Opinion Violence contre les femmes

Une réalité qui s'inscrit dans un vaste continuum

En 1982, lorsque la regrettée Margaret Mitchell, députée du NPD, a soulevé la question de la violence familiale, les moqueries de ses collègues l’ont réduite au silence. Aujourd’hui, son cri du cœur pour une reconnaissance de la violence sexiste est toujours aussi pertinent. 

À l’époque, elle citait les statistiques confirmant qu’un homme sur 10 battait sa femme. Certes, les déclarations de violence contre les femmes dans le contexte d’une relation intime ont décliné, mais dans quelle mesure cela est-il dû aux décisions progressistes de nos institutions et groupes communautaires ou au fait que signaler une telle violence n’offre pas de recours à la justice et n’apporte habituellement que rebuffade, banalisation et humiliation ? 

Ainsi, dans une récente série d’articles du quotidien The Globe and Mail, on soulignait que le nombre de cas d’agression sexuelle sans fondement se chiffre à un sur cinq, ce qui fait ressortir une autre facette du continuum de la violence exercée contre les femmes.

Les récents cas de harcèlement sexuel hautement médiatisés ont attiré l’attention du public sur ces atteintes à la dignité humaine. Toutefois, ces cas et les résultats de l’enquête du Globe ne constituent que la pointe de l’iceberg. Pour reprendre l’expression de Liz Kelly, militante antiviolence et chercheuse, la violence contre les femmes s’inscrit dans un vaste continuum. Intimidation, traque, violence dans les fréquentations, violence sexuelle, exploitation financière, violence envers les personnes âgées, traite, viol, meurtre et autres formes de violence font partie de ce continuum, dont le genre est un déterminant clé. Dans le contexte de la violence intime, les femmes sont en effet deux fois plus susceptibles que les hommes de déclarer avoir été étranglées, battues, menacées avec un couteau ou une arme à feu et agressées sexuellement. De plus, les femmes et les filles représentent près de 70 % des victimes de violence familiale.

En adoptant un point de vue intersectionnel, on réalise à quel point le pouvoir influe aussi négativement sur les femmes dont la situation diffère en raison de leur classe, de leur religion, de leur âge, de leur sexualité ou de leur handicap. 

Par exemple, les femmes autochtones sont plus vulnérables à différentes formes de violence, que ce soit la violence sexuelle intime ou la violence structurale telle que la pauvreté. De même, les femmes qui n’ont pas d’accès adéquat à des services ou qui sont marginalisées – comme les femmes âgées, les habitantes des régions rurales et les femmes racialisées, stigmatisées, jeunes, membres des communautés LGBTQ2 ou de genre non conforme – sont plus vulnérables à diverses formes de violence.

Les facteurs contextuels contribuent indubitablement à déterminer quelles femmes sont les plus susceptibles de subir de la violence. Le harcèlement des musulmanes depuis le 11 septembre 2001 constitue un bon exemple à cet égard. Au Québec, elles ont été la cible de crimes haineux parce qu’elles portaient le hijab et le niqab. À l’Université Dalhousie, l’association étudiante fournit d’ailleurs des trousses de hijab d’urgence aux étudiantes dont le foulard a été enlevé de force. Les personnes transgenres sont constamment attaquées et assassinées en raison de leurs préférences sexuelles. Des facteurs historiques influent également sur le degré de vulnérabilité de certaines femmes. Ainsi, nous savons à présent que le nombre de femmes autochtones disparues et assassinées est estimé à environ 4000. Or, la violence qu’elles subissent a été attribuée au colonialisme. Ce sont donc ces recoupements entre genre, religion, sexualité, autochtonicité et autres aspects identitaires qui exposent certains groupes de femmes à un risque de violence accru.

L’ultime forme de violence est la mort, et si les taux d’homicides ont diminué à l’échelle nationale, les femmes meurent encore à cause de la violence perpétrée par les hommes. Ainsi, une femme est tuée en moyenne tous les six jours par son partenaire intime – des meurtres qui n’ont rien d’accidentel, mais qui résultent plutôt d’un sentiment : « si je ne peux pas l’avoir, personne ne l’aura ». Dans le cas des femmes autochtones, c’est le regard de la société qui en fait des êtres sans importance qu’on peut tuer en toute impunité.

Les chiffres ne révèlent donc pas toute la vérité, puisque l’incidence de l’histoire et du contexte est indéniable. Les récits des travailleurs, défenseurs, militants et universitaires en première ligne peuvent d’ailleurs contribuer à l’élaboration d’un plan viable pour mettre fin à la violence. La stratégie nationale du gouvernement fédéral afin de prévenir et de contrer la violence fondée sur le sexe, lancée en juin dernier, constitue un début prometteur. Pourtant, une grande partie des fondements de cette stratégie a été documentée à plusieurs reprises. N’est-il pas temps de conclure les consultations et de fournir un financement aux refuges, aux services et à diverses formes d’intervention essentielles ? Si l’on veut éradiquer la violence sexiste, il faut commencer à la base et suivre sa progression, en intervenant à chaque étape du chemin au moyen de filets de sécurité tangibles et en éliminant les attitudes, les obstacles et les valeurs qui contribuent à perpétuer le phénomène.

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