Bivouac

Pour l’amour de la forêt

Après Encabanée et Sauvagines, Gabrielle Filteau-Chiba renoue avec ses personnages Anouk, Raphaëlle et Riopelle dans Bivouac, un récit engagé et émouvant qui rend hommage aux forêts et aux communautés qui font tout pour les protéger.

Bivouac est donc le point culminant de ce qui est désormais un triptyque, Gabrielle Filteau-Chiba offrant ici un récit aux narrations croisées fort bien maîtrisé, très engagé du point de vue écologique et social, tout en évitant un ton moralisateur.

Traductrice de formation et dotée d’un talent certain pour le dessin, comme en témoignent les illustrations qui parsèment ses livres, la romancière, qui se décrit comme « autodidacte », sait imaginer des histoires à la tension dramatique grandissante, qui savent émouvoir et aussi conscientiser, nous faisant verser quelques larmes au passage grâce à sa plume poétique et vive, tout en sensibilité.

Ce projet de triptyque s’est bâti naturellement. Rappelons qu’Encabanée, paru en 2018 (et qui vient d’être publié en France, où il remporte un joli succès), est né de l’expérience personnelle de la jeune femme, qui avait tout quitté de sa vie montréalaise pour se réfugier en plein hiver dans la région du Kamouraska, dans une cabane sans électricité. D’une vague de froid de 10 jours, où elle était carrément « encabanée », est né ce récit sous forme de journal intime qu’elle a par la suite romancé, créant le personnage d’Anouk, la femme-renarde à la chevelure de feu, son alter ego fictif, et où apparaissait Riopelle, un militant pour l’environnement en fuite.

A suivi Sauvagines, introduisant le personnage de Raphaëlle, une garde-chasse parcourant le territoire du Haut-Kamouraska, ardente défenderesse du territoire et des animaux, qui se retrouvait dans une cauchemardesque chasse à l’homme avec un braconnier sans foi ni loi. Elle y rencontrait Anouk, avec qui elle nouait une relation amoureuse.

« Encabanée montre un personnage qui est à la première étape d’un éveil de conscience environnemental, qui veut s’extraire du système. Dans Sauvagines, il y a une prise de position, une action, mais qui mène à un drame. Dans Bivouac, je voulais mettre en scène le collectif qui essaie de trouver une façon de protéger la forêt. Bref, c’est un peu comme si chacun des livres raconte mon propre éveil à l’environnement », détaille Gabrielle Filteau-Chiba, jointe au téléphone.

Chez les « éco-warriors »

Bivouac poursuit là où Sauvagines nous avait laissés, dans une yourte en Gaspésie où Raphaëlle et Anouk se sont réfugiées. On les retrouve alors qu’elles viennent de passer un hiver dans leur bulle, loin de tout, autosuffisantes féministes rurales, une expression que l’autrice affectionne. Mais l’arrivée du printemps mettra à mal leur relation fusionnelle, alors que la farouche Anouk se joint à reculons à son amoureuse afin d’aller passer l’été dans une communauté, dans une ferme gaspésienne.

Parallèlement, on suit les aventures de Riopelle, alors qu’il rejoint un groupe de militants environnementaux, des « éco-warriors » qui préparent leur prochain combat : stopper un projet d’oléoduc qui menace de raser une forêt publique dans les terres du Haut-Kamouraska, véritable bijou de biodiversité qu’il faut absolument protéger, un sujet qui touche énormément Gabrielle Filteau-Chiba.

« Toutes ces forêts violentées, laissées toutes nues, à leur sort. […] La forêt est rasée lisse, comme le mont de Vénus d’une femme-objet. Il n’y en a plus de forêts vierges et millénaires, que des lignes d’essences à croissance rapide, plantées en vue d’être coupées. Pins, épinettes, sapins abattus à trente ans pour servir le nouveau dieu, Capital. »

— Extrait de Bivouac

S’étant elle-même impliquée dans un groupe de militants alors qu’avaient lieu des consultations pour le projet de pipeline Énergie Est dans le Kamouraska, la romancière s’inspire de ses expériences personnelles pour nous amener au cœur de la résistance, mais aussi d’autres combats, dont celui de la nation Wet’suwet’en et son campement Unist’ot’en dans l’Ouest canadien, ou encore de la militante américaine Julia Butterfly Hill, connue pour être restée 738 jours perchée dans un séquoia de 1000 ans.

« Je voulais donner un accès de l’intérieur, raconter comment on organise une résistance pacifique, comment on la rend belle. Je trouve qu’on se fait souvent sermonner par rapport aux changements climatiques. On travaille beaucoup sur notre culpabilité. Mais certaines personnes vont se réveiller en voyant une scène magnifique, qui va leur donner envie que tout ça survive. »

« J’avais envie de montrer que la lutte peut être grandiose et féconde, pas seulement un combat négatif, qu’on peut s’allier au lieu de se diviser, se rassembler pour le monde de demain. »

— Gabrielle Filteau-Chiba

Nos idéaux, nos paradoxes

Si beauté, espoir et fraternité il y a dans Bivouac, Gabrielle Filteau-Chiba n’occulte pas non plus les divisions et frictions qui peuvent naître entre environnementalistes et apôtres du profit à tout prix, ou entre les idéalistes qui rêvent d’un monde meilleur et les locaux engagés par l’entreprise forestière et qui veulent mettre du pain sur leur table. Et, malgré les bonnes intentions, la lutte ne reste pas toujours pacifique.

Ce faisant, elle aborde certains paradoxes avec lesquels ses personnages – et elle-même – vivent. « Oui, il y a des contradictions dans la lutte écologique. C’est parfois difficile d’être cohérent dans la réalité. Je ne voulais pas être moralisatrice, je ne l’ai pas, la solution, donc j’ai mis en scène des personnages qui se posent les mêmes questions que moi », explique celle qui a justement fait le choix de quitter son bois et sa maison (qui avait remplacé sa cabane) à Saint-Bruno-de-Kamouraska pour déménager à Val-David, pour l’école de sa fille.

« Je ne cacherai pas que ce n’est pas facile, j’habitais dans un endroit tellement sauvage, je m’ennuie d’être bordée par une forêt infinie. Mais c’est une autre phase de ma vie, j’ai fait un choix de maman », explique-t-elle.

Est-ce la fin des aventures pour la femme-renarde ? Pour l’instant, du moins. L’autrice, qui dit recevoir presque tous les jours des messages de lecteurs inspirés par les propos de ses romans, travaille à un récit abordant la question du reboisement avec de nouveaux personnages. Là encore, elle plonge dans ses expériences, cette fois la plantation d’arbres. Un sujet qui comporte des zones grises et qui porte à réflexion. « C’est bouleversant, voir les coupes à blanc, tu as l’impression d’être sur la lune, il y a ce silence… Tu as l’impression de faire le bien, de réparer, mais en même temps, de participer à la grande roue des coupes forestières. »

Bivouac

Gabrielle

Filteau-Chiba

XYZ

348 pages

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