Les mecs

Martine Delvaux persiste et signe

Elle a vu la série. Deux fois plutôt qu’une. Reconnaît avoir sinon ri, du moins souri. Mais Martine Delvaux ne retire en rien ses paroles et son coup de gueule au sujet du « mecs club » dépeint dans l’émission Les mecs, lesquels ont soulevé la polémique, il y a un an de cela déjà. Entretien, explications et, surtout, contextualisation.

Par où commencer ? Pas le choix : par le commencement. Il y a un an, presque jour pour jour, l’autrice et professeure d’études littéraires Martine Delvaux y allait d’une critique en règle contre une nouvelle série, Les mecs, annoncée par Radio-Canada et écrite par Jacques Davidts (à qui l’on doit Les Parent, série que Martine Delvaux a d’ailleurs « adorée », malgré certains « clichés »). Pourquoi le scandale ? Parce que dans le communiqué de presse et la promotion de la série, l’auteur et le réalisateur (Ricardo Trogi) présentaient le tout comme un « safe space de gars de 50 ans », résume l’autrice, rencontrée (à distance dans un parc) jeudi après-midi pour faire le point sur une controverse qui n’en finit plus.

Parenthèse : la série Les mecs, diffusée depuis jeudi sur l’Extra d’ICI Tou.tv, raconte les tribulations de quatre « boys » de 50 ans, archi caricaturaux, mais non moins sympathiques et vulnérables à leurs heures (le « macho hétéro », le nouvellement largué, le bedonnant et le gai en santé), sorte de Sex and the City des quinquas, comme le résumait le collègue Hugo Dumas, en version intellos et bourgeois bohèmes du Plateau. Vous voyez le genre : discussions de cul autour d’un verre de vin (à 130 $ la bouteille), séance de spinning au gym et autres lendemains de veille dans la cuisine.

Autour du groupe gravite une série de personnages secondaires, notamment la propriétaire du bistro et le fils du macho, lesquels ne se privent pas pour remettre nos antihéros hétéros à leur place, les traitant tantôt de « méprisants », de « misogynes », d’« arriérés » ou carrément de « vieux mononcles sexistes ». Les répliques assassines fusent et se suivent, sans jamais se ressembler. C’est savoureux et épuisant à la fois.

La féministe réplique

Mais revenons-en au coup de gueule de Martine Delvaux. À l’époque, l’autrice, qui publiait un essai baptisé Le boys club, a promptement réagi à cette appropriation du mot « espace sécuritaire », dans la promotion entourant la série (avant de l’avoir vue, comme on le lui a vertement reproché d’ailleurs). « Les espaces sécuritaires, apparus à la suite des luttes pour les droits civils aux États-Unis et mis en place entre autres par les femmes par le truchement des groupes de conscience féministes, constituent des lieux où les membres qui en font partie sont protégés d’agressions », écrivait-elle dans une lettre, publiée dans la section Débats de La Presse.

Que des hommes blancs, qu’on entend tout le temps, archi privilégiés de surcroît, se réapproprient l’expression, « ça n’a pas de bon sens ! », reprend-elle en entrevue.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là : jeudi, Jacques Davidts en a remis, l’accusant (dans un entretien avec le collègue Marc Cassivi dans nos pages) d’être « pas […] particulièrement honnête, intellectuellement » et surtout « un peu opportuniste ». « Ça, c’est malhonnête. Je n’ai pas été opportuniste, rétorque-t-elle, l’occasion était là ! Je sortais un livre dont l’objet, c’est les téléséries et le cinéma, et au même moment, on annonce une série sur un groupe de gars au Québec ! […] En quoi c’est opportuniste ? Lui, ça n’est pas opportuniste de faire de la promotion, six mois à l’avance ? », lance-t-elle.

Jacques Davidts en a même remis, affirmant (dans l’entretien toujours) avoir craint pour la survie de la série (et de centaines d’emplois) à la suite de la polémique. Martine Delvaux lève ici les yeux au ciel et répond, non sans ironie : « Sans blague ! Il a écrit Les Parent, et moi, j’ai un fan base ? Non, mais ça va ? »

Son verdict

Voilà pour la polémique. Quant à la série, qu’en pense finalement Martine Delvaux ? D’abord les fleurs : « C’est bien écrit, répond-elle sans hésiter, les acteurs sont excellents, je les aime, je suis contente qu’on les montre dans leur fragilité masculine. » Elle insiste : « Jacques Davidts connaît son métier, il écrit bien, raison de plus pour s’intéresser à cette série-là. » Si elle a ri ? « Non, j’ai souri. Ça ne me fait pas rire, ces trucs-là, explique-t-elle. Les jokes de cul ne me font pas rire, j’en peux plus… » Vous devinez le pot ? « J’ai des questions à poser, enchaîne-t-elle. Est-ce que c’est encore pertinent, intéressant ? Est-ce que ça fait avancer les mœurs, la société ? »

« Est-ce que c’est pertinent, une série qui traduit la masculinité de cette façon-là ?  »

— Martine Delvaux

Elle déplore en outre que Les mecs, en tirant de tous bords tous côtés (#metoo, la non-binarité, le féminisme intersectionnel d’un côté, et les fameux « mononcles » de l’autre), joue sur une dualité sans jamais se mouiller. « Est-ce qu’il est du côté de ces gars-là, ou du côté d’un discours critique par rapport à ces gars-là ? se demande Martine Delvaux. Jacques Davidts est habile dans les dialogues, dans sa manière de convoquer une idée et son contraire. Il sait comment écrire. Il n’est pas idiot. C’est juste qu’en disant une chose et son contraire, on ne sait plus sur quel pied danser. […] C’est difficile de se faire une tête. […] Est-ce que c’était ça, le pari de la série : laisser les oppositions coexister ? Peut-être… », se questionne-t-elle.

Mais pour finir, n’est-ce pas beaucoup de bruit, pour une comédie ? Martine Delvaux croit que non. Trop « facile » comme argument, croit-elle. « C’est un objet culturel qui existe dans la société, tranche-t-elle. Il est dans l’espace public, alors on a le droit d’y réagir. » Chose certaine, c’est beaucoup de publicité. Et ça, Martine Delvaux le sait…

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