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Trop peu d’artistes féminines sur les ondes FM

Pour plus d’une centaine d’artistes et d’artisans de la musique, cela suffit. Les auteures-compositrices-interprètes et chanteuses québécoises ont trop peu de temps d’antenne – soit moins du tiers de la programmation francophone – sur les ondes musicales radiophoniques commerciales.

Parmi les signataires d’une lettre ouverte qui paraît ce matin dans nos pages Débats, en cette Journée internationale des droits des femmes, on retrouve Les sœurs Boulay, Laurence Nerbonne, Beyries, Fanny Bloom, Klô Pelgag, Maude Audet, Marie-Pierre Arthur, les Hay Babies, Cœur de pirate et des membres influents de l’industrie, que ce soit des programmateurs, des patrons de maison de disques, des directeurs de festivals. Sans compter des artistes masculins, dont Antoine Corriveau et Félix Dyotte.

« La société québécoise tente d’évoluer depuis plusieurs décennies vers la parité […] il est grand temps que ce mouvement et ces changements se ressentent aussi dans la programmation des radiodiffuseurs », plaident les signataires de la lettre écrite à l’initiative de Musique Bleue.

Musique Bleue est née dans la foulée de la mise en valeur de l’achat local. Il s’agit d’une initiative de Philémon Cimon et Fannie Crépin visant à favoriser l’écoute de musique québécoise durant la pandémie. Au cours des derniers mois, les membres de Musique Bleue ont épluché les listes de chansons diffusées par des stations francophones privées comme Rouge FM, Énergie, Rythme FM et CKOI.

Constat : la proportion de chansons d’artistes féminines diffusées oscille entre 2 % et 30 % de la programmation francophone, selon les stations et les journées de la semaine. « Ça n’a pas de bon sens ! », lance Fannie Crépin.

Musique Bleue a noté que les chansons d’un bassin d’une dizaine de formations presque exclusivement masculines occupent la moitié de la place réservée au contenu francophone. En plus des Cowboys fringants, qui comptent une femme parmi leurs membres, on retrouve Kaïn, Patrice Michaud, 2Frères, Ludovick Bourgeois, Vincent Vallières, Marc Dupré, Jean Leloup, Les Trois Accords, Loud, Alex Nevsky et FouKi (soulignons toutefois que son duo avec Alicia Moffet, Ciel, est en forte rotation).

Chez les femmes, note Musique Bleue, trois artistes féminines francophones sont en forte rotation, soit Cœur de pirate, Ariane Moffatt et Roxane Bruneau.

Musique Bleue déplore aussi un manque de nouveautés. En date du 12 février, Les Frères à Ch’val occupaient la position 113 du BDS avec leur chanson Mon voisin, sortie il y a 24 ans. La semaine d’avant, la chanson Célibataire, d’Hugo Lapointe occupait la 110e place. D’autres chansons en rotation régulière sont Gros Zéro, de Yelo Molo (1999), On jase de toi, de Noir Silence (1995), et Ma vie à l’heure, des Respectables (2002).

« Ça bloque énormément de place pour la parité, l’émergence et la diversité », fait valoir Fannie Crépin, qui est membre du conseil d’administration de l’ADISQ. Ce sont aussi moins de redevances pour les artistes féminines ou de la relève, ce qui ne fait qu’accentuer les inégalités. « La radio fait partie d’un écosystème », expose la fondatrice de la boîte de gérance Supercool Management.

Les radios commerciales ont le pouvoir de « créer des succès » et de faire éclore les stars de demain, ajoute-t-elle.

« Pourquoi n’y a-t-il pas des alliances entre des annonceurs et des artistes ? »

— Fannie Crépin, membre du conseil d’administration de l’ADISQ

Du côté de Bell Média, propriétaire d’Énergie et de Rouge FM, le chef des communications Patrick Tremblay a soutenu par courriel à La Presse que les programmations ne misent pas moins sur les nouveautés qu’auparavant, et que la parité varie d’une station à l’autre. « Les stratégies musicales pour nos deux antennes n’ont pas été modifiées au cours de la dernière année », nous a-t-il écrit.

« À Énergie, notre programmation est axée sur les classiques rocks des années 80-90. La plupart de ceux-ci proviennent de groupes qui étaient majoritairement composés d’hommes », expose Patrick Tremblay. Du côté de Rouge, il indique que la programmation est composée de 47 % de chansons d’artistes féminines (anglophones et francophones), et ce, « en dépit du fait que les agences d’artistes nous font parvenir plus de chansons d’artistes masculins », précise-t-il.

Chez Cogeco Média, propriétaire de CKOI et de Rythme FM, la directrice des communications Christine Dicaire a expliqué à La Presse par courriel que c’est la chanson qui a le dernier mot aux yeux de la direction musicale. « Chez Cogeco Média, nous mettons de l’avant la musique québécoise en respectant les formats musicaux de nos stations. Jamais le choix ne s’arrête sur le genre de l’artiste, mais toujours sur la pertinence de la pièce pour les auditeurs de la station. Le seul pourcentage utilisé est le 65 % de musique francophone qui est joué jour après jour. »

Rappelons que les principales radios privées du Québec demandent au CRTC de baisser les quotas de musique francophone de 60 % à 35 % dans le cadre de la révision de la politique sur la radio commerciale. Le processus de consultations bat son plein, et l’échéance est le 29 mars. L’ADISQ s’y oppose fermement. « C’est un dossier primordial pour nous en raison de l’importance que la radio peut jouer dans la vie des artistes, a dit récemment à La Presse Solange Drouin, directrice générale de l’ADISQ. Encore aujourd’hui, la radio demeure un outil de découvrabilité et de mise en valeur des artistes qui est encore très performant. »

Des redevances importantes

En 2021, les artistes reçoivent des redevances des services d’écoute en ligne, des radios satellites (SiriusXM) ou encore des chaînes de Stingray, mais « la radio FM demeure le plus grand joueur dans la création d’un star-système », renchérit Fannie Crépin.

Et si moins d’artistes féminines jouent à la radio, le combat de la parité est encore plus difficile à mener. « Qui dit moins de rotations à la radio dit moins de visibilité, et moins de visibilité veut dire moins de place à la télé, dans les médias et dans les têtes d’affiche des festivals, explique Stéphanie Boulay, signataire de la lettre. Ça veut donc dire moins de revenus pour les femmes. »

Depuis le début de leur carrière, Les sœurs Boulay n’ont pratiquement essuyé que des refus de la part des radios privées.

« Pourtant, on remplit presque toutes nos salles et nos chiffres d’écoutes sur les plateformes sont assez impressionnants pour le marché québécois. On nous parle beaucoup de notre son, qui ne serait pas assez radiophonique et trop féminin. »

— Stéphanie Boulay

Stéphanie Boulay se demande pourquoi des programmateurs tiennent pour acquis que les auditeurs masculins veulent surtout écouter de la musique interprétée par des gars. « C’est de la discrimination », tranche-t-elle.

Klô Pelgag, également signataire de la lettre, souligne à quel point la radio commerciale FM joue un rôle important auprès des jeunes. Quand elle était enfant, en Gaspésie, c’est ce qui jouait dans son autobus scolaire. « Il faut que les jeunes s’identifient à des chansons et à des modèles. »

Les chansons de Klô Pelgag ne tournent pas sur les ondes FM commerciales. Elle s’y est presque résignée. Mais elle trouve dommage que les programmations musicales des radios privées ne reflètent pas la richesse et la diversité de la scène musicale québécoise.

« Sans musique, il n’y a pas de radio », rappelle-t-elle.

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