COVID-19

« Il faut recommencer à s’occuper des autres malades »

Sur les lignes de touche depuis le début de la crise de la COVID-19, les médecins spécialistes veulent reprendre du service. Constatant une vague de malades moins importante que prévu, il est temps de « redémarrer » le système, sans quoi les dommages à moyen et long termes pourraient être importants, préviennent-ils.

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Les spécialistes veulent en faire plus

Le réseau de la santé ne peut plus rester sur pause encore longtemps, prévient la Dre Diane Francœur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

« Il faut penser à rouvrir certaines cliniques et reprendre certains traitements, sinon les dommages collatéraux seront trop importants », affirme-t-elle en entrevue avec La Presse.

Depuis un mois, les hôpitaux du Québec tournent au ralenti pour faire de la place aux patients atteints de la COVID-19. Quelque 6000 lits ont ainsi été libérés. Néanmoins, « il faut recommencer à s’occuper des autres malades, sinon, lorsqu’on les verra dans deux, trois ou quatre mois – si la pause se prolonge jusque-là –, ce sera la cohue, et tout deviendra urgent », dit la Dre Francœur.

Déjà, des cardiologues sonnent l’alarme, car des patients, craignant de contracter la COVID aux urgences, tardent à se rendre à l’hôpital.

« Nos membres nous racontent que des patients qui font des infarctus ou des AVC ne se présentent plus aux urgences à l’apparition des premiers symptômes ; ils arrivent à l’hôpital au jour 2 ou au jour 3, alors qu’on sait que plus on intervient tard, plus les patients risquent de rester avec des séquelles », raconte la Dre Francœur.

Les chirurgiens en oncologie qui n’opèrent presque plus sont eux aussi inquiets, selon elle. « Ils font de la télémédecine pour rassurer leurs patients, mais il y a des limites à les rassurer, car on ne peut pas leur mentir non plus », décrit-elle.

Activités en chute

À l’heure actuelle, les activités des spécialistes ont diminué de 60 %, indique- t-elle, citant un récent sondage que la FMSQ a réalisé auprès de ses membres.

Beaucoup de spécialistes – dont les chirurgiens – aimeraient aujourd’hui prêter main-forte au réseau, mais leur aide n’est pas sollicitée. « Au début de la pandémie, on a offert notre aide au ministère de la Santé pour soutenir le réseau téléphonique 811, mais en vain. Puis, lors de l’éclosion de cas dans les CHSLD, on a levé la main pour prêter main-forte, mais on nous a dit que les omnipraticiens suffisaient à la tâche », rappelle la Dre Francœur.

Au retour de la semaine de relâche, libérer un maximum de lits d’hôpital, en tirant des leçons de ce qui se déroulait en Italie, « c’était la chose à faire », souligne-t-elle. 

« Maintenant que le scénario catastrophe italien ne s’est pas concrétisé ici, pourrait-on penser à reprendre les consultations pour des groupes moins à risque, comme les enfants ou des patients de 50 ans et moins ? »

— Diane Francoeur, présidente de la FMSQ

Il faut toujours limiter les opérations qui nécessitent un séjour aux soins intensifs, précise la médecin spécialiste, en raison de la crainte de pénurie de médicaments utilisés lorsqu’on intube un patient.

Toutefois, la Dre Francoeur donne en exemple des allergologues qui ne travaillent pas à l’heure actuelle, alors que des enfants sont sur des listes d’attente pour passer des examens liés à de possibles allergies.

Autre exemple : dans certaines régions du Québec, il y a déjà deux ans d’attente pour consulter un physiatre ou un neurologue. « Va-t-on passer à trois ans d’attente pour atteindre le risque zéro ? », demande la présidente de la FMSQ.

Alors qu’on parle de rouvrir les écoles, « il faut penser à reprendre certaines activités médicales de façon prudente, sécuritaire, conclut la Dre Francœur, avant que les listes d’attente ne s’allongent trop. »

Questionné par La Presse sur l’offre des spécialistes de reprendre certaines activités ralenties ou arrêtées en raison de la pandémie, Alexandre Lahaie, attaché de presse de la ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann, a indiqué que Québec « travaille avec la FMSQ pour utiliser les médecins spécialistes partout dans le réseau où on a des besoins en fonction de leur compétence, et ce, le plus rapidement possible ».

