Transports

Ottawa construit son train de 5,7 milliards

Alors que les débats entourant le Réseau électrique métropolitain (REM) battent leur plein à Montréal, la Ville d’Ottawa construit en ce moment même un projet similaire à plusieurs égards. Ce système léger sur rail, qui comptera 59 kilomètres de rails et 41 stations, promet de transformer le visage de la capitale fédérale lorsqu’il entrera en service dans un an. Survol d’un mégachantier méconnu à l’est de l’autoroute 417.

Investissement historique

Après une première mouture avortée au milieu des années 2000, Ottawa a relancé, il y a cinq ans, son projet de système léger sur rail. La première phase de la Ligne de la Confédération s’étirera sur 21 kilomètres, avec un tunnel de 2,5 kilomètres qui traversera les entrailles du centre-ville – l’équivalent d’un métro. Le projet est très avancé, comme en témoignent les nombreux sites de construction le long du tracé. Plusieurs stations sont déjà sorties de terre. « C’est certainement l’investissement le plus important dans l’histoire de la ville, explique Stephen Blais, président de la Commission du transport en commun d’Ottawa, qui chapeaute le projet. On n’a pas vu cette intensité de construction depuis la construction du canal Rideau, il y a plus de 150 ans. » La première ligne du train, évaluée à 2,1 milliards de dollars, doit être inaugurée au printemps 2018.

Phase 2

La construction de la deuxième phase, qui se mettra en branle l’an prochain, portera à 59 kilomètres l’étendue du réseau. Selon les plans actuels, le service léger sur rail d’Ottawa comptera 41 stations lorsqu’il sera achevé en 2023. Des discussions avancées sont aussi en cours en vue de relier l’aéroport international d’Ottawa. Avec des investissements additionnels prévus de 3,6 milliards pour ce deuxième tronçon, la valeur totale du projet frôlera les 6 milliards, souligne Stephen Blais. Le nouveau réseau sera connecté à l’O-Train, une courte ligne de train diesel de cinq stations sur 8 kilomètres mise en service en 2001.

Formule PPP

Le chantier est financé par les trois ordres de gouvernement – municipal, provincial et fédéral – et construit selon une formule de partenariat public-privé (PPP). Le consortium choisi, formé notamment de SNC-Lavalin, est responsable de tous les travaux et assumera l’entretien du réseau pendant 30 ans. « On a vraiment diminué les risques pour les résidants d’Ottawa parce que s’il y a un dépassement de coûts ou un problème de construction, tous les risques financiers reposent sur les entreprises qui construisent le système », avance Stephen Blais. Notons que le gouvernement fédéral a confirmé son intention d’investir 1,15 milliard dans la deuxième phase lors du budget de mars dernier.

Parallèle avec Montréal…

Le projet d’Ottawa se compare à plusieurs égards au REM proposé par la Caisse de dépôt et placement du Québec. Comme à Montréal, le projet ontarien vise à relier au centre-ville plusieurs banlieues éloignées, de même que l’aéroport. Dans les deux villes, il est prévu que le réseau soit en activité 20 heures sur 24, entre 5 h et 1 h du matin. Les trains d’Ottawa auront des conducteurs, mais ils auront « la possibilité d’être automatisés », dit Stephen Blais, comme ce qui est prévu dans la métropole québécoise.

… et des différences

Le mode de financement du projet sera toutefois différent à Montréal. La Caisse prévoit payer la moitié des coûts de construction, évalués à 6 milliards. Québec versera 1,3 milliard, et une somme équivalente est attendue de la part du fédéral, par l’entremise de la future Banque de l’infrastructure. En échange de cet investissement, la Caisse promet un rendement financier récurrent aux deux gouvernements. Les stations du REM seront aussi plus espacées que celles d’Ottawa. Le futur réseau montréalais en prévoit 27, réparties sur 67 kilomètres, avec une mise en service graduelle à partir de 2020.

Prévenir plutôt que guérir

Avec trois fois moins d’habitants que Montréal, Ottawa est nettement moins affectée que la métropole par la congestion routière. Mais la population croît assez vite ici – on s’attend à une hausse de 30 % d’ici 2031 –, et les autorités ont préféré prévenir plutôt que guérir, explique Tyler Adam Chamberlin, professeur adjoint à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa. « Ce réseau de train ne fera pas exploser l’économie de la ville, mais ça permettra d’éviter que la croissance de l’économie ne soit limitée. On le voit dans plusieurs villes où le transport en commun est insuffisant. Il y a des limites au développement parce que les gens perdent des heures dans le trafic, ils ne peuvent aller nulle part, et ça devient difficile pour la ville de respirer. »

Autobus saturés

Ottawa possède un réseau de transports en commun à haute fréquence – appelé Transitway – efficace et très populaire. Or, celui-ci frôle déjà le point de saturation aux heures de pointe, sans compter les nombreux autobus qui arrivent de la ville voisine de Gatineau. Matin et soir, des centaines d’autobus bruyants font la queue dans les couloirs réservés du centre-ville. Selon les promoteurs du train léger, la mise en service du nouveau réseau ferroviaire permettra d’éliminer 85 % des autobus des rues des quartiers centraux.

Et Gatineau ?

Même si le projet est déjà très avancé, plusieurs questions restent en suspens. Une liaison ferroviaire avec la ville voisine de Gatineau est par exemple évoquée, mais les discussions sérieuses viennent tout juste de commencer… cinq ans après le lancement du projet. « Pourquoi cela n’a-t-il pas été pris en compte dès le départ dans le design ? demande le professeur Tyler Adam Chamberlin. C’est très malheureux. Je crois qu’il y a des raisons pratiques, semble-t-il que le pont Prince-de-Galles [qui servirait de point de liaison] est en très mauvais état, mais je crois que c’est une vision à courte vue. Cela signifie qu’on va continuer à voir une croissance plus faible du côté québécois. »

Projets en série

Plusieurs projets immobiliers se sont déjà mis en branle autour des futures stations. Diverses institutions existantes, comme le Centre Rideau, ont aussi fait coïncider des travaux d’amélioration avec la venue du train. Cadillac Fairview, propriétaire du centre commercial, a par exemple investi 6 millions pour permettre une liaison entre la nouvelle station de train et ses installations, souligne Ivan Boulva, vice-président, développement, portefeuille de l’est du Canada. Il voit d’un très bon œil la venue du train léger. « Probablement que ça créera des centres névralgiques. Ça va renforcer le centre-ville commercial qui est Rideau. »

Transports

Où en est le projet du REM à Montréal ?

Plusieurs étapes majeures du projet de la Caisse de dépôt devraient être franchies au cours des prochains mois. Les appels d’offres pour les deux contrats principaux du REM – l’un pour l’ingénierie et la construction des infrastructures, l’autre pour la fourniture et l’entretien du matériel roulant – sont toujours en cours et devraient se conclure d’ici au début de l’automne. La Caisse attend par ailleurs la confirmation de la participation financière du gouvernement fédéral, qui doit investir 1,3 milliard de dollars par l’entremise de la nouvelle Banque de l’infrastructure du Canada. Ottawa a commandé un rapport à une firme torontoise qui doit le conseiller sur cet « investissement éventuel ». La version finale du document était attendue cette semaine. CDPQ Infra, la filiale de la Caisse de dépôt chargée du projet de 6 milliards, espère toujours mettre en service les premières rames du REM à la fin de 2020.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.