Pesticides

« Ils nous disaient que ce n’était pas  dangereux »

Des agriculteurs malades après avoir utilisé des pesticides se battent pour que le parkinson et les lymphomes non hodgkiniens soient reconnus comme des maladies professionnelles au Québec. S’ils vivaient en France, ils pourraient être indemnisés par leur assureur.

Un dossier de Stéphanie Vallet, Daphné Cameron et Martin Tremblay

Pesticides

Des agriculteurs malades montent au front

Il y a quatre ans, Serge Giard est réveillé en pleine nuit par un spasme du bras gauche. Le seul agriculteur biologique de la commune de Saint-Hugues, en Montérégie, s’inquiète rapidement des tremblements au repos qui l’assaillent. Le diagnostic tombe en octobre 2014 lors d’une visite chez son médecin de famille : M. Giard souffre de la maladie de Parkinson.

« En plus des spasmes du bras, j’ai commencé des tremblements de la main gauche. En mai 2015, j’ai rencontré un neurologue, pour la première fois, qui a confirmé le diagnostic et donné une médication plus musclée appropriée à la situation », précise Serge Giard.

Aujourd’hui, le cultivateur est persuadé d’avoir été intoxiqué par les pesticides qu’il a épandus pendant près de trois décennies.

Fils de producteur laitier, Serge Giard commence comme sa carrière en 1975. Pendant 28 ans, il s’occupe de la terre et des animaux de sa ferme, utilisant tant des herbicides que des insecticides comme l’atrazine, le glyphosate ou la pyréthrine, sans protection.

« On ne se posait aucune question au sujet des produits qu’on utilisait. Tout était une question de rendement. »

— Serge Giard

« Quand les buses étaient bouchées, on soufflait même dedans avant de les reposer ! Tout le monde faisait ça », ajoute-t-il.

En 1999, M. Giard amorce un virage à 180 degrés : il décide d’arrêter la production laitière pour devenir producteur biologique de céréales. Finis, les semences génétiquement modifiées (GM) et les pesticides. Il fertilise désormais ses terres avec des plantes ou des lisiers, s’équipe en machinerie et s’implique auprès de l’organisme à but non lucratif Vigilance OGM. « La première fois que j’ai semé sur un hectare sans pesticides pour faire un test, j’en ai eu des brûlures d’estomac ! T’es formé pour agir de cette façon, alors c’était changer complètement de philosophie », observe le cultivateur, qui est néanmoins tombé malade 20 ans après avoir arrêté de pulvériser des pesticides. « C’est certain que j’ai un sentiment d’injustice. Mais même les agronomes ne savaient pas à l’époque », précise-t-il.

Pas de cotisation, pas de compensation

Serge Giard a entrepris des démarches en vue de faire reconnaître son parkinson comme maladie professionnelle, comme c’est le cas en France depuis 2012. Il rend ainsi visite au DPierre L. Auger, spécialiste en médecine du travail et de l’environnement qui œuvre aussi au service de l’environnement de la Direction de la santé publique de Québec, habilité à faire des expertises pour la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Son rapport établit un lien sans équivoque entre l’exposition de M. Giard aux pesticides pendant trois décennies et la maladie de Parkinson. « La littérature de qualité démontre un risque de 50 % et plus de développer la maladie de Parkinson suite à l’utilisation de pesticides comprenant des insecticides et herbicides. Or M. Giard a vaporisé pendant plusieurs années, et surtout lorsqu’il était plus jeune, quantités de pesticides. Donc il est clair pour moi que son exposition professionnelle a augmenté les risques de souffrir de cette maladie », conclut le Dr Auger dans le document rédigé en 2018.

