Le naufrage du système de santé

Dans le contexte extrêmement difficile de la pandémie de COVID-19, le réseau de la santé a exposé ses faiblesses.

La plus grande faiblesse mise en lumière par la pandémie est la fragilité des ressources humaines. La pénurie de personnel s’aggrave de mois en mois, rendant la situation intenable, et ce, dans un contexte d’alourdissement de la clientèle. Alors que, justement, la pandémie semble diminuer ses effets sur le réseau, la situation des ressources humaines, elle, est sur le bord de l’effondrement.

Il y a une limite à étirer l’élastique. Depuis le début de la pandémie, les départs de membres du personnel soignant dépassent les arrivées. À l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la moitié des postes d’infirmier et d’infirmière et les trois quarts des postes d’inhalothérapeute sont vacants. De nombreux lits des soins intensifs sont fermés faute de personnel. De plus, 25 % des lits des soins actifs sur les étages sont fermés.

Les heures supplémentaires obligatoires se sont imposées comme l’ultime recours face à la rupture de services, alourdissant la charge de travail, le fardeau émotionnel et la détérioration du climat de travail, et poussant le personnel à quitter le navire en détresse.

Comment s’étonner ensuite que 10 % de tous les infirmiers et les infirmières au Québec soient absents en invalidité long terme ?

Les agences de placement en soins infirmiers, une cause du problème

Bénéficiant d’un statut externe, ces agences attirent les infirmiers et les infirmières et autres soignants avec des horaires flexibles et raisonnables, par l’absence d’heures supplémentaires obligatoires, et en plus, par une rémunération supérieure. C’est ainsi que, jusqu’à tout récemment, les infirmiers et les infirmières découragés abandonnaient le réseau public pour se faire réengager par le même hôpital, mais dans de bien meilleures conditions. Cette ponction, fort onéreuse pour le réseau public, est intenable et doit cesser. Les agences ont un rôle essentiel à jouer, en particulier dans les établissements ruraux, mais elles ne doivent en aucun cas exacerber les difficultés vécues dans nos grands centres.

Les causes du débordement des urgences

Déjà maintes fois décriée, la congestion des urgences est devenue insoutenable. Notre réseau hospitalier urbain manque de fluidité. Les urgences débordent en majeure partie parce que les patients hospitalisés n’ont pas accès aux lits hospitaliers, non seulement parce que de nombreux lits sont fermés par manque de personnel, mais aussi parce qu’entre 5 % et 10 % des lits hospitaliers sont occupés par des patients en fin de soins actifs, qui n’ont plus besoin de rester dans un hôpital de soins aigus, mais qui attendent une place ailleurs (en CHSLD, ressource intermédiaire ou en convalescence). Malgré le trop grand nombre de morts déplorées en milieux de soins pour personnes âgées lors de la première vague, la disponibilité des places dans ces centres est demeurée insuffisante.

L’urgence d’agir

Partout dans le réseau, on a fermé de 10 % à 20 % des lits sur les étages pour soulager les équipes de soins dans un contexte de pénurie de personnel et les patients qui auraient eu besoin de ces lits fermés sont refoulés dans les urgences, qui, elles, restent ouvertes.

Nos équipes des urgences, déjà incomplètes et épuisées, doivent absorber des débordements de patients, bien au-delà de la capacité pour laquelle ces urgences ont été conçues.

Pendant ce temps, les civières se multiplient dans les corridors. Cette médecine de corridor, maintes fois décriée, doit cesser avant que les accidents et les erreurs ne soient trop fréquents. Cet état de fait met en péril notre mission, celle d’accueillir et de stabiliser les nouveaux patients se présentant avec des états de santé aigus et non diagnostiqués.

Des solutions

Le gouvernement doit reconnaître à leur juste valeur ses « anges gardiens ». Les salaires devraient compenser la charge de travail accompli et le stress associé. Mais bien plus que les conditions salariales, le recrutement et la rétention de personnel, les conditions de travail, le respect de la vie personnelle des travailleurs de la santé, l’élimination des heures supplémentaires obligatoires et le respect des ratios sécuritaires pour la dispensation de soins devront être plus que jamais au centre des préoccupations des gestionnaires des ressources humaines.

La situation au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal est parmi les plus préoccupantes au Québec. Le taux d’heures supplémentaires obligatoires a atteint des proportions stratosphériques. Le modèle de gestion utilisé a démontré son incapacité à solutionner la crise. Nous faisons appel au ministre de la Santé, Christian Dubé, pour intervenir :

  • en déplaçant tous les patients en fin de soins actifs hors des hôpitaux du CIUSSS de l’Est, vers des ressources appropriées à leur état de santé ;
  • en offrant aux agences uniquement des quarts de travail dégarnis (soirs, nuits et fins de semaine) pour l’ensemble du réseau public, et ce, pour toute la grande région métropolitaine, par décret immédiat ;
  • en revoyant en profondeur la gestion des ressources humaines et les conditions de travail du personnel afin de promouvoir l’embauche massive requise et la rétention du personnel.

À défaut, le ministre devra bientôt annoncer que le CIUSSS de l’Est n’est plus en mesure de dispenser les soins universels auxquels la population a droit. Alors que les fermetures des urgences se multiplient au Québec, allons-nous rester les bras croisés en attendant que les urgences du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal ferment à leur tour, laissant un demi-million d’usagers sans service d’urgence de proximité ?

Monsieur le ministre, le temps presse.

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