Système informatique de laboratoire

La protection du public est en jeu

Il y a quelques jours, les ratés de l’implantation du nouveau Système d’information de laboratoire (SIL-P) ont été mis en lumière par l’équipe d’enquête de La Presse et la journaliste Ariane Lacoursière1. On y apprend que le mercredi 29 mars dernier, il y a même eu une panne généralisée du SIL-P pendant 1 heure et 30 minutes. Lorsqu’on sait que 189 millions d’échantillons sont traités dans les laboratoires du réseau de la santé chaque année, il est facile de comprendre que les effets de cette panne sont importants sur les activités des laboratoires de biologie médicale du Québec. Outre cette panne, plusieurs autres problèmes ont été soulevés, exposant ainsi les dangers réels engendrés par les défaillances du SIL-P, notamment quant au délai de réponse pour l’émission des résultats d’analyses biomédicales, ce qui ne sert définitivement pas la population.

Lors des Grandes entrevues de la semaine du 13 février 2023 avec Paul Arcand, les médecins Dr Karl Weiss et Dr Normand Blais avaient également soulevé la problématique des délais de réponse et de la relation de cause à effet sur le diagnostic et le traitement pour le patient. Cette réforme devait permettre une optimisation des services et une diminution des coûts. Or, la centralisation des laboratoires a plutôt eu l’effet contraire, puisque les coûts annuels en biologie médicale sont passés de 22,8 millions de dollars en 2014-2015 à 35,5 millions en 2020-2021. En plus de créer une perte d’expertise pour le personnel des plus petits laboratoires (les « laboratoires associés » dans le jargon OPTILAB), ces transports vers les laboratoires serveurs ont exacerbé les délais de traitement et de réponse. La réforme OPTILAB, lancée en 2017 par le gouvernement Couillard, a plutôt fait en sorte qu’au lieu que les analyses prélevées dans chaque hôpital y soient analysées, les prélèvements de plusieurs analyses sont désormais envoyés et traités dans les grands centres, communément appelés les centres serveurs.

L’arrivée massive d’échantillons biologiques dans les centres serveurs entraîne nécessairement une accumulation de spécimens dans les congélateurs. Le risque de perte et de mauvaise conservation des échantillons sont augmentés par la manipulation de plusieurs intervenants.

Les déficiences de l’implantation du SIL-P et d’OPTILAB sont maintenant exposées au grand jour. Derrière chaque échantillon biologique qui attend d’être analysé, il y a un humain qui attend impatiemment un résultat.

La pénurie de main-d’œuvre, qui fait couramment la manchette, est un autre facteur qui s’ajoute et qui a un effet sur les délais de réponse. Pour continuer à offrir les services malgré un manque criant d’effectif, les gestionnaires tentent de recourir à des solutions de rechange en se tournant vers des professionnels qui ne sont pas issus du programme de Technologie d’analyses biomédicales.

L’Ordre professionnel des technologistes médicaux du Québec est grandement préoccupé par les enjeux actuels auxquels font face les laboratoires de biologie médicale. Le réseau de la santé publique ne peut être activement fonctionnel et sûr sans un système de laboratoires d’analyses biomédicales fort et efficient. Bien que ces laboratoires soient un peu comme la face cachée du système de santé, leur bon fonctionnement a des retombées tout aussi directes sur le patient que d’autres services qui sont plus apparents.

La protection du public ne devrait pas être considérée seulement lorsqu’il y a contact direct entre le professionnel et un patient. La protection du public est tout aussi valable, pertinente, importante et préjudiciable lorsqu’il est question de la manipulation d’échantillons biologiques, de la prise en charge de leur intégrité jusqu’à l’obtention des résultats, lesquels doivent refléter parfaitement l’état de santé du patient. Le risque de préjudices demeure lors de toutes les manipulations de ces échantillons.

Les échantillons biologiques d’un patient sont, dans les faits, le prolongement de ce dernier. Ils constituent ses biens précieux et, par conséquent, ils doivent être manipulés avec soin, rigueur et professionnalisme.

Un dommage au spécimen biologique peut survenir à tout moment, de l’étape du prélèvement jusqu’à l’obtention du résultat d’analyses, causant ainsi un préjudice au patient. Alors que le personnel soignant (médecins, infirmières, etc.) représente le cœur du système de santé, les technologistes médicaux au service de la médecine de laboratoire représentent incontestablement les poumons de ce système. L’un ne peut fonctionner sans l’autre. L’un s’appuie inévitablement sur l’autre, et c’est cette synergie qui rend possible la viabilité de chacun des services et des soins offerts aux patients. D’ailleurs, les diagnostics établis et les suivis thérapeutiques reposent à 85 % sur des résultats de laboratoire.

C’est pourquoi l’Ordre est d’avis que le ministère de la Santé et des Services sociaux doit se pencher sur les ratés de l’implantation d’OPTILAB et du SIL-P, et mettre en place des actions concrètes rapidement face aux problèmes soulevés tout en s’assurant d’avoir le bon professionnel au bon endroit, avec la formation, les connaissances, les compétences, l’autonomie et le jugement professionnel requis, et ce, pour que les patients du Québec soient adéquatement protégés pendant toutes les étapes de l’analyse de leurs échantillons biologiques (préanalytique, analytique et post-analytique).

1. Lisez l’article d’Ariane Lacoursière « Virage informatique : casse-tête au laboratoire »

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