« Il existe des évidences dans la littérature scientifique d’une relation entre l’exposition aux pesticides et le développement de la maladie de Parkinson. Il n’y a pas de doute. Mais d’autres études publiées ont aussi rapporté l’absence de lien avec les pesticides et l’incidence de cette maladie. Toutefois, ces études se sont le plus souvent basées sur de petites cohortes ou des tests statistiques moins rigoureux, entre autres », précise quant à elle Francesca Cicchetti, chercheuse en neurosciences au Centre de recherche du CHU de Québec qui déposera fin juillet, conjointement avec Parkinson Québec, un mémoire à la commission parlementaire sur les pesticides.

Le rapport rédigé par le Dr Auger ne permettra pourtant pas à Serge Giard de recevoir des indemnités. Bien que les travailleurs sur les fermes soient automatiquement couverts, M. Giard n’est pas inscrit au régime de la CNESST, tout comme 70 % des exploitants agricoles qui sont majoritairement des exploitations familiales.

« S’il avait été un employé d’une grosse ferme, M. Giard aurait pu entamer des démarches pour être indemnisé, même si le parkinson ne figure pas à l’annexe de la Loi sur la santé et sécurité au travail. Je suis pas mal sûr qu’on serait arrivé au bout au tribunal administratif », précise le Dr Auger.

« On prend des assurances salaire ou des assurances vie. On veut investir sur la ferme. Et quand tu es jeune, tu es invincible ! Tu travailles tellement que tu n’as pas le temps de penser que tu pourrais être malade », explique quant à lui Serge Giard.

De la France au Québec

En France, la reconnaissance du parkinson comme maladie professionnelle a été beaucoup plus rapide et grandement facilitée par l’action de la Mutualité sociale agricole, régime d’assurance publique obligatoire qui couvre l’ensemble des agriculteurs de l’Hexagone.

Au Québec, la bataille pour la reconnaissance de maladies professionnelles se jouera à la CNESST, dont le tableau des maladies professionnelles n’a pas été révisé depuis 1985. Le 15 mai dernier, l’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté une résolution pour la modernisation du régime et de l’actualisation de la liste des maladies professionnelles.

De son côté, Parkinson Québec, organisme à but non lucratif qui œuvre au mieux-être des personnes atteintes de la maladie de Parkinson et de leurs proches aidants, a décidé de faire des pesticides son dossier prioritaire de 2019. Il rédige actuellement un mémoire qui sera déposé à la commission parlementaire sur les pesticides fin juillet.

« Nous recommandons une reconnaissance de la maladie de Parkinson comme une maladie professionnelle pour l’ensemble des cotisants à la CNESST exposés pendant plus de cinq ans dans le cadre de leur emploi aux pesticides. Nous soutenons également une demande d’indemnisation des agriculteurs indépendants exposés pendant la même période », précise Nicole Charpentier, directrice générale de Parkinson Québec.

Une invitation à se regrouper

Malgré son incapacité à être indemnisé, Serge Giard s’est donné pour mission de mettre sur pied un regroupement d’agriculteurs atteints de maladies liées aux pesticides afin de faire respecter leurs droits et ceux des générations futures.

« J’appelle toutes les personnes qui se sentent interpellées, subissant des dégâts irréversibles sur leur santé, à se regrouper afin d’entreprendre des démarches de demande de reconnaissance de maladie professionnelle et s’associer avec des experts scientifiques, médicaux, juridiques et agricoles. »

— Serge Giard

Le cultivateur invite ses confrères malades à sortir de l’ombre, lui qui a lui-même tu son diagnostic pendant plus de trois ans avant de se décider à partager son histoire publiquement dans La Presse. « Pourquoi en parler quand on ne peut pas faire autrement qu’utiliser des pesticides ? interroge M. Giard. Avant de me décider, je me suis confié à trois amis d’enfance après trois ans de silence et ils m’ont tous dit que ce n’était pas un choix, mais une obligation de partager mon histoire. »

Un appel à l’aide lancé à l’UPA

Paul-Émile Carpentier et Elizabeth McNamara ont exploité la ferme laitière P & E Carpentier durant 30 ans dans la région de Gatineau. Aujourd’hui séparés, ils sont tous les deux atteints de la maladie de Parkinson depuis quelques années, selon les rapports médicaux consultés par La Presse.

