Manifestations contre la politique zéro COVID-19

Pékin dans un cul-de-sac

Une intense présence policière dans les principales villes chinoises a étouffé mardi les manifestations inédites de la fin de semaine. En parallèle, le gouvernement veut accélérer la vaccination des personnes âgées.

Tel un serpent qui se mord la queue, la Chine se trouve prise au piège de sa propre stratégie zéro COVID-19. La population n’en peut plus des mesures sanitaires coercitives, mais les lever pourrait entraîner un déferlement de morts et l’effondrement du système de santé.

Un mouvement populaire d’une ampleur inédite depuis des décennies a secoué plusieurs villes chinoises au courant de la fin de semaine. La fatigue de la population face aux strictes restrictions encore imposées pour prévenir la COVID-19 semble avoir pris les autorités de court.

Mardi, le gouvernement chinois a toutefois maintenu la ligne dure sur l’importance de sa politique « zéro COVID-19 », qui implique le dépistage systématique, le traçage et des confinements locaux stricts.

Mardi, une importante présence policière dans les grandes villes comme Pékin et Shanghai a limité les nouvelles manifestations. En parallèle, le gouvernement a annoncé un groupe de travail spécial pour la vaccination des personnes âgées, selon l’Agence France-Presse.

Pourquoi la Chine utilise-t-elle encore l’approche zéro COVID-19 ?

D’un point de vue politique, il s’agit d’une question de fierté, estime Kimberley Manning, professeure de science politique à l’Université Concordia, spécialiste de la révolution chinoise. « Les autorités chinoises ont été en mesure d’éviter tellement de chaos et de décès en début de pandémie [avec l’approche zéro COVID-19] que c’était une réussite, souligne-t-elle. Pendant ce temps, ils ont largement critiqué l’Occident, les États-Unis en particulier. »

Or, l’approche a cessé de fonctionner à l’arrivée du variant Omicron, hautement contagieux, comme le montrent les données de l’Organisation mondiale de la santé. Tandis que la majorité des pays ont modifié leur stratégie pour s’adapter à cette nouvelle réalité, la Chine est la dernière grande économie à maintenir la ligne dure. Elle fait actuellement face à un nombre record d’infections.

La réouverture de la Chine est-elle envisageable ?

Un effet pervers de la stratégie chinoise est que la population s’est sentie protégée de la maladie.

« La politique zéro COVID-19 a diminué la volonté [de la population] de se faire vacciner, parce que le gouvernement a tellement martelé le fait qu’il allait éradiquer le virus que les gens ne voyaient pas la nécessité de [relever la manche] », observe Pascale Massot, professeure de science politique à l’Université d’Ottawa.

C’est particulièrement vrai pour la population âgée et vulnérable, chez qui l’hésitation vaccinale est plus importante, rappelait l’agence de presse Bloomberg en juillet dernier.

Or, selon Nathalie Grandvaux, biochimiste à l’Université de Montréal, « la stratégie zéro COVID était vouée à l’échec à partir du moment où on a su que les vaccins ne protègent pas à 100 % contre les infections ou la transmission ».

Un paradoxe de la politique chinoise est que tout en imposant des mesures draconiennes de confinement à sa population, les autorités n’ont jamais opté pour l’obligation vaccinale. Ajoutons à cela une efficacité moindre des vaccins fabriqués en Chine, par comparaison à ceux à ARN messager, rappelle Mme Grandvaux.

Résultat : la population est particulièrement vulnérable aux infectons. « À partir du moment où une infection arrive, elle prend une ampleur qui montre que la population n’a pas une protection très forte, observe Mme Grandvaux. Donc, à partir du moment où la Chine va s’ouvrir, il va y avoir une vague de décès. »

Une vague qui pourrait bien surcharger le système de santé.

« Le système de santé en Chine n’est pas du tout aussi développé que celui des pays avoisinants, comme la Corée ou même Hong Kong, remarque Pascale Massot. C’est sûr que si le gouvernement décidait de rouvrir un tant soit peu, il y aurait des défis énormes de santé publique. »

Les manifestations sont-elles vraiment hors du commun ?

Ce mouvement de protestation est différent de ceux des dernières années parce qu’il touche toute la Chine et qu’il s’attaque directement au gouvernement central, selon Pascale Massot.

« Le régime a perdu le soutien de la population, résume-t-elle. Jusqu’à tout récemment, les gens étaient assez alignés avec le discours du gouvernement. Ils avaient l’impression que la politique avait du sens et sauvait des vies. Là, ça change, poursuit-elle. Les gens en ont ras le bol. »

Malgré tout, il serait surprenant que le gouvernement chinois change son discours sur son approche zéro COVID-19 à court terme, ajoute l’experte, qui a aussi travaillé à la nouvelle stratégie canadienne indopacifique. « À moyen et long terme, le gouvernement va devoir trouver une porte de sortie, mais dans l’immédiat, je ne m’attends pas à de grands changements politiques, mais à beaucoup de contrôle, de présence policière et de censure. »

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