Soigner du nord au sud

La Dre PERREault, entre l’ombre et la lumière

Décembre 2014. La Sierra Leone est frappée de plein fouet par la meurtrière épidémie d’Ebola. La médecin québécoise Danielle Perreault s’est portée volontaire pour donner un coup de main. On l’a affectée dans un centre de triage de la Croix-Rouge, dans l’enceinte de l’hôpital de Kiovo.

Chaque fois qu’un patient se présente, elle doit prendre des décisions déchirantes.

« Ça pouvait être une crise de malaria qui l’amène. Et je suis obligée de décider si je l’envoie chez lui, avec des antimalariques, au risque qu’il contamine toute sa famille, ou si je le mets dans la tente avec d’autres personnes suspectées d’Ebola, au risque de l’infecter s’il ne l’était pas déjà », se souvient la Dre Perreault, que nous avons rencontrée chez elle, à Montréal. Sa biographie, Soigner du nord au sud, vient de paraître aux Éditions Québec Amérique.

Danielle Perreault garde des souvenirs dignes de l’enfer de ce séjour en Afrique de l’Ouest. Les pleurs d’un bébé couché dans son ultime couchette, et sa mère, mourante, incapable de réagir à la détresse de son petit ; cet adolescent lui aussi mourant, allongé aux côtés du corps sans vie d’une fillette de 4 ans qu’on vient d’asperger de désinfectant ; le regard « triste et résolu » de cette sage-femme qui vient d’apprendre qu’elle est infectée et qui en mourra peu après. « En écrivant ce chapitre-là, j’ai pleuré tous les jours », confie-t-elle.

Mais de la Sierra Leone, Danielle Perreault conserve aussi des souvenirs beaux et lumineux : les chants gospel des infirmières le matin, ces carrés de chocolat échangés contre deux litres d’eau chaude, l’intensité du travail en équipe et les amitiés qui se forgent.

« Ma vie, je pense que c’est une dualité », résume Danielle Perreault, connue du grand public comme chroniqueuse et vulgarisatrice. Lors de ses nombreuses missions, Danielle Perreault a pu côtoyer à la fois les côtés sombres et les côtés lumineux de l’humanité, tant au sud [Haïti, Guinée, Papouasie–Nouvelle-Guinée, Bhoutan, etc.] qu’au nord, dans le Nunavik et le Territoire cri. Écrite comme un récit, remplie d’anecdotes et de rencontres, sa biographie fait bien ressortir cette dualité et nous aide à mieux cerner la culture et les croyances traditionnelles des peuples qu’elle a côtoyés.

Danielle Perreault nous parle de cette mère inuite, qui s’assoyait sur les marches de son perron avec ses deux enfants quand son mari était en crise. Et de tous ces jeunes hommes qui se suicident, trop souvent sous l’effet de l’alcool. Mais elle nous parle d’abord et avant tout de la force, de l’humour et de la débrouillardise du peuple inuit. « C’est un peuple unique au monde, qui a dû vivre dans des conditions climatiques affreuses, qui a appris à se débrouiller et qui se débrouille encore. Ils ont vraiment des leçons à nous donner », dit-elle.

De la Papouasie–Nouvelle-Guinée, Danielle Perreault retient la beauté exceptionnelle de sa jungle et sa population pauvre, mais tissée serré, loin du misérabilisme.

« Quelqu’un se blesse, on part en pirogue, chacun a son rôle à jouer. Mais il y avait aussi le côté sombre de l’éloignement, des femmes qui meurent en couches, des gens qui meurent d’une morsure de serpent, des hommes qui ont une sonde à vie à 50 ans pour leur prostate parce qu’il n’y a pas de médicaments… »

— La Dre Danielle Perreault

Le contraste entre les systèmes de santé d’ici et d’ailleurs est saisissant pour les soignants qui reviennent au pays, note Danielle Perreault.

« Quand je suis revenue du Viêtnam, aux nouvelles, des infirmières se plaignaient parce qu’elles avaient encore des lits à manivelle… C’est correct d’être rendu là, mais encensons aussi ce qui va bien ! », dit la Dre Perreault.

Si quelque chose vient la chercher, c’est bien les gens qui ne croient pas aux vaccins ou qui ne croient pas à la pandémie de COVID-19.

« C’est un manque de respect monstre envers les populations qui sont prises avec des maladies pour lesquelles ils n’ont pas de services. Pour moi, c’est hors de l’entendement ! », résume Danielle Perreault, qui a rejoint les rangs de la Santé publique pendant cette période de pandémie. Elle salue la façon « admirable » avec laquelle les pays africains gèrent l’épidémie de COVID-19. À ce jour, ils recensent peu de cas. « Parce qu’ils ont pris des moyens peu sophistiqués, très rapidement, et parce qu’ils ont appris du passé, eux », note-t-elle.

Dans sa biographie, Danielle Perreault nous parle de ces parents qui faisaient la file en Guinée-Bissau, sous le soleil de midi, pour que leurs enfants puissent recevoir le vaccin contre la rougeole. Des parents qui ont vu leurs propres enfants ou ceux de leurs voisins mourir de pneumonie, de gastroentérite ou d’encéphalite. « J’ai vu les parents qui couraient pour recevoir le vaccin de la rougeole. J’ai vu les enfants avec la polio. Et tu me dis que tu es contre le vaccin ? Va donc faire un tour où il y a de la souffrance, câline de bine ! », conclut la médecin au rire contagieux.

Danielle Perreault racontera des histoires inédites le 25 novembre à 19 h 30 lors d’une vidéo en direct sur la page Facebook de Québec Amérique.

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