politique fédérale

Le gouvernement a présenté jeudi son projet de loi C-12 sur la carboneutralité d’ici 2050. Si les cibles concrètes pour l’atteindre viendront dans un plan ultérieur, des experts croient qu’Ottawa se dote de bons outils.

PROJET DE Loi sur la carboneutralité

Pas de mesures détaillées pour l’instant

Ottawa — Le gouvernement enchâsse dans une loi sa promesse d’atteindre la carboneutralité en 2050. La feuille de route déposée jeudi ne prévoit aucune sanction en cas d’échec, mais si échec il y avait, il reviendrait aux électeurs de décider si une sanction s’impose, a déclaré Justin Trudeau.

La mesure législative C-12, qui tient sur 17 pages et dont le titre abrégé est Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, ne contient pas de mesures détaillées en ce qui concerne les façons d’atteindre cet objectif.

« L’objet de la présente loi est d’exiger l’établissement de cibles nationales de réduction des émissions de gaz à effet de serre […] pour soutenir l’atteinte de la carboneutralité au Canada d’ici 2050 et les engagements internationaux du Canada en matière d’atténuation des changements climatiques », est-il écrit.

Dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la loi, le ministre de l’Environnement dévoilera la nouvelle cible d’émissions de gaz à effet de serre (GES) du Canada pour 2030, comme il s’est déjà engagé à le faire, afin de respecter les objectifs de l’accord de Paris sur le climat.

En vertu de ce pacte international, le Canada s’était engagé à réduire ses émissions de GES de 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, ce qui représente 511 mégatonnes (Mt) de CO2. Cette cible, rappelons-le, était la même que celle fixée par le précédent gouvernement conservateur.

« Nous allons dépasser nos cibles »

Et même si plusieurs rapports ont démontré que le Canada risquait fort de rater ces cibles, et que la nouvelle n’est pas encore connue, Justin Trudeau a affiché jeudi un optimisme inébranlable : « Nous allons atteindre nos cibles pour 2030, nous allons les dépasser, nos cibles », a-t-il insisté en conférence de presse.

Le premier ministre a refusé net d’expliquer pour quelle raison le gouvernement n’avait pas inclus dans le projet de loi un jalon intermédiaire de 2025, que réclamaient des groupes environnementaux comme Équiterre. Par trois fois la question lui a été posée. Il a chaque fois répondu en parlant de 2030.

L’explication est venue du ministre du Patrimoine canadien et cofondateur d’Équiterre, Steven Guilbeault, qui avait pris la parole le premier lors de la conférence de presse qui se déroulait dans les jardins ornementaux d’Ottawa.

« Je comprends et je partage leur impatience, mais donner un objectif sur quatre ans alors que ça prend deux ans pour mettre en place une mesure ou une série de mesures, du point de vue des opérations gouvernementales, ça n’aurait pas donné le résultat escompté. »

— Steven Guilbeault, ministre du Patrimoine canadien, en entrevue avec La Presse

Par ailleurs, les engagements du Canada découlent de l’accord de Paris, dont l’horizon est 2030, a ajouté le ministre Guilbeault. « À ma connaissance, très peu de pays et d’États ont des cibles pour 2025, parce que la référence est Paris. Le Québec, par exemple, n’a pas de cible pour 2025 », a-t-il illustré.

À partir de 2030 et d’ici 2050, les années jalons seraient 2035, 2040 et 2045. Le ministre de l’Environnement serait tenu d’établir « chaque cible nationale en matière d’émissions de gaz à effet de serre au moins cinq ans avant le début de l’année jalon visée ».

Projet de loi non contraignant

Le gouvernement ne s’expose à aucune sanction s’il rate les cibles qu’il s’était fixées pour l’une de ces années ou pour 2050.

La seule conséquence, pour le ministre de l’Environnement, serait de produire un rapport d’évaluation dans lequel il expliquerait « les raisons pour lesquelles le Canada n’a pas atteint la cible » et décrirait des mesures que le gouvernement du Canada « prend ou prendra pour remédier à la situation ».

Le premier ministre a avancé que la punition, en cas de non-atteinte des cibles, viendrait de l’électorat.