Paul-Émile Carpentier commence à utiliser des herbicides en 1965. « À l’époque, l’atrazine, c’était une poudre. Le liquide est venu seulement après. Comme c’était une poudre, ce n’était jamais bien dilué. Souvent, il fallait démancher une partie de l’arroseuse pour nettoyer le résidu qui s’était accumulé là. C’était le bordel. À toutes les batchs qu’on faisait, il y avait des résidus, ça bloquait. C’est là que je dis que je me suis empoisonné », estime l’agriculteur malade. « Après, on est passés au Roundup parce que ça coûtait moins cher de l’acre, c’était très efficace. Ça remplaçait deux, trois herbicides. C’est liquide, ça travaille bien, mais ça va dans l’air. Si les gens savaient le nuage que ça fait ! Ça va atterrir n’importe où et ça va loin. Mes voisins me disaient : “Quand vous arrosez, ça sent drôle” », ajoute-t-il.

En novembre 2018, Elizabeth Carpentier écoute l’émission La semaine verte, qui diffuse un reportage donnant la parole à trois agriculteurs atteints de la maladie de Parkinson. C’est alors que se produit un déclic sur la cause de sa maladie. Elle rédige alors une lettre à l’Union des producteurs agricoles (UPA) qui devrait, selon elle, porter le ballon dans le dossier.

Les ex-conjoints y exhortent l’UPA à colliger des données pour connaître le nombre d’agriculteurs affligés par le parkinson au Québec. « Pour dresser ainsi le portrait le plus exact possible de cette tragédie humaine. Par la suite, forte de ces informations, l’UPA pourra exercer les pressions nécessaires auprès de diverses instances gouvernementales afin que, à l’instar de la France, la maladie de Parkinson soit reconnue comme une maladie professionnelle dans le monde agricole, et ce, dans le but qu’une compensation financière soit versée à ces femmes et à ces hommes qui sont malades pour avoir nourri leur famille et leur communauté », écrivent-ils dans leur missive à l’UPA.

Un premier portrait sur 10 ans

Informée que des agriculteurs associaient l’apparition de la maladie de Parkinson à leur usage de pesticides, l’UPA s’est récemment tournée vers l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail. Elle vient de lui confier un mandat pour brosser un portrait de la maladie au sein de la population agricole au cours des 10 dernières années. Le rapport doit être produit d’ici neuf mois.

« On leur a demandé de répertorier des cas et de déterminer s’il y a une prévalence plus élevée chez les producteurs agricoles de certaines maladies qui pourraient être liées aux pesticides que dans la population en général. C’est cela qu’on veut savoir », explique Marcel Groleau, président de l’Union des producteurs agricoles, en entrevue à La Presse.

« Par la suite, on va entreprendre des démarches. Est-ce que ça sera auprès du gouvernement ou directement auprès de la CNESST ? On verra, mais c’est sûr que lorsqu’on aura les informations, on va voir quel geste on va poser. Pour nous, il n’y a pas d’intérêt à cacher quoi que ce soit et à ne pas vouloir que ce soit mis en évidence », ajoute-t-il.

Qu’est-ce que la commission parlementaire sur les pesticides ?

Lancée dans la foulée de reportages accablants sur les effets des pesticides et le congédiement du lanceur d’alerte Louis Robert, l’agronome qui avait révélé l’ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur les pesticides, la commission parlementaire sur les impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement a débuté le 28 mai dernier à Québec. Au cours des prochains mois, les députés entendront une trentaine de groupes à l’Assemblée nationale, en plus de visiter des fermes pendant l’été. Un appel de mémoires a été lancé invitant les groupes qui souhaiteraient faire connaître leur point de vue sur ce vaste sujet à déposer leur mémoire d’ici le 31 juillet prochain. Une trentaine de groupes viendront ensuite témoigner en séance publique, en septembre.

