Le REM et les gouvernements de proximité

L’auteur s’adresse aux mairesses et maires de la Communauté métropolitaine de Montréal

À l’époque où le gouvernement Couillard adoptait une loi reconnaissant aux municipalités le statut de gouvernement de proximité, ce même gouvernement adoptait une autre loi qui conférait à la Caisse de dépôt et placement et à sa filiale, CDPQ Infra, des pouvoirs que plusieurs qualifient d’exorbitants.

Or ces pouvoirs, accordés à votre insu, lient vos municipalités pour les 24 prochaines administrations. L’entente entre la Caisse et le gouvernement québécois relatif à la construction et à l’opération du REM a en effet une durée de 99 ans (renouvelable).

Les conséquences sont nombreuses et extrêmement préoccupantes pour le monde municipal. Dans un premier temps, la loi ampute les pouvoirs de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) en matière d’urbanisme et de transport puisque CDPQ Infra n’est pas assujetti au Plan métropolitain d’aménagement et de développement, comme l’a révélé l’imposition du tracé du REM de l’Ouest et comme le montre celui du REM de l’Est. Mais la loi a également sérieusement compromis le mandat de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), dès lors que le projet du REM peut être conçu et implanté sans que l’Autorité ait à l’avaliser, voire même si elle estime que ce n’est pas la meilleure option.

Or, si l’ARTM, au conseil d’administration de laquelle siègent des élus de la région métropolitaine, devait être le partenaire de choix de la CMM, force est de constater qu’elle a été plutôt transformée en guichet automatique auquel CDPQ Infra a un accès privilégié.

Dans un deuxième temps, la loi permet à CDPQ Infra de piétiner les pouvoirs de vos municipalités, puisque les villes où est implanté le REM n’ont manifestement pas voix au chapitre. Ce qu’ont rapidement constaté les municipalités qui accueillent le REM de l’Ouest. Tout au plus vos administrations doivent-elles se montrer accommodantes, tant en ce qui concerne les services de transport collectif dont vous êtes responsables – lesquels subiront les effets, notamment financiers, de la mise en service du REM − qu’en ce qui a trait aux dimensions urbanistiques de l’implantation de cette infrastructure de transport.

Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? La loi permet également à CDPQ Infra de vous faire partager la note, et on n’entend pas s’en priver. Vous devrez en effet contribuer au financement du plan d’affaires de la filiale de la Caisse en déboursant annuellement des quotes-parts – d’un montant au demeurant inconnu à ce jour – établies en fonction des populations desservies. Mais, vous devrez aussi assumer votre part du déficit d’exploitation des sociétés de transport − STM, STL, RTL, EXO – qui s’accroîtra en raison de la cannibalisation − reconnue − de leurs clientèles par CDPQ Infra… à moins que vous ne décidiez de réduire le service offert.

Or, non seulement ni le gouvernement Legault ni l’ARTM ne peuvent ou ne souhaitent vous indiquer quelle sera l’ampleur de cette contribution et comment elle évoluera au fil des ans, mais encore cette imposition contrevient au principe « pas de taxation sans représentation », puisque les décisions en ce domaine vous sont imposées par un tiers qui n’a de compte à rendre à personne. Que la chose n’ait suscité jusqu’à présent aucune réprobation de la part des élus est pour le moins préoccupant. Surtout quand on se rappelle que les municipalités sont liées pour 24 administrations successives !

Confronté aux critiques de plus en plus nombreuses, CDPQ Infra doit tempérer l’arrogance de ses troupes. On acceptera vraisemblablement de donner une chaise à quelques élus autour d’une table, dont on ne sait pas trop à quoi elle servira. Mais il ne faudrait pas oublier qu’au moment de s’asseoir dans ladite chaise, le célèbre « les jeux sont faits, rien ne va plus » aura déjà été prononcé et que, au surplus, le plateau de jeu a été d’emblée pipé.

Dans les circonstances, il serait dommage et inquiétant que vos municipalités se résignent à concevoir et réaliser des opérations cosmétiques destinées, en bonne partie, à compenser les défauts d’un projet mal ficelé. Mais il serait particulièrement dommageable que vous abdiquiez vos responsabilités envers vos citoyens et les générations futures au motif que les réserves et les craintes que vous pourriez exprimer ouvertement risqueraient d’indisposer un gouvernement qui serait tenté de vous en faire payer le prix en différant les investissements indispensables en transport collectif.

Une telle retenue serait d’autant plus déplorable que le report de la consultation sur le REM de l’Est par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement est manifestement destiné à permettre à la CAQ d’éviter à avoir à s’expliquer sur les dimensions troublantes de ce dossier en campagne électorale.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.