Matt Chessco

D’ingénieur malheureux à star de la toile

En trois ans, le jeune professionnel montréalais Mathieu Lecours est devenu le peintre prisé Matt Chessco. Contre l’avis de tous…

Deux jours. C’est le temps qu’il a fallu au diplômé Mathieu Lecours pour occuper un poste d’ingénieur en chef, en 2018. Quatre jours. C’est le temps qu’il a fallu à Mathieu Lecours pour quitter son poste d’ingénieur en chef, en 2018. « J’ai fait la liste des pour et des contre, et la seule chose que j’ai écrite dans la liste des pour, c’est le revenu. »

Lettre de démission en main, son patron, estomaqué, lui a demandé quels étaient ses plans pour les semaines suivantes. « Je n’en avais aucune idée. Je lui ai dit la première chose qui m’est venue à l’esprit : “Je vais devenir un artiste.” Il a sûrement pensé que j’étais fou. »

Trois ans plus tard, le Montréalais de 27 ans au bout du fil répond au nom de Matt Chessco, peintre et vidéaste qui enflamme le réseau social TikTok. Ses publications intéressent plus de 2 millions d’abonnés et accumulent près de 50 millions de « J’aime ».

Sa réputation est telle que les marques – le FC Barcelone, par exemple – s’arrachent les commandes, que des célébrités américaines relaient fièrement ses œuvres et que le prestigieux New York Times s’est intéressé à son rayonnement.

Bien qu’une vidéo vaille ici mille mots, tentons une esquisse de son travail : Matt Chessco peint des célébrités à l’acrylique, au confluent du pop art et du pointillisme. Il prend une dizaine de photos en cours de création. Ensuite, grâce à un écran vert et à des trucages vidéo, l’artiste dévoile son œuvre de manière surréaliste, au rythme de chansons et de coups de pinceau dignes d’un maestro.

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Nombre moyen de journées consacrées à chaque vidéo ; deux pour créer la toile, une pour fignoler le montage. Certaines œuvres nécessitent plusieurs semaines.

« Quand j’ai commencé à faire des œuvres d’art, je me suis dit : “O.K., il faut que je trouve un moyen de faire des vidéos intéressantes et différentes pour montrer au monde entier ce que je fais” », explique Matt Chessco.

À partir de photos, il a croqué le portrait de Dua Lipa, Cardi B, Justin Bieber, George Floyd, Bernie Sanders, Donald Trump, Taylor Swift ou encore Marilyn Monroe, sur les traces d’un certain portraitiste de Pittsburgh.

« J’ai toujours aimé Andy Warhol. Quand j’étais jeune, je suis allé voir son exposition à Montréal [en 2008]. Je me rappelle très bien ce qui était exposé, comment c’était exposé. Ça a eu un gros impact sur moi. »

— Matt Chessco

Le peintre a toujours cru à son concept, mais son potentiel viral a pris les traits de Billie Eilish, sujet de sa quatrième ou cinquième œuvre affichée sur TikTok.

« J’avais publié la vidéo un samedi à midi et, le soir à 20 h, il y avait 20 000 vues. Je me suis dit : “Elle n’est pas bonne, je vais la supprimer.” Mais après une discussion avec mon frère, j’ai décidé de la laisser là. Dans les trois jours qui ont suivi, la vidéo a atteint 15 millions de vues. »

Fuir à Vancouver

C’est autour de cette période, au début de l’année 2020, que Matt Chessco a fait un pied de nez à ses proches, en choisissant de se consacrer uniquement à son art. « C’est là que j’ai vraiment compris que les gens qui me disaient “Ne fais pas ça” s’étaient trompés. »

Retour en 2018 : non seulement son patron avait froncé les sourcils, mais sa famille et ses meilleurs amis aussi. « Personne ne comprenait pourquoi je passais mon temps à créer des œuvres d’art. Les gens les plus près de moi étaient ceux qui me décourageaient le plus de le faire. Ils voulaient que j’aie une sécurité financière. »

À l’époque, leur scepticisme était fondé. Certes, enfant, Mathieu Lecours « tripait » dessin. Certes, adolescent, il « tripait » vidéo, donnant vie à des Lego en animation image par image (stop motion). Certes, adulte, il « tripait » peinture le week-end venu, « sans contraintes ni objectif ». Mais il l’avoue lui-même : le jeune ingénieur a tout abandonné alors que ses plans étaient abstraits comme une peinture de Pollock et que son portfolio ressemblait à Carré blanc sur fond blanc.

À l’été 2019, las de se faire remettre les pieds sur terre, il s’est envolé vers Vancouver, où rien ni personne ne l’attendait. À 4000 km de Montréal, Matt Chessco s’est mis à peindre avec discipline et conviction, entre deux contrats de design graphique et de conception web. Après que l'artiste eut lorgné du côté d’Instagram, son coloc lui a parlé de TikTok, « où des gens deviennent célèbres du jour au lendemain ».

Pendant trois jours, il a analysé l’offre de vidéos « sans arrêt », puis a proposé les siennes. Rapidement, ses publications ont fait tache d’huile, ou plutôt d’acrylique, avec des millions de vues au compteur.

16 %

Proportion des vues de Matt Chessco qui proviennent des États-Unis, contre 5 % du Canada. Les autres visionnements sont répartis dans le monde entier.

Si le réseau social ne lui procure aucun revenu, il est devenu sa principale salle d’exposition. Le peintre a aussi des antennes sur Instagram, Facebook et YouTube.

Fort de sa visibilité, il vend ses œuvres originales – pour l’instant au coût de 2000 $ US –, des giclées et des produits dérivés. En outre, il accepte des commandes « pour faire la promotion de chansons ou de produits sur TikTok ».

Depuis le mois d’octobre, Matt Chessco est de retour à Montréal. Il a rapporté de Vancouver le plus beau des souvenirs, qu’il peut exhiber fièrement à son ancien patron, à sa famille et à ses amis : une carrière d’artiste.

Dans ses cartons, des collaborations avec d’autres célébrités TikTok, dont l’une en préparation avec la danseuse Enola Bédard, des expositions – le Musée des beaux-arts de l’Ontario a montré son enthousiasme – et l’exploitation de nouvelles plateformes pour monétiser son art, comme le marché numérique NFT.

Mais déjà, pour ceux qui le demandent, Matt Chessco ne regrette pas du tout d’avoir fait fi des conseils de son entourage. D’abord parce qu’il s’épanouit, mais aussi grâce à un résultat imprévisible. « Je fais pas mal plus d’argent que si j’étais encore ingénieur. »

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