Montréal en histoires

Émeute nationaliste au Forum

En un peu plus de 70 ans d’existence, le Forum de Montréal aura été le théâtre de nombreux événements mémorables. De tous, l’émeute du 17 mars 1955 à la suite de la suspension de Maurice Richard est sans doute celui qui est le plus ancré dans l’histoire de la ville. Et pour cause ! Cette manifestation violente constitue l’une des plus importantes poussées de fièvre nationaliste des Canadiens français depuis les émeutes de la conscription des Seconde et, surtout, Première Guerres mondiales. « Pour plusieurs, l’émeute du Forum est en fait considérée comme l’élément déclencheur de ce qu’on appellera la Révolution tranquille », écrit Martin Landry, de l’organisme Montréal en histoires.

Un dimanche soir à Boston 

Tout commence le dimanche soir du 13 mars 1955 au Garden de Boston, où le Canadien de Montréal affronte les Bruins. 

À la 14e minute de la troisième période, Maurice Richard reçoit un coup de bâton au visage de Hal Laycoe, un ancien coéquipier. Le fougueux ailier droit riposte et met son poing dans l’œil droit de Laycoe. Alors que le juge de ligne Cliff Thompson tente de l’empêcher d’aller plus loin, Richard le repousse et le frappe. Il est expulsé de la rencontre. 

Le mercredi 16 mars à 10 h précises, tout ce beau monde se retrouve dans les bureaux du président de la Ligue nationale de hockey, Clarence Campbell, situés dans l’édifice de la Sun Life à Montréal. Richard en est à ses troisièmes démêlés avec des officiels de la LNH. Les deux premières fois, il avait reçu des amendes. 

Évidemment, tous les médias montréalais sont présents pour cette rencontre s’annonçant houleuse. Et elle le sera ! 

« Comme on le prévoyait, la séance d’enquête a été orageuse, raconte La Presse. Des journalistes, dans une suite voisine, pouvaient entendre des éclats de voix, particulièrement celle de l’instructeur Dick Irvin du Canadien, un farouche défenseur de Richard. » 

En fin d’après-midi, la décision est rendue : Richard est suspendu pour les trois derniers matchs de la saison et toutes les séries éliminatoires ! La décision provoque du coup la colère des partisans francophones du Canadien. 

« La décision de Campbell a donné lieu à la plus violente explosion d’injures et de menaces jamais déclenchée dans les annales sportives de la métropole et même du pays », lit-on dans le numéro de La Patrie publié le même jour. 

« Les trois appareils téléphoniques n’ont pas dérougi pour des heures », ajoute ce quotidien. Dans La Presse du 17 mars, on cite le maire de la ville, Jean Drapeau, selon qui cette décision va « tuer le hockey » à Montréal. 

« Il me paraît évident, à la veille des séries éliminatoires, que la décision atteint encore beaucoup plus tout le hockey et tout le club Canadien que Maurice Richard lui-même », dit M. Drapeau, qui espère encore une révision de la décision. Mais celle-ci ne viendra pas. 

Un jeudi soir à Montréal 

Pis encore, Clarence Campbell a l’audace de se présenter au Forum le soir du jeudi 17 mars pour assister à la rencontre entre le CH et les Red Wings de Detroit. À mi-chemin de la première période, Campbell se présente à ses sièges réservés en compagnie de sa secrétaire Phyllis King (qu’il épousera plus tard). 

Campbell est hué copieusement. Les spectateurs lancent des objets en direction du couple. 

L’hebdomadaire Le petit journal rapporte le 20 mars que Campbell reçoit une « pluie de programmes chiffonnés, de barres de crème glacée, d’œufs, de ‟peanuts”, de bonbons, de pièces d’un cent et même de cinq cents ». 

À la fin de la première période, un individu s’avance vers lui et lui tend la main. Mais c’était pour mieux le gifler ! « Trois gifles magistrales », précise Le petit journal. 

Enfin, une bombe lacrymogène éclate dans les gradins. Le Forum est évacué. Le match est annulé. La victoire est donnée aux Red Wings. 

Dehors, c’est l’émeute. Plusieurs dizaines de vitres du Forum éclatent sous les lancers de cailloux, de bouteilles et de morceaux de glace. Des kiosques à journaux sont incendiés. Des voitures, renversées. La police coffre des dizaines de personnes. 

« Défi et provocation de Campbell », titre La Presse le lendemain. Les médias recueillent à chaud les réactions de partisans furieux. Le maire Drapeau indique que Campbell n’aurait pas dû aller au Forum. 

« M. Campbell a manqué de jugement, c’est le moins qu’on puisse dire. Et ce n’est pas la première fois qu’il agit comme s’il avait l’intention d’indisposer les Montréalais », écrit en éditorial Roger Duhamel dans La Patrie. Ce dernier condamne cependant les émeutes de la veille et estime que Richard devait être puni, mais pas aussi sévèrement. 

« On a tué mon frère Richard », écrit pour sa part André Laurendeau dans Le Devoir du 21 mars. « Le nationalisme canadien-français paraît s’être réfugié dans le hockey », écrit Laurendeau dans l’amorce de son texte. 

La poussière retombe assez rapidement, entre autres grâce à un appel au calme lancé par Maurice Richard le 18 mars. Cette année-là, le Canadien se rend tout de même en finale de la Coupe Stanley, qu’il perd en sept matchs contre les Red Wings de Detroit. Mais, avec le Rocket en tête, il remportera cinq Coupes consécutives de 1956 à 1960. Un record jamais réédité.

L’appel de Richard* 

« Mes chers amis : Parce que je joue toujours avec tant d’ardeur et que j’ai eu du trouble à Boston, j’ai été suspendu. Je suis vraiment peiné de ne pouvoir m’aligner avec mes copains les Canadiens dans les séries de détail. Je veux toutefois penser avant tout aux amateurs de Montréal et aux joueurs des Canadiens, qui sont tous mes meilleurs amis. Je viens donc demander aux amateurs de ne plus causer de trouble, et je demande aussi à tous les partisans d’encourager les Canadiens pour qu’ils puissent l’emporter en fin de semaine contre les Rangers et Detroit. Nous pouvons encore nous assurer le championnat. J’accepte ma punition et je reviendrai la saison prochaine pour aider mon club et les jeunes joueurs du Canadien à remporter la Coupe Stanley. Merci. »

* Version parue dans La Patrie, le 19 mars 1955

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