Le Roundup au banc des accusés

La bataille juridique contre Monsanto vient de traverser la frontière. Déjà visé par un déluge de 13 400 poursuites aux États-Unis, le géant agrochimique doit maintenant répondre à trois demandes d’autorisation d’action collective déposées en l’espace de quelques semaines au Canada. Les plaignants, qui ont tous souffert d’un lymphome non hodgkinien, attribuent leur cancer à leur usage de l’herbicide Roundup.

« Sur le coup, je ne me suis pas posé de questions. Il y a trois ans, j’ai commencé à entendre parler de ce qui se passait aux États-Unis et à me questionner. Il y avait des cas avec le même cancer que moi. Je me suis dit : “Oupelaï ! Ça se peut que ça soit pour ça, moi aussi ?” »

En mars 2009, Roger Malouin, un agriculteur de Sainte-Madeleine, commence à avoir mal dans le dos. « Assis, couché, debout, je ne pouvais plus m’endurer, se souvient-il. La douleur ne faisait qu’augmenter. » Il se rend alors à l’hôpital de Saint-Hyacinthe pour passer des examens. Le diagnostic tombe : lymphome non hodgkinien, un cancer du système lymphatique.

Suivi par l’hématologue François Perreault, il va enchaîner les séances de chimiothérapie jusqu’à l’automne 2010. « Après la fête du Travail, ils m’ont donné un traitement-choc. Mon système était à zéro. J’ai même attrapé la bactérie C. difficile ! En novembre, j’ai terminé avec de la radiothérapie. En janvier, la bonne nouvelle est tombée », se souvient Roger Malouin, qui est en rémission totale depuis trois ans. « L’oncologue m’a dit que j’avais un cancer lent et que, comme le Canadien, il allait perdre ! », lance-t-il en riant.

N’ayant jamais cotisé à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), M. Malouin n’a jamais pu tenter de faire reconnaître son état comme une maladie professionnelle, comme c’est le cas en France depuis 2015. Mais il a entrepris des démarches pour se joindre à une action collective qui pourrait bientôt être débattue devant la Cour supérieure du Québec.

« Je ne me verrais pas me prendre un avocat tout seul pour me battre contre de grosses compagnies qui nous font un doigt d’honneur. Au début, ils nous disaient que ce n’était pas dangereux. On se fiait au vendeur de la compagnie. Et il y a 30 ans, on était bien plus sans-dessein qu’aujourd’hui en tant que cultivateurs ! », lance-t-il.

À 75 ans, Roger Malouin utilise des pesticides depuis 46 ans, dont du Roundup depuis 1976. C’est encore lui qui se charge de pulvériser engrais et pesticides sur ses terres.

« L’impression que ça me donne, c’est que les compagnies de pesticides se sont dit : “Ce n’est pas grave, c’est rien que des habitants, on va faire la piastre !” »

— Roger Malouin

Plusieurs demandes d’action collective

Fin mai, une femme qui a souffert d’un cancer de stade 4 a déposé la première demande d’autorisation d’exercer une action collective au Québec contre Monsanto et sa société mère, Bayer. Elle exige la somme de 10 millions en dommages punitifs pour tous les Québécois exposés au Roundup depuis 1976 et qui ont reçu un diagnostic de lymphome non hodgkinien.

Si un juge autorise cette action à aller de l’avant, c’est une résidante de L’Assomption, Liliane Paquette, qui sera la représentante du groupe. En 2005, elle a reçu un diagnostic de lymphome non hodgkinien. Elle affirme avoir été en contact avec le Roundup de 1997 à 2005, alors qu’elle vivait sur une ferme laitière et y travaillait.

L’avocat qui la représente, Me Éric Lemay, du cabinet Dussault Lemay Beauchesne, a indiqué avoir reçu de « nombreuses » demandes de personnes voulant se joindre au recours, sans toutefois avancer un nombre. Dans le régime de droit civil, il n’est pas nécessaire de s’enregistrer comme membre d’une action collective avant qu’un jugement final soit rendu.

