Planifier l’avec-COVID plutôt que l’après-COVID

L’auteur de ces lignes souhaite qu’un grand sommet socio-économique canadien soit présenté en télétravail

Sans perdre l’espoir de découvrir un vaccin ou un médicament pour lutter contre la COVID-19, il faut faire face à la réalité : nous vivons une crise sanitaire sans précédent et la récession économique est déjà bien installée. Même lorsqu’un vaccin et/ou un médicament auront été découverts et testés, encore faudra-t-il les produire et les distribuer, et cela prendra du temps. 

Nos gouvernements l’ont compris et gèrent la crise en soutenant financièrement les citoyens et les entreprises victimes de la pandémie tout en préparant des plans de déconfinement et de relance de l’économie. Leur défi est de déconfiner et de relancer la machine économique sans provoquer une seconde vague de contagion du virus et sans avoir à maintenir les travailleurs et les entreprises sur le système de revenus artificiels mis en place par le gouvernement fédéral. Mais comme la situation est complexe et pleine d’incertitudes, nos gouvernements n’ont d’autres choix que de faire un scénario de référence sur l’évolution de la situation sanitaire et sur les contours de la récession économique pour orienter leur plan d’action.

La perte de revenus et de richesse des individus et des entreprises causée par la récession, la grande incertitude qui les paralyse et la dislocation des chaînes d’approvisionnements et de distribution intérieures et internationales militent fortement en faveur d’un scénario conservateur.

La première hypothèse du scénario de référence à retenir, c’est que nous ne serons pas dans une société d’après-COVID-19, mais bien dans une société d’avec-COVID-19. Il faudra donc imaginer, planifier et vivre en usine, au bureau, à l’école, à l’épicerie, au restaurant, au théâtre avec la COVID-19 ou avec la crainte du retour de la COVID-19. Cette nouvelle vie devra bien entendu s’arrimer avec les mesures de distanciation physique ainsi qu’avec les autres règlements éventuels de santé publique. 

L’avec-COVID-19 impliquera sans conteste un ralentissement du rythme de l’activité économique.

La deuxième hypothèse à retenir, c’est que la récession économique sera longue et profonde et provoquera une augmentation importante du chômage, de l’endettement et des faillites personnelles. Cette récession se traduira également par une augmentation substantielle de la dette des entreprises, si ce n’est par la disparition d’un grand nombre de petites et moyennes entreprises  ; les grandes entreprises ne seront pas épargnées non plus, surtout celles des secteurs de l’énergie, du transport, de l’aéronautique, du tourisme et du spectacle, qui pourraient, elles aussi, être menacées de disparaître.

La troisième hypothèse à retenir, c’est que nos exportations subiront un ressac important, car nos ressources naturelles de pétrole et de gaz, nos automobiles, nos équipements de transport et plusieurs de nos autres biens d’exportation sont justement fortement touchés par cette récession qui frappe également les États-Unis, notre principal marché.

Le gouvernement fédéral sera littéralement envahi (c’est probablement déjà le cas) de demandes émanant des grandes entreprises, des PME, des provinces, des municipalités et des citoyens de tous les coins du pays. Malgré les importantes ressources du gouvernement, il lui sera impossible de dire oui à tout et à tous ; il faudra faire des choix difficiles, établir des priorités en fonction d’une vision, de la direction à prendre à long terme. Par exemple, quelles industries préserver, quels secteurs promouvoir, quelles compétences de la main-d’œuvre développer ?

Le plan d’action pour effectuer la transition de l’économie canadienne, actuellement sur le respirateur artificiel que représentent les nombreux programmes fédéraux de soutien temporaire de revenus, vers le retour à la « nouvelle normalité » sera la politique publique la plus importante depuis la création du pays. 

Plusieurs de ces décisions seront difficiles à imposer par un gouvernement minoritaire. 

Imaginez par exemple une loi qui proposerait la nationalisation d’une grande entreprise en difficulté, mais jugée essentielle ou une modification à la loi sur la Banque du Canada l’autorisant à acheter des titres de créance ou de propriété d’institutions privées ou publiques canadiennes.

Bref, l’ampleur de la crise, l’importance des décisions à prendre pour l’avenir du pays et le contexte d’un gouvernement minoritaire justifient la tenue dès l’automne prochain d’un télé-sommet socio-économique réunissant tous les acteurs importants du Canada où serait discuté le plan d’action du gouvernement fédéral inspiré de sa vision à long terme du pays.

Le sommet serait organisé selon les méthodes de travail de Davos et d’autres grands rassemblements (comme les sommets socio-économiques du Québec) en utilisant les outils numériques. Il regrouperait des représentants des provinces et des territoires, des principaux secteurs socio-économiques, des syndicats de même que des arts, de la culture et des académiciens.

Réalisé sur le mode du télétravail, il serait possible de constituer des tables par secteur industriel (par exemple, l’énergie ou la logistique et les transports) et par thème (par exemple, la numérisation de la société ou les échanges entre les provinces) et de concevoir un sommet en plusieurs phases conduisant à l’établissement de consensus ou de constats de situations de blocage.

Son succès reposera sur la proposition de départ et, bien sûr, sur la bonne foi des participants. Le résultat recherché est celui d’un large consensus sur de grandes orientations et la constitution d’un carnet de projets qui, tout en favorisant la relance, s’appuieraient sur ces grandes orientations. L’autre choix du gouvernement est de tenir des élections à l’automne sur ces enjeux, ce qui retarderait de plusieurs mois le plan de relance et pourrait être catastrophique pour l’économie du pays.

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