COVID-19

Isolement forcé après un voyage à l’étranger

Invoquant la Loi sur la mise en quarantaine, Ottawa oblige désormais les Canadiens qui rentrent au pays à s’isoler pendant 14 jours. Tout contrevenant s'expose à une amende maximale de 750 000 $ ou à une peine de prison, que le Québec n’entend pas imposer... pour l’instant.

Ottawa et montréal — Le gouvernement Trudeau a finalement décidé d’utiliser la méthode forte pour contraindre les centaines de milliers de snowbirds et autres voyageurs qui rentrent au pays à suivre les directives des autorités en matière de santé publique afin de freiner la propagation du nouveau coronavirus.

Depuis minuit, la ministre fédérale de la Santé Patty Hajdu oblige tous ces voyageurs à s’isoler pendant une période de 14 jours, sans exception, en s’appuyant sur la Loi sur la mise en quarantaine.

Cette nouvelle mesure est entrée en vigueur après que le premier ministre Justin Trudeau eut lancé au cours des derniers jours une salve d’avertissements quotidiens aux Canadiens qui rentrent au bercail après un séjour à l’étranger.

« Nous avons pris cette décision pour mieux protéger les plus vulnérables contre la COVID-19 », a avancé la ministre Hajdu sur son compte Twitter.

En vertu de la Loi sur la mise en quarantaine, qui a été modifiée en 2005 dans la foulée de la crise du SRAS, la ministre de la Santé peut établir des postes de quarantaine partout au Canada et imposer des pénalités salées. Un individu reconnu coupable par mise en accusation est passible d’une amende maximale de 750 000 $ ou d’un emprisonnement maximal de trois ans. L’amende maximale était de 1 million de dollars dans la version initiale de la loi, mais le ministère de la Santé a cru bon de la réduire d’un quart de million.

Le Québec n’a toutefois pas l’intention d’imposer ces amendes aux récalcitrants, du moins pour l’instant. « Ce que j’ai dit à [la ministre de la Sécurité publique] Geneviève Guilbault, c’est que nous voulons informer la population [des règles en vigueur]. Nous ne sommes pas encore rendus à l’étape où l’on doit donner des amendes. Mais nous avons le pouvoir de le faire », a dit le premier ministre François Legault en point de presse, mercredi.

Isolement à la maison ou à l'hôtel

Un peu plus tôt, Mme Hajdu a précisé que les voyageurs qui arrivent à l’un des quatre aéroports désignés pour les vols internationaux depuis une semaine – Montréal, Toronto, Calgary et Vancouver – devront se rendre à leur domicile dans leur propre véhicule. S’ils n’ont pas accès à leur véhicule, les autorités canadiennes vont leur fournir un moyen de transport.

Dans le cas des voyageurs qui arrivent à l’un de ces aéroports internationaux et dont le domicile se trouve dans une autre ville, ils devront s’isoler pendant 14 jours dans la ville où leur vol est arrivé. Ottawa va se charger de leur trouver une chambre d’hôtel pour s’isoler et leur fournira des repas également.

« Nous avons déjà conclu des contrats avec des hôtels dans ces quatre villes. […] Il est hautement important que nous prenions cette crise au sérieux. Nos proches comptent sur nous pour que nous prenions les recommandations des autorités en matière de santé publique au sérieux », a déclaré la ministre Hajdu.

Mme Hajdu a indiqué que les douaniers informeront sans équivoque les voyageurs des pénalités qui seront imposées dans le cas du non-respect de la directive. Des employés de l’Agence des services frontaliers vont faire des suivis aléatoires auprès des voyageurs pour veiller à ce qu’ils respectent cette nouvelle directive.

Aplanir la courbe de propagation

Pour sa part, la vice-première ministre Chrystia Freeland a indiqué que le gouvernement a jugé qu’il était temps de recourir à cet outil afin d’aplanir la courbe de propagation de la COVID-19.

« Cette question a été discutée abondamment lundi lors de la dernière réunion du comité du cabinet sur la COVID-19. Tous les Canadiens ont travaillé très fort pour respecter l’éloignement social dans leur vie. Et cela fait quelque temps déjà que nous encourageons les gens qui arrivent au Canada à le faire dès leur arrivée. Nous avons décidé qu’il est temps de rendre cette mesure obligatoire. »

« Il est très important de respecter cette période d’isolement volontaire pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens. »

— Chrystia Freeland, vice-première ministre du Canada

Le chef intérimaire du Parti conservateur, Andrew Scheer, a affirmé que le gouvernement Trudeau aurait dû invoquer la Loi sur la mise en quarantaine plus tôt. « Nous sommes satisfaits de cette décision, mais comme dans bien d’autres dossiers, le gouvernement aurait dû agir plus tôt », a-t-il déclaré au réseau CTV.

Deux épidémiologistes consultés par La Presse applaudissent la mesure. « À cause de l’augmentation des cas de COVID-19 presque partout dans le monde, les voyageurs qui arrivent actuellement ont encore plus de probabilité d’avoir été infectés que ceux qui sont revenus il y a deux ou trois semaines », dit Gaston De Serres, épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). « Il est essentiel qu’ils restent en quarantaine. »

Cette mesure est-elle nécessaire étant donné que la transmission communautaire est de plus en plus fréquente ? « Plus que jamais », répond Marc-André Langlois, épidémiologiste à l’Université d’Ottawa. « Même s’il y a de la transmission communautaire, il y a un grand pourcentage de personnes qui reviennent infectées. Une personne infectée avec le SARS-CoV-2 infecte en moyenne trois personnes. Mais si chacune de ces trois personnes en infecte trois autres, après 10 niveaux de transmission, ça fait 59000 personnes infectées… Oui, les voyageurs doivent faire une quarantaine très stricte ! »

Cette quarantaine obligatoire sera par contre assurément contestée devant les tribunaux, selon Steven Hoffman, spécialiste des questions de droit et de santé publique à l’Université York.

« Étant donné les circonstances extraordinaires, et la reconnaissance que nous devons prendre des mesures extraordinaires pour faire face à cette menace extraordinaire, je m’attends à ce que les tribunaux laissent cette quarantaine en place pour le moment », a-t-il dit.

« Mais une décision finale devra éventuellement être prise par les tribunaux d’appel au sujet de sa légalité. Pour éviter que cette quarantaine obligatoire soit jugée trop large et une restriction déraisonnable des droits des Canadiens à leur liberté et à leur mobilité, il faudra que le gouvernement démontre qu’il n’y avait pas d’autre mesure appropriée, par exemple la stratégie de quarantaine volontaire utilisée jusqu’à maintenant », a-t-il ajouté.

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