Dans les coulisses de Medicago

Au cœur d’une course contre la mort

Québec — Certaines entreprises ont été prises de court par la pandémie. D’autres l’attendaient de pied ferme. C’est le cas de Medicago, une société pharmaceutique de Québec qui se trouve désormais aux premières loges de la course la plus suivie du monde : celle pour trouver un vaccin contre la COVID-19.

« Normalement, développer un vaccin demande de cinq à six ans. Là, on essaie de le faire en 12 à 18 mois. C’est une vitesse quasiment sans précédent. »

Au bout du fil, Nathalie Landry raconte les derniers mois, rocambolesques, de l’entreprise pour laquelle elle travaille.

La vie de la vice-présidente directrice aux affaires scientifiques et médicales de Medicago, comme celle de ses collègues, a basculé l’hiver dernier, quand un nouveau virus est apparu en Chine.

Pour le commun des mortels, la COVID-19 n’était alors qu’une lointaine menace, peut-être même un feu de paille qui allait s’éteindre dans son berceau.

Mais Nathalie Landry et ses collègues ont gardé les yeux rivés sur la Chine. « Quand les premiers cas de COVID-19 sont apparus en Chine, on a été très attentifs. On a commencé à faire des recherches pour voir si on pouvait exprimer l’antigène du coronavirus », explique-t-elle.

Lorsque le virus s’est transformé en pandémie mondiale, les Chinois ont diffusé sa séquence génétique. Il n’en fallait pas plus pour que Medicago commence à plancher sur un candidat vaccin, à des milliers de kilomètres de Wuhan.

La technologie de l’entreprise de Québec est singulière. Medicago fabrique des protéines pseudo-virales dans des plantes. Ces protéines imitent le virus, de telle sorte que le système immunitaire en vient à fabriquer des défenses efficaces contre le véritable virus.

Cette méthode de reproduction sur plantes est particulièrement rapide. L’entreprise avait déjà montré son potentiel en 2009 lors de la pandémie de grippe A (H1N1).

« On n’a pas besoin du virus vivant pour commencer à concevoir le vaccin, on a simplement besoin de la séquence génétique pour une protéine du virus, la fameuse protéine S, la spicule », explique la directrice des affaires scientifiques et médicales chez Medicago, Nathalie Charland.

« Ne pas avoir à manipuler le virus vivant, ça nous a permis d’accélérer beaucoup le processus. On est allés chercher la recette sur l’internet, on a synthétisé la séquence en laboratoire et, 20 jours après, on avait notre premier candidat vaccin dans une fiole. »

— Nathalie Charland, directrice des affaires scientifiques et médicales chez Medicago

C’est ainsi qu'à la fin de mars, Medicago indiquait avoir développé un candidat vaccin pour le virus. Ce n’était que le début de la course.

Vitesse grand V

Le début du « projet COVID-19 » a chamboulé l’entreprise. Soudainement, environ les trois quarts des 480 employés ont été affectés à cette nouvelle filière.

Trois autres projets à différents stades d’avancement ont été mis sur la glace. « Ç’a a pris la place d’autres produits qu’on avait dans le pipeline, c’est inévitable. Du jour au lendemain, on a pris pratiquement toutes les ressources de l’entreprise pour trouver un vaccin COVID-19 », relate Nathalie Landry.

Pour livrer un vaccin le plus rapidement possible, il a fallu condenser les étapes. Le gouvernement canadien, comme les autres dans le monde, a raccourci les délais.

« On est en train de compresser la partie administrative, résume Nathalie Charland. On est dans une époque exceptionnelle qui nous demande de prendre des décisions exceptionnelles. »

En temps normal, les périodes d’essais se suivent distinctement. Mais à l’heure actuelle, les autorités ont accepté des chevauchements.

C’est ainsi que Medicago a fait les essais précliniques sur des animaux au printemps, puis la phase 1 sur des humains en juillet. L’entreprise s’apprête à commencer la phase 2 et la phase 3 quasiment en simultané. En temps normal, ces deux phases se seraient suivies, avec des délais supplémentaires.

« Normalement, les gens qui s’occupent des tests chez les animaux commencent à travailler avant les gens de la production à grande échelle. Là, c’est tout le monde qui travaille en même temps. »

— Nathalie Landry

Medicago a en effet commencé la production de son candidat vaccin avant même d’avoir toutes les autorisations. L’entreprise a reçu 173 millions de dollars d’Ottawa pour 76 millions de doses.

Pourquoi commencer la production dès maintenant ? Afin de ne pas perdre une seconde dans le cas où le vaccin recevrait le feu vert. Ce sont des « doses à risque ».

« On ne sait pas encore si le vaccin est efficace. Mais s’il l’est, il va falloir le distribuer très rapidement », note Mme Landry, qui ajoute que cette situation sort de l’ordinaire.

Objectif 2021

L’objectif de l’entreprise est de pouvoir démontrer que son vaccin fonctionne dans la première moitié de 2021.

Certains concurrents sont en avance. Le géant Pfizer a annoncé la semaine dernière que sa phase 3, dernière avant l’homologation, démontre que son candidat vaccin est efficace à 90 %. La société américaine Moderna a confirmé lundi avoir atteint une efficacité de 94,5 % dans l’étude de phase 3 de la première analyse intermédiaire de son vaccin contre la COVID-19.

Mais Nathalie Landry note que la course au vaccin pourrait désigner plusieurs vainqueurs. « On a besoin de plusieurs succès parallèles », dit-elle.

« Il est possible que le vaccin qui protège bien les personnes âgées ne soit pas celui qui fonctionne le mieux chez les enfants. C’est une possibilité », évoque la vice-présidente directrice aux affaires scientifiques et médicales de Medicago. « Ensuite, aucune compagnie n’est capable à elle seule de produire suffisamment de doses pour protéger l’ensemble de la planète. »

Perspectives intéressantes

L’entreprise, acquise en 2013 par la japonaise Mitsubishi Tanabe Pharma et qui compte 300 employés à Québec, espère donc faire partie des sociétés qui sortiront gagnantes de la course au vaccin.

Un succès aurait des répercussions importantes. La technologie de Medicago est particulièrement adaptée aux pandémies. Développer et homologuer un vaccin « efficace et sécuritaire, en seulement 12 à 18 mois, ce serait un immense succès », note Mme Landry.

Tout ça, Medicago tente de le faire dans un contexte où la majorité des employés sont en télétravail. Les employés de laboratoire et de production, quant à eux, doivent prendre des précautions importantes. Une éclosion aurait des répercussions importantes sur la capacité de l’entreprise de livrer rapidement un vaccin.

Si Medicago réussit son pari, « du jour au lendemain, on serait en production commerciale sur un produit qu’on a commencé à développer seulement 18 mois plus tôt », note Nathalie Landry.

« Ça changerait évidemment la vie de l’entreprise. »

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