« Je pense qu’on a vu très, très clairement dans les dernières élections qu’un parti comme le Parti conservateur, qui ne croit pas à la lutte contre les changements climatiques, a eu des sanctions assez directes des électeurs à travers le pays, qui savent que nous nous devons d’agir », a-t-il affirmé.

Et oui, si les conservateurs revenaient au pouvoir à Ottawa, rien ne les empêcherait d’abroger la loi, si C-12 est effectivement adopté.

« Ultimement, on sait très bien que, dans une démocratie, un gouvernement peut défaire des choses que le gouvernement précédent a faites. J’en ai profité moi-même pour renverser énormément d’initiatives néfastes que le gouvernement Harper avait amenées », a dit Justin Trudeau.

« Ce sera aux Canadiens de continuer à choisir des gouvernements qui sont sérieux dans la lutte contre les changements climatiques et qui vont être redevables devant la population tous les cinq ans », a- t-il conclu au micro.

« Un pas dans la bonne direction »

Le ministre de l’Environnement a pris soin de saluer la mémoire de Jack Layton, ancien chef du Nouveau Parti démocratique mort en 2011, qui avait été le premier parlementaire à déposer un projet de loi visant à enchâsser des obligations gouvernementales en matière de climat, en 2007.

Son parti a bien accueilli la présentation de C-12, jeudi.

« C’est un pas dans la bonne direction », a affirmé la députée Laurel Collins, sans aller jusqu’à dire que les troupes néo-démocrates l’appuieraient. « Je compte me battre pour l’améliorer », a-t-elle promis.

Au Parti conservateur, le député Dan Albas a reproché au gouvernement de continuer à « faire de nouvelles promesses environnementales sans tenir [ses] précédents engagements en matière de climat » et à « fixe[r] de nouveaux objectifs plus élevés et à plus long terme » alors qu’il peine à atteindre ceux déjà fixés.

« Les libéraux aiment beaucoup parler d’environnement, mais leur bilan raconte une tout autre histoire. Les conservateurs vont continuer à demander des comptes au gouvernement Trudeau […] et présenter un plan environnemental qui fonctionne pour les Canadiens », a-t-il déclaré par communiqué.

La députée bloquiste Kristina Michaud a elle aussi accusé les libéraux de tenir un double discours.

« Au-delà des belles paroles, il y a les actions. Le gouvernement dépose son projet de loi pour lutter contre les changements climatiques, mais pendant ce temps, il promet de faire pression sur Joe Biden pour protéger le pipeline de pétrole sale Keystone XL », a-t-elle soutenu à la Chambre des communes.

S’il veut faire approuver son projet de loi, le gouvernement Trudeau a besoin d’obtenir l’adhésion d’au moins un des partis de l’opposition.

Projet de loi sur la carboneutralité

Une « avancée significative » du Canada, estiment des experts

Le projet de Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité marque une « avancée significative » qui redonne une certaine crédibilité au Canada, estiment différents experts et groupes écologistes, qui croient qu’Ottawa se donne ainsi de bons outils pour atteindre la cible de zéro émission nette en 2050.

La série de cibles intermédiaires que le Canada devra atteindre en 2030, 2035, 2040 et 2045 « rapproche le gouvernement de ses obligations », lui qui a toujours raté ses objectifs à long terme jusqu’à maintenant, estime la professeure Annie Chaloux, de l’Université de Sherbrooke, spécialiste des politiques climatiques canadiennes et québécoises.

« Ça oblige le Canada à se doter de mécanismes pour être beaucoup plus sérieux », a-t-elle déclaré dans un entretien avec La Presse.

Ces cibles intermédiaires seront autant de « poignées politiques » permettant aux experts et à la société civile d’intervenir si le gouvernement fait fausse route, croit Mme Chaloux.

La professeure voit aussi d’un bon œil la volonté du gouvernement canadien de se baser sur la science en mettant sur pied un comité d’experts pour le guider.

Reddition de comptes

L’organisation écologiste Équiterre, qui qualifie le projet de loi C-12 d’« avancée significative », se réjouit de la reddition de comptes qu’il propose et de la transparence qui en résultera.