Vendredi, en conférence de presse, Mme McCann, a dit avoir « eu plusieurs conversations avec la présidente de la Fédération des médecins spécialistes » qui offrait que ses membres aillent prêter main-forte au personnel en CHSLD, notamment pour répondre aux questions des familles inquiètes au sujet de leurs proches. « C’est en train de s’organiser, là, pour vraiment entrer en contact avec les familles, a assuré la ministre. On a 450 médecins de famille qui travaillent déjà, là, et eux aussi vont être impliqués dans les communications avec les familles. »

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Des urgentologues craignent des dommages collatéraux

Des urgentologues demandent à Québec de « redémarrer » le système pour limiter les dommages collatéraux.

« Nous voyons trop souvent, ces jours-ci, des patients qui retardent leur visite aux urgences pour des conditions critiques de peur de contracter la COVID-19 à l’hôpital. Plusieurs autres développent des complications de maladies chroniques dont le suivi a été interrompu. Sans oublier les cancers que nous continuons de diagnostiquer et dont la prise en charge est retardée », décrivent les spécialistes en médecine d’urgence Jean-Simon Létourneau (Hôtel-Dieu de Lévis), François de Champlain (Centre universitaire de santé McGill), Richard Fleet (Hôtel-Dieu de Lévis) et Joanne Liu (pédiatre-urgentiste et présidente internationale sortante de Médecins sans frontières) dans une lettre ouverte transmise à La Presse dimanche. 

Ces médecins spécialistes demandent à Québec de s’attarder dès aujourd’hui au sort de ces « patients qui souffrent dans l’attente et qui risquent malheureusement de devenir des victimes collatérales de la crise ».

Les quatre signataires ont confiance que le système de santé arrivera à affronter la « tempête tant redoutée » des patients atteints de la COVID-19 qui auront besoin d’être hospitalisés dans les prochaines semaines. 

« Bien que la préparation des résidences pour personnes âgées et des CHSLD soit tombée dans notre angle mort, tous les efforts déployés dans les hôpitaux n’auront pas été vains puisque nous devions prévoir le pire. »

— Quatre urgentologues, dans une lettre ouverte

Une fois la première vague passée, les Québécois devront apprendre à vivre avec le coronavirus pendant un certain temps, expliquent-ils, avant l’arrivée d’un vaccin efficace. Le défi sera de reprendre progressivement nos activités en parallèle de la gestion de la pandémie, ajoutent-ils.

« Puisque le coronavirus continuera de circuler dans la communauté, il faudra traiter des patients atteints de la COVID-19 tout en maintenant un accès équitable aux soins pour tous les autres, et ce, en évitant d’entretenir la chaîne de transmission », poursuivent les médecins spécialistes.

Relance

La relance doit être envisagée maintenant, croient-ils : « Il faudra toutefois faire les choses différemment, car le spectre d’une nouvelle pandémie ne sera jamais bien loin. »

Aux yeux de ces spécialistes de la médecine d’urgence, la télémédecine, largement adoptée pendant la crise, doit maintenant devenir la norme. Ils plaident aussi pour que les soins soient davantage donnés dans la communauté plutôt qu’à l’hôpital. Et que la délégation d’actes et le transfert de tâches vers d’autres professionnels de la santé s’accélèrent.

Pour limiter la transmission du virus en milieux de soins, la Dre Liu et ses confrères aimeraient que Québec maintienne le « concept de l’hôpital dans l’hôpital » – une zone distincte pour traiter les patients atteints de la COVID-19 – et qu’il soit même intégré au cœur de la conception des nouveaux hôpitaux.

Parmi leurs autres pistes de solution, ces urgentologues croient que Québec doit en faire plus pour « protéger ses anges gardiens », notamment en mettant en place dès maintenant « une forme de protectionnisme médical pour la production d’équipements et de médicaments afin d’assurer notre autonomie future ».

« Même si la tempête est loin d’être terminée, il est temps de planifier la reprise de nos activités pour le bien-être de nos patients. Et alors que nous reprendrons un jour un rythme de vie normal, il faudra poursuivre les efforts afin de [nous] préparer pour la prochaine fois », concluent ces médecins aux premières loges de la lutte contre la COVID-19.

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