Agressions sexuelles

146 absolutions depuis cinq ans au Québec

L’histoire de Simon Houle, cet ingénieur reconnu coupable d’agression sexuelle et absous par un juge pour protéger sa carrière, est loin d’être unique au Québec. Depuis 2017, plus d’une vingtaine d’individus reconnus coupables d’agression sexuelle ont pu s’en tirer sans dossier criminel chaque année.

Ainsi, pas moins de 146 causes criminelles ayant au moins un chef d’infraction qui se rapportait à une agression sexuelle se sont soldées par une absolution conditionnelle ou inconditionnelle depuis cinq ans, montrent des chiffres du ministère de la Justice (MJQ) obtenus par l’entremise de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

À titre indicatif, entre 932 et 1447 causes ayant au moins un chef d’agression sexuelle ont été fermées chaque année au Québec entre 2017 et 2020, indiquent des données aussi obtenues auprès du MJQ, qui ne couvrent toutefois pas les années 2021 et 2022.

Sans être une conclusion très fréquente, l’absolution conditionnelle ou inconditionnelle d’un agresseur survient donc malgré tout à plusieurs reprises chaque année dans les palais de justice de la province.

Nombre de causes où au moins un chef d’accusation relevait de l’agression sexuelle et qui se sont soldées par une absolution, par année :

  • 2017 : 21
  • 2018 : 33
  • 2019 : 29
  • 2020 : 24
  • 2021 : 24
  • 2022 : 15*

* En date du 6 juillet

« Horrible, ce qu’elles vivent »

Loin d’être surprise par ces chiffres, la coorganisatrice du mouvement Québec contre les violences sexuelles, Mélanie Lemay, y voit une preuve supplémentaire de l’échec du système judiciaire à traiter les cas d’agression sexuelle.

Elle reproche également au ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, d’avoir laissé entendre que le cas de Simon Houle était isolé en affirmant qu’il était « choqué » par l’affaire.

« Le fait qu’il dise qu’il était sous le choc, c’était hypocrite. C’est lui qui a failli à entendre la voix des victimes. On ne peut pas en vouloir à un juge d’appliquer son code de justice. C’est l’arbre qui cache la forêt. Et c’est la raison même du mouvement #metoo, d’avoir des espaces où c’est possible de dénoncer, de diversifier les espaces où c’est possible d’être entendu », explique-t-elle en entrevue.

« Et on ne parle pas de l’impact et de la violence pour une victime de voir un juge déclarer son agresseur non coupable ou lui donner une absolution, même conditionnelle. C’est horrible, ce qu’elles vivent, le sentiment d’injustice », ajoute Mélanie Lemay.

Accompagner les victimes

C’est d’ailleurs pourquoi certains organismes qui accompagnent les victimes d’agression sexuelle, comme les Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), tentent de les préparer à toute éventualité.

« L’important, c’est de ne pas simplement mettre toutes les attentes [dans] la fin du procédé judiciaire. [Car] des fois, la sentence n’est pas à la hauteur de leurs attentes, même si ce n’est pas une absolution », explique la coordonnatrice aux communications du Réseau des CAVAC, Marie-Christine Villeneuve.

D’où l’importance de travailler avec la personne victime « à se concentrer sur les aspects de sa vie qu’elle peut contrôler pour la mener à une reprise de pouvoir », ajoute-t-elle.

« Un retour en classes, une reprise de contact avec des amis, pour certaines simplement sortir de la maison une fois par jour, bref, ce sont souvent des choses qui peuvent paraître banales pour nous, mais qui semblent être une montagne pour les personnes victimes. Les amener à surmonter ces montagnes une étape à la fois peut contribuer à une éventuelle reprise de pouvoir sur leur vie.  »

– Marie-Christine Villeneuve, coordonnatrice aux communications du Réseau des CAVAC

De moins en moins d’absolutions ?

Selon le professeur de droit criminel de l’Université de Montréal Hugues Parent, le nombre d’absolutions accordées au terme de procès pour des agressions sexuelles est toutefois appelé à diminuer avec les années jusqu’à être réservé à des cas où les gestes commis seraient plus « superficiels ».

« C’est quelque chose qui va se faire. Je pense que la perception collective par rapport aux agressions sexuelles, mais également le nombre d’agressions sexuelles, est assez importante pour amener une réponse plus sévère de la part des tribunaux », indique-t-il.

L’absolution pour un cas d’agression sexuelle n’est toutefois pas appelée à disparaître, estime-t-il. Selon lui, les juges doivent pouvoir disposer de l’éventail complet des peines possibles, et ce, pour tenir compte de la réalité de chaque cas.

« Un jeune qui commet une erreur, ce n’est pas la même chose qu’insérer les doigts dans le vagin de quelqu’un qui somnole et est en état d’intoxication. Interdire l’absolution, ce n’est pas la solution, car il y aura toujours des cas qui vont appeler ce genre de sanction », explique-t-il.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.