L’obligation pour le ministre des Finances de produire un rapport annuel sur les risques financiers liés aux changements climatiques « est le genre de transversalité qu’on aimerait voir dans tout l’appareil gouvernemental », a déclaré Émile Boisseau-Bouvier, analyste climat de l’organisation.

Greenpeace Canada invite d’ailleurs Ottawa à « commencer par la société d’État qui construit le pipeline Trans Moutain », a déclaré Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie de l’organisation, qualifiant par ailleurs le projet de loi d’« important pas en avant ».

Le Réseau action climat Canada parle lui aussi d’un « grand pas dans la bonne direction » et souligne que ce projet de loi pourrait faire en sorte que les changements climatiques ne soient plus « une patate chaude de la politique partisane » au pays.

Lacunes à corriger

L’absence dans le projet de loi d’une cible intermédiaire pour 2025 est unanimement déplorée par les observateurs que La Presse a consultés.

Un tel jalon stimulerait « l’ambition à court terme », croit le Réseau action climat.

« Les prochaines années seront cruciales pour affronter l’urgence climatique. La reddition de comptes devrait commencer tout de suite, pas en 2030. »

— Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre

Le projet de loi C-12 fixe l’objectif de carboneutralité pour 2050, mais les mesures concrètes pour y parvenir seront annoncées dans un plan ultérieur, ce qui laisse sur sa faim le professeur de l’Université de Montréal Normand Mousseau, directeur de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal. « Ça avance, mais on n’est pas rendus », dit-il.

Plusieurs déplorent aussi que le projet de loi ne prévoie aucune obligation de résultat, puisque le gouvernement pourrait ne pas atteindre les cibles sans que cela porte à conséquence, hormis la nécessité de se justifier et de prendre des mesures correctives.

La professeure Annie Chaloux relativise toutefois cet aspect en soulignant que le gouvernement accepte de se « mettre sous la loupe de manière régulière » et qu’en enchâssant ses objectifs dans une loi, il s’expose à des poursuites s’il ne les respecte pas.

Incohérences

Le projet de loi C-12 fait cependant ressortir les incohérences du gouvernement fédéral, qui continue de subventionner les énergies fossiles et qui a récemment réitéré son appui au projet d’oléoduc Keystone XL, estiment Annie Chaloux et Normand Mousseau.

C’est pourquoi ils considèrent que ce projet de loi ne redonne au gouvernement fédéral que « peu » ou « pas », respectivement, de crédibilité en matière de lutte contre les changements climatiques.

« Tant qu’on ne voit pas qu’on est vraiment en train de réduire nos émissions, ça reste encore des vœux pieux », affirme Normand Mousseau.

Les deux professeurs soulignent également que le succès du plan d’Ottawa dépendra grandement des provinces.

En ce sens, expliquent-ils, le jugement attendu de la Cour suprême sur le droit d’Ottawa d’imposer une taxe carbone aura un grand impact sur le projet de loi C-12, puisqu’il indiquera si le gouvernement fédéral peut imposer aux provinces des mesures de lutte contre les changements climatiques.

Autres réactions

« Nous partageons l’objectif de carboneutralité 2050 [et] nous attendons maintenant de voir les mesures concrètes qui seront prises par le gouvernement fédéral pour favoriser l’atteinte de la cible de 2030 et contribuer aux réductions réalisées sur le territoire québécois. »

— Geneviève Richard, attachée de presse du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, Benoit Charette

« Les objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sont importants, tout comme le processus d’évaluation des progrès par rapport à ces objectifs. […] Des lignes directrices claires et précises, un cadre politique prévisible et un environnement favorable aux investissements aider[ont] à y parvenir plus rapidement. »

— Goldy Hyder, président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires

« Cette loi permettrait de tracer la voie pour réduire le risque climatique, créer des emplois durables et assurer la santé de la population à long terme, et cela, pour faire face à la deuxième grande crise à laquelle le Canada est confronté – les changements climatiques – pendant que nous continuons à donner la priorité à notre réponse à la pandémie. »

— Sabaa Khan, directrice générale de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique

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