COVID-19

Conseils d’ultramarathoniens pour braver la pandémie

C’est la Dre Joanne Liu, ex-présidente de Médecins sans frontières, qui l’a dit : cette pandémie n’est pas un marathon, c’est un ultramarathon, finalement. Qu’on court pieds nus, en plus. Une image forte, qui frappe l’imaginaire, on s’entend. Sauf que si elle n’est pas tout à fait fausse, elle n’est pas tout à fait juste non plus. Explications et sages conseils de coureurs avertis, qui en connaissent un rayon en matière d’endurance et de motivation. De rien.

Quoi de mieux pour avoir ici l’heure juste que de sonder un ultramarathonien, qui a couru (quasiment) pieds nus ? Joan Roch, vous vous en souvenez sûrement, a réussi cet exploit l’été dernier, en parcourant Percé-Montréal, et ses 1135 km, en sandales. Ce qu’il faut savoir, c’est que sa conjointe, Anne Genest, est elle aussi ultramarathonienne à ses heures, en plus d’être bibliothécaire et autrice. Un duo de feu pour nous éclairer en matière de défis, qu’on jase marathon ou pandémie.

Alors, pandémie et ultramarathon, même combat ? La métaphore est assurément meilleure que celle du marathon, répondent nos deux coureurs en chœur. « Ce qui est bien dans la comparaison », commence Joan Roch, qui a plus de 50 000 km au bâton (« depuis que je compte », faut-il le souligner), « c’est qu’alors que dans un marathon, tout est bien organisé, dans un ultramarathon, tout est fait pour que le participant se retrouve dans des situations étranges. » Ça vous sonne une cloche ? Attendez la suite :

« On se lance dans l’inconnu, et on ne sait surtout pas ce qui nous attend sur le chemin. »

— Joan Roch, ultramarathonien, auteur et conférencier

Pire : « ni en combien de temps, ajoute Anne Genest. Il faut faire face à des imprévus constamment, le froid, la boue, les racines ». C’est d’ailleurs précisément pour relever ce défi de l’imprévisibilité que la jeune femme s’est lancée dans ce genre d’aventures, ou, comme elle dit, pour « mettre des pépins dans nos vies prévisibles », à tout le moins jusqu’ici (lire : prépandémie).

Les derniers milles les plus pénibles ?

Jusqu’ici, la comparaison tient la route, donc, en matière d’inconnu et de nécessité de s’adapter, personne ne dira le contraire. Contrairement au marathon, une course organisée, bien planifiée, bref sans surprises, dont on connaît plus ou moins la durée. Sauf que dans un ultramarathon (qu’il soit de 80, 160, ou plus de 1000 km !), les derniers kilomètres à parcourir sont loin d’être les pires, croyez-le ou non. Au contraire, répondent à nouveau nos deux experts à l’unisson. « Non ! On n’est pas du tout d’accord ! »

Comment est-ce possible, alors que côté pandémie, ces mois qui s’étirent nous pèsent particulièrement ces jours-ci ? Question de perspective, tout simplement. « Arrive un moment, poursuit Joan Roch, peu importe ce qui arrive, avec tout ce que j’ai affronté, je sais que je vais y arriver. Ce n’est pas un changement de météo qui va m’arrêter. »

« Dans les derniers kilomètres, il y a une certitude qu’on va arriver au bout. […] Quand on est à 5 km de la fin, c’est réglé ! »

— Joan Roch, ultramarathonien, auteur et conférencier

En un mot, résume l’homme, qui a parcouru l’ultra mythique du Mont-Blanc, à travers les Alpes françaises, italiennes et suisses : « Après tout ce que j’ai traversé, ce serait complètement absurde de m’arrêter là ! Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de pire ? » Retenez cette phrase : « le pire est fait », répète sa compagne (en parlant de course, même si ça sonne pandémique). « Mais ça n’ira pas plus vite ! », nuancent-ils ensemble.

Mieux équipés ?

Sans doute les ultramarathoniens sont-ils mieux équipés pour affronter l’imprévu en général, et l’imprévu pandémique en particulier. Parce qu’ils sont habitués à s’adapter constamment aux imprévus, qu’ils soient météorologiques, géographiques ou physiques (ou autres !). « Constamment, confirme Anne Genest. La nature, la météo, la boue, ce n’est pas nous qui la contrôlons, forcément, il y aura des pépins. » Et il faudra gérer. « Eh oui, renchérit son conjoint, ça nous a servi quand le confinement a commencé : on avait plein de projets, et le confinement a tout fait dérailler. Les deux, on a appliqué la même méthode qu’en ultramarathon : ce que j’avais prévu n’existe plus, ce n’est pas une raison de tout laisser tomber. Alors on a trouvé d’autres objectifs pour avancer dans d’autres directions. »

Exemple : ils se sont inventé leurs propres compétitions, se sont mis à courir différents parcours, ont exploré différents sports (vélo stationnaire, natation, etc.), inventé des nouvelles routines de musculation, et Anne Genest a même décidé de prendre une sabbatique (tant qu’à être à la maison !) pour écrire son prochain livre. En plus de faire leur pain quotidien, ils se sont même mis à cuisiner leur panettone (« on se donne des défis culinaires étonnants ! », disent-ils en riant).

« On improvise, on s’adapte, pas de panique quand ça ne fonctionne pas comme prévu ! On cherche toujours d’autres manières d’atteindre nos objectifs. »

— Anne Genest et Joan Roch

On ne sait plus trop s’ils font ici référence à la course ou à la pandémie. Aux deux, en fait. « Plus de course aux États-Unis, je pars en Gaspésie ! J’aurais pu laisser tomber, explique Joan Roch, mais finalement, ç’a été la meilleure idée ! »

Leur secret

N’empêche que la question demeure : comment diable font-ils pour rester motivés, accrochés, malgré l’ampleur des défis, sans parler de la fatigue croissante et du découragement menaçant ? Une question, vous l’aurez compris, qui vaut tant pour les ultramarathons que pour ce confinement, sans parler de cette campagne de vaccination à grande échelle dont on ne voit pas la fin (ni franchement le début).

« Ce qui nous accroche dans les épreuves longues, interminables, ce sont les tout petits bonheurs de rien du tout. »

— Anne Genest, ultramarathonienne, bibliothécaire et autrice

Une stratégie non pas physique, mais essentiellement mentale : l’art de transformer une « interminable » épreuve en une succession de petites étapes, et autant de « petits bonheurs », quoi. Elle cite ce savoureux muffin dans lequel elle pourra croquer au bout de 10 kilomètres, cette vue spectaculaire quand elle aura atteint ce sommet, et que dire du lever du jour, après une longue nuit à courir dans la noirceur ? Idem avec la pandémie, enchaîne son conjoint. Une philosophie qu’on aurait tous intérêt à cultiver : l’odeur du pain frais le matin, les longues marches à l’heure du midi, « tous ces petits bonheurs, on ne s’en lasse pas ! dit-il. Finalement, on tire plein de conséquences négatives, mais il y en a aussi des positives ! […] Si tout le monde est plus confortable avec le risque, l’imprévu, apprend à s’adapter [après la pandémie], il me semble que ça va réduire les niveaux de stress de tout le monde, avance-t-il. Tout ce qu’on est en train d’apprendre, il me semble que ça va nous rendre tous meilleurs ! »

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