Concerts classiques dans les rues de Montréal

Ne soyez pas étonné si l’on frappe à votre porte pour vous livrer un extrait de l’une des plus belles œuvres du répertoire classique. Des centaines de musiciens et chanteurs professionnels unissent leurs efforts ces jours-ci, afin d’offrir un peu de bonheur aux citoyens.

Qui aurait cru voir des cuivres, une contrebasse et même une harpe sillonner les rues de Montréal à la recherche de leur public, il y a quelques mois à peine ? La situation est inhabituelle. Étonnante. C’est pourtant ce qui se produit, tous les mardis et jeudis, entre 16 h et 18 h 30, dans différents quartiers de Montréal.

Quarante duos de musiciens et chanteurs classiques actifs sur la scène internationale vont en effet de porte en porte, et de ruelle en ruelle, depuis la fin du mois de juin, afin de livrer leurs Mini-concerts Santé à la population, ne demandant rien d’autre en retour que la satisfaction d’avoir décroché quelques sourires et d’avoir fait du bien.

« La pandémie empêche le public de se rendre à la musique, mais rien n’empêche la musique de venir à lui », affirme le flûtiste, compositeur et chef d’orchestre Matthias Maute, qui est à l’origine du projet. L’initiative, remarque-t-il, a l’effet d’un baume sur des spectateurs qui sont, au premier abord, surpris, mais toujours ravis.

« On a même vu des gens en pleurs parce que, depuis le début du confinement, c’est la plus belle chose qui leur soit arrivée. »

— Matthias Maute, chef d’orchestre d’Ensemble Caprice et directeur artistique de l’Ensemble vocal Arts-Québec

« Maintenant que le soleil brille et qu’il fait chaud, on a l’impression qu’on n’est plus en pandémie. Mais non. L’isolement persiste et on sent l’impact du confinement sur le moral des gens. Et c’est pour ça que tout a commencé. »

Une rencontre inattendue

Cette aventure est une histoire de musique, mais aussi de contacts humains, souligne le chef d’orchestre de l’Ensemble Caprice, formation saluée par The New York Times et récompensée par deux prix Juno. L’orchestre s’est joint, dans ce projet, au chœur professionnel de l’Ensemble vocal Arts-Québec, également dirigé sur le plan artistique par Matthias Maute.

La formule des Mini-concerts Santé est légère et élégante. Elle permet par ailleurs une rencontre entre les artistes de musique classique et un nouveau public. L’initiative ratisse large et priorise les quartiers défavorisés de la ville. L’une des cibles du projet est d’ailleurs de rejoindre une population qui n’a pas l’habitude des concerts classiques. Les musiciens la trouvent chez elle, dans les rues, les jardins, les ruelles…

« On veut rejoindre le plus de gens possible. Et on voit combien ils sont ouverts à cette expérience. La musique, c’est le langage auquel tout le monde peut s’identifier, peu importent les classes sociales, les origines ethniques, les religions. »

— Matthias Maute

Les musiques sélectionnées sont issues des répertoires classique, romantique, baroque, contemporain ou même jazz, et choisies de façon à séduire. « Ce sont des pièces joyeuses qui sont accessibles et adaptées à la situation. Et les gens embarquent, ajoute le chef. Chaque fois qu’on revient d’une tournée en ville, on est fatigués, mais on voit qu’on touche des cordes sensibles. On se sent à la bonne place avec ce projet. »

Faire tomber le mur invisible

Si la situation est inhabituelle pour ceux qui ont la chance de se voir livrer une musique de qualité à domicile et dans une proximité exceptionnelle (quoique réglementaire), elle l’est également pour les musiciens qui ont l’habitude de faire des tournées internationales et de se produire sur scène.

« Nous, les musiciens classiques, on est tellement habitués à faire venir les gens chez nous. C’est un apprentissage que de développer les réflexes pour établir un contact avec le public, et faire tomber le mur qui nous sépare. Cette frontière ne peut pas exister dans la rue », relève Matthias Maute.

À la mi-mars, l’Ensemble Caprice voyait plus de 40 de ses concerts annulés sur quatre continents en raison de la pandémie. « On se retrouve devant des salles vides. Et c’est aussi ce vide qu’on cherche à combler avec ce programme, en faisant travailler les gens du milieu musical tout en servant la société. »

La flûtiste Sophie Larivière, codirectrice artistique de l’Ensemble Caprice, fait partie des musiciens qui font vibrer la ville avec leurs instruments. « Quand le projet est né, on était dans une autre réalité et c’était plus qu’inimaginable de penser jouer à l’extérieur. Il fallait être visionnaire pour penser que ça aurait un tel succès. » Cette initiative, dit-elle, jette une nouvelle lumière sur son travail.

« Dès qu’on a commencé, on a bien vu que ça touchait tout le monde. Ça fait du bien aux musiciens. On connaît la pression de jouer en salle, mais on n’a pas nécessairement l’idée de partager autant avec les gens. Je suis vraiment heureuse d’avoir ce contact humain », témoigne la musicienne.

« Les Montréalais sont extraordinaires. Même quand ils sont pressés, on sent que les gens sont reconnaissants et émus. Certains ne sont pas de grands amateurs de musique classique, mais ils sont à l’écoute. »

— Sophie Larivière, codirectrice artistique de l’Ensemble Caprice

Une force novatrice

Le projet, qui en est à la première phase de son développement, est appuyé par la Fondation Lucie et André Chagnon et la Fondation du Grand Montréal. Il vise à rejoindre 10 000 personnes et à embaucher 1200 musiciens et chanteurs dans un premier temps. Les organisateurs poursuivent leur recherche de financement pour déployer les phases subséquentes du projet.

L’Ensemble Caprice fête ses 30 ans d’existence lors d’une année exceptionnelle à plusieurs égards. Mais il a l’habitude des initiatives qui sortent des sentiers battus. Décrit par The New York Times comme une force progressiste du monde musical et « un ensemble qui invite l’auditeur à réentendre le monde », il a attiré l’attention des critiques avec son opéra Motezuma de Vivaldi, revisité à travers des textes contemporains et des compositions qui complètent le répertoire perdu du compositeur, ou encore, divers projets visant à mettre en valeur les voix féminines, les musiques métisses ou francophones dans le répertoire baroque.

Les Mini-concerts Santé s’inscrivent dans cette lignée novatrice. « On se met constamment au défi comme musiciens. Et je crois que c’est ce qui nous tient jeunes comme ensemble. » Au total, 3000 prestations seront livrées aux citoyens de Montréal jusqu’au 23 juillet, et d’autres suivront possiblement si le projet a la chance de poursuivre sa dynamique lancée.

Les Mini-concerts de jeudi soir auront lieu dans les rues des arrondissements du Sud-Ouest, de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce et de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

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