Recours judiciaires contre le voisin de La Tulipe
L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal autorisera ce jeudi des recours judiciaires pour « usage illégal » contre le propriétaire des 4518 à 4526, avenue Papineau, immeuble voisin du cabaret La Tulipe, a appris La Presse.
Il y a un peu plus d’un an, le propriétaire en question, Pierre-Yves Beaudoin, a déposé une demande d’injonction pour que la salle de spectacle cesse d’émettre du bruit excédant la limite prévue par le règlement municipal.
Une réponse favorable de la Cour supérieure à cette requête entraînerait « la fermeture des lieux sans condition » après près de 20 ans d’activités, a alerté son propriétaire, La Tribu, dans un « appel à l’aide » publié dans les réseaux sociaux à la mi-décembre. Les audiences devaient avoir lieu avant les Fêtes, mais elles ont été reportées au mois de mars dans l’espoir d’un dénouement négocié.
Or, à l’été 2021, l’arrondissement a découvert que M. Beaudoin avait obtenu un permis pour aménager un logement « contrairement à la réglementation ». Celle-ci prévoit qu’« un local occupé à des fins d’habitation ne peut être adjacent à un débit de boissons alcooliques ou à une salle de spectacle ». La partie du rez-de-chaussée où réside M. Beaudoin, qui partage un mur mitoyen avec La Tulipe, servait naguère d’entrepôt.
La demande de « transformation » du 4518, avenue Papineau a été autorisée « par erreur » le 29 juin 2016 par le chef de division, urbanisme, du Plateau-Mont-Royal, et le chef de division, permis et inspection, de la Ville de Montréal.
Le 4 août dernier, la Direction du développement du territoire et des études techniques a transmis un avis à M. Beaudoin pour faire cesser l’usage résidentiel de son logement dans un délai de 90 jours. « Le propriétaire a clairement indiqué qu’il continuerait d’occuper le logement », souligne l’arrondissement, qui a répliqué avec une mise en demeure le 15 décembre dernier.
Lors d’une séance extraordinaire du conseil d’administration, ce jeudi, le Service des affaires juridiques du Plateau-Mont-Royal recevra le feu vert pour « intenter toutes les procédures judiciaires requises, y compris, le cas échéant, le recours à l’injonction devant la Cour supérieure, afin de faire cesser l’utilisation non conforme du logement ».
« On démontre qu’on est très sérieux dans notre volonté de faire cesser l’usage illégal et de s’assurer de la protection et de la pérennité de La Tulipe. »
— Luc Rabouin, maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, en entrevue avec La Presse
M. Rabouin note que le Service des affaires juridiques est « bien au fait du dossier » et qu’il fera des actions rapidement. « On veut lui donner le mandat le plus large possible, pour qu’il puisse jouer toutes les cartes qu’il juge pertinentes. »
Le mandat inclut « le recours à l’injonction pour forcer le retrait du logement non conforme, l’exécution de travaux visant à assurer la cohabitation des usages et le respect de la réglementation d’urbanisme ».
Sans commenter ce dossier en particulier, Jean Hétu, professeur spécialisé en droit municipal à l’Université de Montréal interviewé par La Presse, note qu’« il est très clair que des permis donnés par des fonctionnaires, s’ils sont contraires à la réglementation, sont nuls ».
« Si on obtient un permis illégal, le seul recours est en dommages et intérêts contre la Ville vis-à-vis la faute du fonctionnaire », poursuit-il.
« Sur le fond du droit, que ce soit par des lettres ou des promesses, personne, ni un employé ni le maire, ne peut lier la municipalité. La Ville signe comme personne morale seulement par l’adoption de résolutions ou de règlements. »
— Jean Hétu, professeur spécialisé en droit municipal à l’Université de Montréal
L’avenue judiciaire est-elle un aveu d’échec des discussions entre les parties ? Selon Luc Rabouin, celles-ci pourront se poursuivre entre les avocats. « On est ouverts à une solution négociée, mais on n’attendra pas », dit-il.
L’immeuble de M. Beaudoin abrite 16 résidants locataires et deux commerces. Le propriétaire y réside depuis le mois d’août 2017. Il a depuis multiplié les plaintes verbales et écrites contre la salle de spectacle, plusieurs entraînant la visite des policiers et la remise de contraventions liées au bruit.
À la suite de la médiatisation du dossier de La Tulipe, situé dans un bâtiment construit en 1913 et classé patrimonial, M. Rabouin a rapidement manifesté son appui envers cette « institution culturelle importante ». « On en reconnaît la valeur et on veut s’assurer qu’elle reste dans le Plateau », avait-il affirmé. De nombreux artistes se sont aussi portés à la défense de l’ancien Théâtre des Variétés, qui accueille désormais des concerts et des soirées dansantes.
Pierre-Yves Beaudoin, un entrepreneur qui achète des propriétés pour les retaper et les remettre sur le marché locatif, a fait la manchette en 2016. Il avait fait appel à des agents de sécurité pour évincer les locataires de la « Coop sur Généreux », située dans le même immeuble, ex-propriété du comédien Gilles Latulippe.
M. Beaudoin « s’abstiendra de commenter pour le moment », ont fait savoir ses avocats.