En Saskatchewan, une demande d’autorisation pour exercer une action collective avait été déposée une semaine plus tôt par un agriculteur de Moose Jaw, qui a aussi reçu un diagnostic de lymphome non hodgkinien. La poursuite vise l’ensemble des Canadiens qui ont souffert d’un cancer après avoir utilisé le Roundup de Monsanto.

En quelques semaines, 174 personnes, dont 55 Québécois, ont rempli les documents nécessaires pour signifier leur intention de devenir membres du recours.

Même pour « 2 cennes »

Un bidon vide de Roundup traîne toujours au fond du garage de Murray Hickman. Durant près de 20 ans, l’homme de 65 ans a utilisé cet herbicide pour maîtriser les mauvaises herbes qui envahissaient sa vaste propriété de Fulford, dans les Cantons-de-l’Est. Aujourd’hui, des pissenlits se dressent à travers les fissures de son entrée asphaltée.

Murray Hickman n’utilisera plus jamais de Roundup.

Il soupçonne que son usage de ce pesticide a peut-être causé son lymphome non hodgkinien. Il vient tout juste de s’enregistrer officiellement auprès de la firme d’avocats pancanadienne Merchant Law pour éventuellement devenir membre du recours intenté en Saskatchewan.

« Si j’ai 2 cennes, ça ferait mon bonheur, je serais satisfait juste du fait que les compagnies seraient obligées d’accepter leurs responsabilités, si elles en ont. »

— Murray Hickman

Le père de trois enfants est aujourd’hui en rémission, mais il a toujours du mal à marcher. « Un matin, je me suis réveillé et je ne pouvais plus marcher. On a appelé l’ambulance. Après un examen de résonance magnétique à l’hôpital, ça n’a pas été long que le docteur m’a dit : “J’ai de très mauvaises nouvelles. Il va falloir que tu prépares tes affaires parce que tu as un cancer et c’est rendu niveau 4. Les chances ne sont pas bonnes que tu t’en sortes.” C’était dans mon foie, c’était sur mes poumons, c’était rendu dans ma colonne vertébrale. »

Bayer défend ses produits

Dans une déclaration écrite qu’elle nous a fait parvenir, Bayer Canada soutient que les herbicides à base de glyphosate sont utilisés en toute innocuité depuis plus de 40 ans et qu’ils sont approuvés dans plus de 160 pays. « Nous compatissons beaucoup avec les plaignants, mais les herbicides à base de glyphosate ne sont pas la cause de leur maladie, et nous entendons défendre vigoureusement nos produits. Le glyphosate a beaucoup été étudié par des scientifiques et des autorités réglementaires du monde entier, et les résultats des recherches confirment qu’il n’est pas carcinogène. »

L’ingrédient actif du Roundup, le glyphosate, est un herbicide à large spectre qui a fait son entrée au Canada au milieu des années 70. C’est aujourd’hui l’herbicide le plus vendu au Québec et dans le monde.

Son utilisation a véritablement explosé à la fin des années 90, lorsque Monsanto a introduit sur le marché un produit qui a révolutionné l’agriculture à grande échelle : les semences dites « Roundup Ready ». Ces semences ont été génétiquement modifiées pour survivre au glyphosate, qui ravage toutes les autres plantes sur son passage.

Pour l’ensemble du Québec, le groupe chimique des acides phosphoniques (qui comprend le glyphosate, mais aussi le gluphosinate d’ammonium et l’éthéphon) représentait 46,8 % des ventes totales de pesticides destinés à la production agricole végétale en 2017.

Débat épineux

Le potentiel cancérigène de la substance fait toutefois l’objet d’un vaste débat scientifique partout sur la planète. Les poursuites en justice ont tendance à s’appuyer sur une monographie du Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé, qui a classé, en 2015, le glyphosate « pur » comme un agent « probablement cancérogène pour les humains ».

