Portraits d'enseignants

« C’est compliqué, mais on n’a pas le choix »

Maëlle Annic

« C’est un marathon, une course sans fin. Déjà, une rentrée, c’est compliqué, il y a beaucoup d’information. Mais avec tout le protocole sanitaire, c’est 10 fois pire. » Maëlle Annic enseigne aux enfants de 10 et 11 ans à l’école primaire Saint-Nom-de-Jésus, dans Hochelaga-Maisonneuve. Si ce n’était de son équipe « absolument géniale », elle avoue qu’elle aurait pleuré déjà plusieurs fois le soir. « On essaie d’en rire plutôt que de chialer, de se dire qu’on est tous dans le même bateau et que, oui, c’est compliqué, mais qu’on n’a pas le choix. »

Le principal défi ? « Réorganiser notre manière d’enseigner avec les mesures sanitaires. » Mais il y a autre chose : les enfants ont pris beaucoup de retard au printemps, notamment en français, note-t-elle. Et faute d’un nombre suffisant de concierges, elle et tous les enseignants du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) doivent dorénavant désinfecter les tables et les chaises de leur classe deux fois par jour, « chose que, normalement, on n’est pas censés faire parce que c’est du temps en moins pour l’enseignement », dit-elle. « Ça va aussi être très difficile de suivre les apprentissages à cause des tests qu’on doit aller passer dès qu’il y a deux symptômes ressemblant à la COVID-19. »

Mathieu Boutin

Professeur de sciences au Collège Jean de la Mennais, Mathieu Boutin ne veut surtout pas revivre l’expérience du printemps, même si la rentrée est difficile d’un point de vue logistique. « Au départ, la multitude de règles, autant pour l’enseignant que pour l’élève, juste se mettre ça dans la tête, ç’a été quelque chose, précise-t-il. Là, on commence à être sur une erre d’aller, mais c’est très différent de nos pratiques habituelles. Déjà, à la base, on sait qu’on n’ira pas à la même vitesse que dans un contexte normal. Actuellement, il y a des enseignants qui doivent gérer leur classe et en même temps, interagir avec les élèves à la maison. »

À Jean de la Mennais, un établissement privé de la Rive-Sud, si un jeune a des symptômes de COVID-19, il suit ses cours à distance. Des caméras ont été installées dans les classes pour que les profs puissent se filmer en enseignant. Inquiet ? « Oui, quand même. Pour l’instant, on passe au travers, mais s’il fallait que 12, 13, 14 élèves par classe soient retirés pour des symptômes, ça deviendrait démesuré pour l’enseignant. Est-ce que ma charge de travail va devenir trop intense ? », se demande-t-il.

Julien Després

La rentrée ? « C’est beaucoup de lavage de mains, à un point où on se demande si c’est bon pour les anticorps, lance Julien Després, prof de quatrième année à l’école primaire Notre-Dame-de-la-Garde, à Verdun. Mais ça se passe pas mal mieux que ce que j’appréhendais. Les enfants trouvent quand même des façons originales de jouer dans la cour malgré le fait qu’il y a des zones à respecter. »

Contrairement à d’autres, M. Després ne trouve pas sa tâche plus difficile ni plus lourde qu’avant, mais il s’ennuie du contact avec ses élèves. « Je suis quelqu’un qui a toujours aimé me tirailler avec les jeunes, jouer au soccer, faire des combats de karaté, explique-t-il. Je trouve ça plus difficile d’être toujours à distance. Mais on s’adapte, on fait autre chose. » Et si la routine sanitaire a été un dur apprentissage durant la première semaine d’école, ça va déjà mieux, fait-il remarquer.

« On prend le beat assez rapidement. Ce que j’entends qui est difficile pour les enseignants, c’est de toujours avoir le nez dans le masque, ça fait un peu plus mal à la gorge. On parle plus fort, on ne se comprend pas bien. »

Ève Martin-Laval

De nature anxieuse, Ève Martin-Laval a fait quelques nuits d’insomnie avant le grand retour. « Le défi, c’était les récréations et les dîners », confie cette enseignante de sixième année à l’école primaire Saint-Jean-Baptiste, à Val-David, dans les Laurentides. « Les élèves répondent vraiment très bien à tout ce qu’on a mis en place. Je suis vraiment, vraiment étonnée. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi rapide. »

Les repas, autrefois pris à la cafétéria, sont maintenant en classe. Le protocole sanitaire prévoit le lavage des bureaux avant et après le repas. « Je frotte et les élèves frottent, dit Mme Martin-Laval. On fait attention. On a un protocole assez clair que j’ai établi avec les élèves. On est surtout en bulle classe, on respecte ça énormément dans l’école, c’est ce qui me sécurise le plus. J’ai placé ma classe de façon à ce que je puisse enseigner à deux mètres d’eux. Quand je fais de la surveillance, je mets mes lunettes, mon masque et ma visière. J’y vais au maximum. »

Y a-t-il des retards sur le plan scolaire ? « On fait comme si les élèves n’avaient vraiment pas vu la matière l’an dernier », répond-elle.

Émilie Desgagnés

Enseigner l’art dramatique en période de pandémie est un casse-tête. Prof à l’Externat Saint-Jean-Eudes, une école secondaire privée de Québec, Émilie Desgagnés doit parfois se dédoubler, en plus de faire le ménage. « Je peux avoir plusieurs élèves de groupes différents parce que j’enseigne au profil comédie musicale », indique-t-elle.

Un groupe formé par deux classes différentes ne peut être dans le même local. Mme Desgagnés doit donc parfois passer d’une salle à l’autre pour enseigner. L’autre problème, c’est le nettoyage. Si elle utilise l’auditorium ou une salle de danse, elle doit désinfecter avant l’arrivée de l’autre groupe, passer la vadrouille, laver les bancs et les accessoires qui ont été utilisés. « Je ne sais pas combien de temps on va pouvoir faire ça. Mais ça change complètement, c’est sûr. Pour les élèves aussi. » Cela dit, elle observe une belle collaboration. « Des fois, on pourrait se dire, des ados… Mais, pour vrai, ils portent le masque dans les corridors, on n’a pas beaucoup besoin de faire la police. On sent que tout le monde est mobilisé, c’est comme une cause commune. »

Reste qu’enseigner en temps de pandémie, c’est exigeant. « Est-ce qu’on va être capables d’être comme ça toute l’année ? Je ne le sais pas. »

Annie Charbonneau

Enseignante à l’école primaire Notre-Dame-de-la-Paix, à Saint-Ambroise-de-Kildare, dans Lanaudière, Annie Charbonneau est encore en adaptation. « Peut-être que les écoles qui ont vécu une rentrée au printemps étaient prêtes, mais pas nous. Les premiers jours d’école, on a changé les routines parce que ce n’était pas optimal. Je considère que les enfants sont de petits héros. Ils s’adaptent et collaborent. Ils sont heureux d’être revenus à l’école. Mais ce n’est pas une année normale. »

Après deux semaines d’école, Annie Charbonneau n’avait toujours pas vraiment commencé à enseigner. « On a sécurisé les enfants, parlé de leurs émotions, de comment ils se sentent. Et on a enseigné les nouvelles routines », explique-t-elle d’une voix éraillée à force de parler derrière un masque. « Ma classe est très petite. C’est rare que je sois à deux mètres des enfants. Je dois mettre mon masque constamment. »

Pour elle, le plus grand défi sera de faire du rattrapage scolaire. « Dans mon école, on a moins de services que l’année passée pour le soutien aux enfants en difficulté », dit-elle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.