Suicide d’une adolescente de 13 ans

Une psychologue plaide coupable, malgré l’inaction du syndic

La mère d’une adolescente de 13 ans qui s’est donné la mort en 2017 est sur le point d’obtenir la radiation pour quatre mois d’une psychologue qui n’a pas su prévenir son suicide. Elle a toutefois dû déposer une plainte privée contre la professionnelle, car le syndic de son ordre a fermé son enquête sans la poursuivre devant le conseil de discipline.

Pour obtenir justice, la mère de l’enfant a engagé un avocat et payé 11 900 $ pour un rapport sur le comportement de la psychologue Annie Moreau, du CISSS des Laurentides.

La professionnelle a fini par plaider coupable le 10 mars à des accusations de ne pas avoir exercé sa profession dans les règles de l’art. Elle a omis notamment de mettre en place un plan de sécurité pour protéger la jeune Lili Homier.

Les parties se sont entendues sur une radiation de quatre mois et une interdiction permanente de pratique auprès des enfants de moins de 14 ans. La psychologue accepte aussi de rembourser les frais d’expertise qu’ont encourus ses parents.

Tout porte à croire que le comité de discipline entérinera la proposition commune des parties.

Dans le document qu’il a réalisé pour la famille, l’expert psycholégal Frédéric Laterrière adresse une sévère critique au syndic pour sa gestion de l’affaire.

« Vue la dynamique présentée de cette adolescente lors de la prise de contacts des parents, comme professionnel du réseau de la santé depuis près de 30 ans et membre d’un ordre professionnel, je trouve extrêmement préoccupant, décevant et injuste que ces manquements graves aux normes de la pratique en psychologie n’aient pas amené le syndic à déposer dès le départ une plainte devant le conseil de discipline », peut-on lire dans un extrait du rapport.

Entente confidentielle

Fanie Charbonneau dit avoir entamé en 2018 un « réel parcours du combattant » pour faire la lumière sur le travail de la psychologue, en demandant d’abord une enquête du syndic de son ordre. Mais en mai 2019, l’organisme concluait « une entente confidentielle » avec Annie Moreau. Il n’y aurait aucune poursuite devant le conseil de discipline.

« Nous ne comprenions pas la raison de cette entente confidentielle et le rôle de l’Ordre des psychologues du Québec », raconte Fanie Charbonneau. Son conjoint et elle ont appris seulement le 10 mars dernier que le syndic avait imposé des formations supplémentaires à Annie Moreau et une supervision de 16 heures par une autre psychologue.

Les parents de Lili ont demandé la révision du dossier en 2019, sans succès. « Toutes les portes étaient fermées », déplore la mère.

Dans son rapport, l’expert Laterrière relève pourtant l’incohérence de la pratique d’Annie Moreau.

« Les thèmes abordés se succèdent sans fil conducteur quant aux motifs de consultation initiaux. Ils vont dans toutes les directions, ce qui entraîne un traitement psychologique superficiel et potentiellement inadéquat. »

— Frédéric Laterrière, expert psycholégal, dans son rapport sur la comportement de la psychologue

Selon l’expert Laterrière, « des enjeux en lien avec un risque de passage suicidaire ont été minimisés par la psychologue ».

Les parents de Lili avaient demandé son placement sous la responsabilité de la Direction de la protection de la jeunesse. Sans succès. Selon l’expert, une telle mesure aurait pourtant pu aider l’enfant à « traverser sa crise suicidaire ».

« Règles de l’art respectées », selon l’Ordre

Dans les circonstances, comment expliquer que le syndic n’ait pas jugé bon de porter l’affaire devant le conseil de discipline ?

La présidente de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ), Christine Groulx, tient d’abord à dire que « ses pensées vont à la famille ».

Elle défend toutefois la décision du chien de garde de la profession. « J’ai posé des questions au syndic. L’enquête est confidentielle, mais je peux vous dire qu’ici, les processus et les règles de l’art dans l’enquête ont bien été respectés. »

L’avocat des parents, Claude Leduc, n’en croit rien.

« Dans des cas comme celui de Lili, à mon humble avis, la tâche de protéger le public n’est pas remplie. »

— Claude Leduc, avocat des parents de Lili Homier

Il se demande d’ailleurs si des situations de ce genre se produisent souvent. « On ne sait pas combien de cas comme celui-ci se sont retrouvés dans les mêmes circonstances, sans plainte disciplinaire déposée », relève-t-il.

Une enfant aussi douée que troublée

La voix étranglée par l’émotion devant le conseil, Fanie Charbonneau a rendu hommage à son enfant morte, « extrêmement vive d’esprit, créative, originale, ricaneuse, passionnée de lecture, de musique et d’improvisation ». « Elle s’exprimait avec un vocabulaire riche et varié. Elle avait une mémoire phénoménale, des capacités d’abstraction époustouflantes. »

Dès sa petite enfance, Lili a toutefois commencé à présenter de la « rigidité cognitive, de l’anxiété », et avec le temps, des symptômes de dépression, de plus en plus graves à partir de 11 ans. Puis l’école secondaire et l’intimidation ont empiré les choses.

En 2016, sa fille a entamé un suivi au CLSC de Sainte-Agathe-des-Monts, au sein d’une équipe comptant une travailleuse sociale, un psychiatre et la psychologue Annie Moreau, rencontrée 39 fois.

Sa situation s’est détériorée au début de la 2e secondaire, en septembre 2017. Lili a demandé à voir sa psychologue toutes les semaines, mais Annie Moreau jugeait que les rencontres mensuelles suffisaient.

À cette époque, l’adolescente exprimait pourtant des idées suicidaires. « Mon enfant m’a confié qu’elle avait un plan », a relaté Fanie Charbonneau. Elle a alors tenté d’alerter Annie Moreau. « Mais elle ne retournait pas nos appels. »

En novembre 2017, Lili passait à l’acte en mettant fin à ses jours.

Rencontrée par La Presse à la fin de l’audition, Annie Moreau a exprimé ses regrets, comme elle l’avait déjà fait devant le comité. « J’aurais vraiment souhaité mieux accompagner cette enfant, dit-elle. Je suis vraiment désolée. Perdre un enfant, c’est dans les choses les plus graves qui puissent arriver. »

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