À l’instar de toutes les agences réglementaires nationales des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Santé Canada a cependant tranché, en 2017, qu’il était « peu probable » que le glyphosate présente un risque de cancer pour les humains.

Diverses études publiées dans les revues scientifiques portant sur des groupes d’agriculteurs ont trouvé que l’usage de produits à base de glyphosate augmentait leur risque de souffrir d’un lymphome non hodgkinien. D’autres n’ont trouvé aucun lien. Au sein de la communauté scientifique, le débat fait toujours rage.

Sur le front juridique, la situation évolue différemment. Depuis l’été dernier, trois jurys californiens ont condamné Monsanto et Bayer à accorder des sommes extraordinaires à des personnes souffrant d’un lymphome non hodgkinien.

Quelque chose qui cloche

Lorsque le brevet de la molécule du glyphosate a expiré en 2000, plusieurs autres entreprises ont commencé à commercialiser des produits qui en contenaient. En 2017, Santé Canada a autorisé la vente de 186 différentes préparations contenant du glyphosate, tant pour l’agriculture que pour un usage domestique.

Au Québec et en Saskatchewan, les demandes d’autorisation d’exercer une action collective visent cependant un produit : le Roundup.

Du côté de la Saskatchewan, le célèbre avocat en actions collectives Tony Merchant, qui pilote la demande déposée dans la province, affirme qu’un grand nombre de personnes souhaitaient se joindre au recours sans même qu’il ait lancé d’appel à tous ou fait paraître de publicités.

« Cela démontre à quel point un grand nombre de Canadiens atteints ont pensé : “Il y a quelque chose qui cloche ici, pourquoi moi ?” Ils avaient un problème sérieux et ils cherchaient déjà. Je crois qu’ils seront de plus en plus nombreux à nous contacter », a souligné Me Merchant en entrevue.

Il indique par ailleurs que la majorité des gens qui l’ont joint sont des fermiers. On dénombre aussi plusieurs employés de sociétés d’entretien paysager, des employés municipaux et des jardiniers amateurs comme M. Hickman.

Une première en Ontario

La Presse a aussi appris qu’une demande d’exercer une action collective a été déposée à London, en Ontario, le 4 avril, sans faire l’objet d’aucune attention médiatique.

Le demandeur est Douglas Walker, qui a travaillé dans un entrepôt pour un distributeur de Roundup, et sa femme Roberta Walker. Ils réclament 572 millions. Le recours ontarien vise le Roundup et tout autre herbicide à base de glyphosate vendu par Monsanto Bayer au Canada.

Durant 10 ans, Douglas Walker dit être entré en contact avec le Roundup lorsque les bidons qu’il déchargeait étaient abîmés ou défectueux ou qu’il recyclait des contenants vides. On lui a diagnostiqué un lymphome non hodgkinien en mars 2018.

L’avocat qui pilote le dossier, Me Matthew D. Baer, a indiqué qu’entre deux et trois douzaines de personnes l’avaient déjà contacté en vue de s’inscrire comme membres. Ce recours vise tous les résidants du Canada qui ont reçu un diagnostic de lymphome non hodgkinien depuis 1976 et les membres de leur famille, à l’exception des résidants du Québec.

Monsanto devant les tribunaux

2007

Le fermier français Paul François attaque Monsanto après avoir accidentellement inhalé des vapeurs du produit Lasso, herbicide à base d’alachlore. Au bout de cinq ans, le géant américain est condamné à l’indemniser. En avril 2019, la Cour d’appel de Lyon tranche en faveur du plaignant. Monsanto envisage l’option d’interjeter l’appel.

Mai 2018

Monsanto est assigné en justice au civil devant le tribunal de grande instance de Vienne par une famille de l’Isère, en France. Le fils de Sabine et de Thomas Grataloup, Théo, né il y a 11 ans avec de graves malformations de l’œsophage et du larynx, aurait été exposé in utero au glyphosate. L’affaire n’a encore fait l’objet d’aucune audience.

