semaine de relâche ont le droit à leur bonheur, ce qui ne les rend pas insouciants par rapport au malheur des autres. « On a vécu un traumatisme, la pandémie a été de longue durée, on a besoin de recommencer à profiter pleinement de notre vie et ça n’enlève rien aux autres », dit-elle.

« J’ai toujours été contre la méthode d’éducation selon laquelle il fallait finir son assiette, car il y avait des enfants qui avaient faim dans le monde. Quand tu n’as plus faim, tu n’as pas besoin de te donner mal au cœur, ça ne nourrira pas plus les autres. »

— Rose-Marie Charest, psychologue

Emmanuelle Parent rappelle qu’il faut surtout faire preuve d’empathie. « On est dans un espace social où on a tous différents modes de vie et de pensée […]. Il est bon de se rappeler que sur les réseaux sociaux, on ne sait pas tout, loin de là. Ce n’est pas parce qu’on ne publie pas le drapeau de l’Ukraine qu’on n’est pas touché par le conflit, explique-t-elle. On ne partage pas tout. Ce n’est pas parce qu’on ne publie pas notre sortie de ski qu’on ne s’est pas amusé. Il faut se distancer de cette pression qui peut causer du stress. »

« Du malheur, il y en a au quotidien dans la vie collective, individuelle, internationale. On ne va pas se couper du bonheur parce qu’il y a du malheur. C’est la semaine de relâche, relâchons-nous et essayons de nous réapproprier notre vie, mais n’oublions pas que ce n’est pas la seule vie qui existe, ni chez nous ni ailleurs. Si on peut être utile, soyons-le », souligne Rose-Marie Charest.

Mireille Lalancette indique que lorsqu’on change sa photo de profil pour une cause, il y a un désir d’implication. « Des recherches montrent qu’on est plus susceptible de participer à une manifestation, de faire un don, d’accueillir des réfugiés, c’est un premier pas vers d’autres étapes d’activisme. Les gens vont vouloir par exemple s’impliquer dans leur communauté. »

Effet politique

Pour Simon Thibault, professeur au département de sciences politiques de l’Université de Montréal, ce type de mouvement sur les réseaux sociaux a un réel effet sur le plan politique. « Les drapeaux sur les profils des réseaux sociaux, c’est une manifestation d’une indignation, mais quand cette sympathie en ligne se traduit par des manifestations importantes en Europe dans la rue, là clairement, il y a un effet sur le plan politique. Quand les manifestants crient “Faites quelque chose”, il y a une influence qui est plus forte et qui facilite l’action politique, la réactivité des politiciens sera plus grande. Si on voit les drapeaux sur les profils des réseaux sociaux, mais qu’il n’y a pas de relais dans la rue avec des manifestations, l’impact reste limité », précise-t-il.

Désormais, les médias sociaux sont impliqués dans la guerre de l’information. « Quand le président ukrainien fait appel à la mobilisation aux utilisateurs de TikTok, c’est assez spectaculaire. Il y a une croyance qu’il y a un véritable effet politique », dit-il.

Le professeur indique que dans les officines gouvernementales, on suit ce qui se passe sur les réseaux sociaux et que ça peut exercer une influence sur la politique. « De manière très locale, François Legault se plaint parfois des critiques sur son compte Facebook, ce n’est pas toujours représentatif de la majorité, mais ça peut l’être parfois. Dans ce cas-ci, il y a une indignation sur ce qui se passe en Ukraine qui est palpable à travers les capitales occidentales, et les politiciens n’y sont pas insensibles. »

Distinguer le vrai du faux

En ce qui concerne les fausses nouvelles et de la désinformation, les spécialistes interrogés pensent qu’il faut être vigilant et s’en tenir aux médias traditionnels. « Il y a des gens qui n’ont pas développé les bons réflexes de suivre des médias crédibles, ça devient complexe de faire la part du vrai et du faux. Comment naviguer en ces temps de crise, comment savoir ce qui est vrai ? Il y a de la propagande sur les réseaux sociaux, il faut faire attention à ce qui est en direct. Il y a deux camps qui s’affrontent en utilisant les réseaux sociaux de toutes sortes de manières », explique Nellie Brière, consultante en communications numériques et réseaux sociaux. « Ça devient difficile de se fier à autre chose que les journalistes qui sont sur le terrain et aux médias qu’on connaît. »

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