Chemin Roxham

Une frontière plus étanche ne résoudra rien

Depuis les deux dernières décennies, le Canada voit de plus en plus de migrants arriver à la frontière terrestre pour demander l’asile. En raison de l’entente Canada–États-Unis sur les tiers pays sûrs (ETPS) et de la proximité de grandes villes dans les deux pays, le Québec a connu un nombre disproportionné d’arrivées. Cette entente empêche le refoulement vers les États-Unis des demandeurs d’asile qui traversent la frontière entre les points d’entrée officiels, comme au chemin Roxham.

Ce genre de situation ne changera pas de sitôt : le Canada est rattrapé par une crise globale du système d’asile qui pousse les gens à chercher une protection par tous les moyens disponibles. Cependant, la situation actuelle au Québec est insoutenable.

Le Canada et le Québec sont parmi les derniers venus dans ce phénomène de migration spontanée et massive. Nous pouvons donc, et devons, apprendre des erreurs des autres pays.

Les diverses tentatives de résolution de ce problème politique ont clairement montré que le renforcement de la frontière n’arrête pas la migration. Au contraire, il crée les conditions idéales pour le développement d’une industrie criminelle faisant le commerce des vies humaines. Le Québec doit donc résister à l’ambition d’investir dans des approches peu pratiques, populistes et qui, à court terme, ne font rien pour freiner la migration et la poussent plutôt vers la clandestinité.

Investir plus d’argent à la frontière n’arrête pas la migration. Aux États-Unis, le département de la Sécurité intérieure disposait d’un budget de 52,2 milliards US en 2022, contre 19,5 milliards en 2003. L’an dernier, plus de 14 milliards étaient consacrés spécifiquement à la patrouille frontalière. La même année, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) disposait d’un budget de 750 millions d’euros, contre 12 millions au début de ses opérations en 2005, alors que des sommes supplémentaires sont consacrées aux forces de sécurité nationale et aux technologies de surveillance.

De toute évidence, ces dépenses exorbitantes n’ont pas arrêté la migration, ni aux États-Unis ni en Europe.

Le gouvernement canadien a approuvé un budget annuel de plus de 2,3 milliards de dollars pour l’Agence des services frontaliers du Canada en 2022, soit une augmentation de 14 % par rapport à l’année précédente. Même en doublant ses ressources, l’agence n’arriverait pas à fermer la frontière, longue de près de 9000 km, soit trois fois plus que celle entre les États-Unis et le Mexique.

Un tel objectif est tout aussi inatteignable qu’indésirable. Une augmentation spectaculaire du budget visant à étanchéifier la frontière rendrait le Canada, et par extension le Québec, directement responsable d’une croissance de l’industrie du passage et de la traite des personnes. L’asile est pourtant un droit humain fondamental.

Les faits sont clairs

Depuis les années 1950, les États-Unis déploient plusieurs opérations afin de juguler l’immigration clandestine, et ce, à un coût énorme pour les contribuables. On songe notamment aux opérations Wetback en 1954 et Hold the Line en 1993. La conséquence principale ? Alors que les migrants mexicains avaient l’habitude de franchir la frontière avec relativement peu d’obstacles, répondant ainsi par ailleurs aux besoins de main-d’œuvre aux États-Unis (principalement dans l’agriculture), ces opérations ont favorisé l’essor de l’industrie de la traite des êtres humains, dont le chiffre d’affaires est estimé à plus de 13 milliards de dollars américains en 2022.

Par définition, cette industrie ne tient pas compte des droits des migrants. La mort et la violence aux mains des coyotes (passeurs) dans le désert mexicain sont largement documentées. Nous savons également que les politiques migratoires obligent certains parents résidant aux États-Unis à payer très cher ces mêmes passeurs pour faire ensuite venir leurs enfants. Des enfants, parfois des nourrissons, ont même été abandonnés dans le désert parce qu’ils étaient trop lents, trop bruyants ou qu’ils avaient besoin d’un simple changement de couche.

Il faut bien comprendre que ni le passage ni la traite des personnes migrantes ne seraient aussi lucratifs si les politiques frontalières ne forçaient ces personnes à se retrouver entre les mains de criminels.

Afin d’éviter de gaspiller des fonds publics dans des efforts inutiles destinés à fermer la frontière et d’encourager par la bande des organisations criminelles, le gouvernement canadien, qui est le premier responsable, doit consacrer plus de ressources au traitement efficace de demandes d’asile. Ottawa doit également mettre fin à l’ETPS, ou bien la modifier unilatéralement, afin que davantage de demandeurs d’asile puissent présenter leur demande n’importe où le long de la frontière. Enfin, le gouvernement fédéral doit veiller à ce que ces demandeurs soient répartis sur l’ensemble du territoire selon des critères liés aux facteurs démographiques et à leur profil spécifique (langue, liens familiaux dans le pays, etc.).

Quant aux politiciens québécois, il faut à tout prix éviter d’instrumentaliser la vie des migrants pour des gains politiques.

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