Août 2018

Un jury californien accorde la somme de 289 millions à Dewayne Johnson, un jardinier scolaire de 46 ans atteint d’un lymphome non hodgkinien. En octobre, une juge a réduit cette somme à 78 millions. Bayer a porté l’affaire devant la Cour d’appel de la Californie.

Mars 2019

Un deuxième jury californien condamne Monsanto à verser 80 millions à Edwin Hardeman, atteint d’un lymphome non hodgkinien. Le septuagénaire a vaporisé du Roundup sur sa propriété durant 26 ans. En mai, Monsanto a déposé une requête pour infirmer le verdict du jury ou obtenir la tenue d’un nouveau procès.

Mai 2019

Un troisième jury californien détermine que le Roundup a causé le cancer. Il accorde 2 milliards à un couple de jardiniers amateurs. Alva et Alberta Pilliod ont tous deux souffert du lymphome non hodgkinien. Monsanto contestera le verdict et les dommages.

Que dit la science ?

Quel lien établit la science entre l’exposition aux pesticides et la maladie de Parkinson ?

Il est « clair » dans la littérature scientifique que l’exposition aux pesticides augmente le risque de maladie de Parkinson chez les agriculteurs, affirme le Dr Pierre L. Auger, spécialiste en médecine du travail et de l’environnement qui travaille au service de l’environnement de la Direction de la santé publique de Québec. « Néanmoins, certaines personnes ont des prédispositions génétiques : tous les agriculteurs ne vont pas faire du parkinson », nuance-t-il. « Mais les études montrent qu’il y a plus de parkinson dans les régions agricoles que dans les régions urbaines. En 2017, une revue de la littérature scientifique et des méta-analyses menées par le département de médecine du travail et de l’environnement de l’Université de Göteborg, en Suède, démontrent un risque 50 % plus élevé de contracter la maladie de Parkinson chez les agriculteurs à la suite de l’utilisation de pesticides comprenant des insecticides et des herbicides », ajoute le Dr Auger.

Depuis quand la science soupçonne-t-elle un lien entre pesticides et parkinson ?

À la fin des années 70, un petit groupe de jeunes Californiens ayant consommé de l’héroïne synthétique ont contracté du jour au lendemain un syndrome parkinsonien très sévère. Les neurologues et chercheurs de l’époque se sont rendu compte que la drogue, préparée par un revendeur de rue, contenait du MPTP, un composé chimique très toxique. « C’est à cause de ces cas de parkinsonisme fulgurant que les chercheurs ont par la suite adopté l’utilisation de cette molécule en laboratoire afin d’étudier la maladie. Mais sa structure chimique ressemble également à celle des pesticides. Le MPTP et certains pesticides sont donc utilisés en laboratoire pour recréer les symptômes ainsi que les aspects pathologiques de la maladie », explique Francesca Cicchetti, chercheuse en neurosciences au Centre de recherche du CHU de Québec, qui utilise, dans le cadre de ses recherches, des pesticides vaporisés au Québec comme la roténone, le paraquat et le manèbe pour créer des modèles animaux de la maladie de Parkinson afin de tenter d’enrayer des symptômes de la maladie. Dans les années 80, un Québécois, le professeur André Barbeau, a également rapporté que l’incidence du parkinson était plus élevée dans les régions rurales du Québec, des zones où l’agriculture et, par conséquent, l’exposition aux pesticides sont répandues.

Les travailleurs agricoles sont-ils plus à risque de souffrir de cancer ?

Pour la grande majorité des cancers, non. Ils sont en fait moins à risque que la population en général, car ils font davantage d’exercice physique et ont tendance à moins fumer. Il existerait cependant des exceptions. C’est ce qu’a démontré une étude canadienne menée auprès de 70 500 travailleurs agricoles, l’une des plus grandes cohortes de ce type dans le monde. Elle a relevé qu’entre 1992 et 2010, les agriculteurs canadiens avaient des risques accrus de souffrir du lymphome non hodgkinien, du cancer de la prostate, du mélanome et du cancer des lèvres. Pour le lymphome non hodgkinien, le risque était 10 % plus élevé. Les auteurs, qui proviennent notamment de l’Occupational Cancer Research Centre de l’Ontario, avancent l’hypothèse que l’exposition aux pesticides a pu contribuer à cette augmentation des risques. Quant au mélanome et au cancer des lèvres, c’est l’exposition au soleil qui pourrait être en cause.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS a classé, en 2015, le glyphosate « pur » comme un agent « probablement cancérogène pour les humains », alors que Santé Canada tranché, en 2017, qu’il était « peu probable » que le glyphosate présente un risque de cancer pour les humains. Comment expliquer ces deux positions diamétralement opposées ?

Le CIRC a mené une évaluation du danger, alors que Santé Canada a évalué le risque. Quelle est la différence ? « Le CIRC regarde s’il y a une possibilité d’avoir le cancer, peu importe l’exposition, qu’on se baigne dedans ou qu’on en mange des résidus dans les particules par millions », explique Frédéric Bissonnette, directeur de la gestion des réévaluations à l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada, l’organisme qui autorise l’usage des pesticides au pays. « Nous, on considère à quelle quantité on est exposé. Par exemple, si vous regardez dans la liste du groupe des cancers du CIRC, il y a des choses comme la poussière de bois qui est encore plus élevée que le glyphosate. Il y a le travail de nuit, l’éthanol, donc l’alcool. Donc ils ne considèrent pas le niveau d’exposition des individus. »

Ce dernier souligne que lorsque Santé Canada a réautorisé l’usage du glyphosate en 2017, 636 études avaient été prises en considération : 77 % provenaient de l’industrie et 23 % de la littérature scientifique.

En revanche, le CIRC s’est uniquement fié aux études publiées dans la littérature scientifique révisée par les pairs. Les données de l’industrie ne sont pas publiques. Il est possible de les consulter dans une salle de lecture à Ottawa, mais il est interdit d’en faire des copies.

La littérature scientifique a-t-elle établi un lien entre glyphosate et lymphome non hodgkinien ?

Certaines études publiées dans la littérature scientifique ont trouvé une association entre l’utilisation du glyphosate et le risque de contracter un lymphome non hodgkinien chez les agriculteurs. D’autres, tout aussi crédibles, n’en ont trouvé aucune.

C’est le cas de l’Agricultural Health Study (AHS), une étude toujours en cours du gouvernement américain qui suit une cohorte de plus de 52 000 ouvriers agricoles qui étaient titulaires d’un permis pour appliquer des pesticides entre 1993 et 1997, en Iowa et en Caroline du Nord. Les scientifiques accordent généralement beaucoup de poids à cette étude. La plus récente mise à jour de cette étude, publiée en novembre 2017, n’a toujours pas trouvé d’association avec le lymphome non hodgkinien. Par contre, une récente méta-analyse, qui sera bientôt publiée dans le journal Mutation Research, a isolé les données pour les plus grands utilisateurs de glyphosate. Les individus de ce groupe couraient 41 % plus de risques d’avoir un lymphome non hodgkinien. Fait intéressant, six études ont été retenues par les auteurs, dont la mise à jour de l’ASH.

« Quand on regarde les méta-analyses, on arrive à une conclusion assez ferme que, dans les cas des gens les plus exposés, comme les travailleurs agricoles, il pourrait y avoir une relation assez forte avec le lymphome non hodgkinien. Ce genre de méta-analyses a l’avantage de prendre un ensemble d’études pour tirer des conclusions », explique Onil Samuel, responsable de l’équipe scientifique sur les pesticides à l’Institut national de santé publique du Québec. On lui doit notamment l’indicateur de risque des pesticides du Québec.

En revanche, les données récoltées dans le cadre de l’AHS ont révélé que l’utilisation de l’insecticide roténone et de l’herbicide paraquat augmentait les risques de contracter la maladie de Parkinson.

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